BREAK FAST

BREAK FAST

LUI           (Aie aie aie! ma tête... Dormir, je veux dormir... Mais où je suis ? C'est quoi cette chambre?... ah oui, je me souviens: l'invitation de Ramuntcho, et puis cette fille, là,la banquière... Allez mon vieux, un peu de courage!...)

ELLE  (Enfin! Il se réveille... c'est pas trop tôt... Ah, tu peux être fière de toi ma fille! Boire comme une pochetronne et coucher avec le premier venu... Beau travail!)

LUI            - Bonjour!

ELLE  - Bonjour! Bien dormi?

LUI           - Pas mal oui, mais je crois que j'ai un peu forcé sur le gin hier...

ELLE  - Je viens de faire du café, tu en veux?

LUI            - Bonne idée.

ELLE   (Mais enfin... c'est pas possible... Sa tête ne me dit rien! mais alors rien du tout... J'ai l'impression de le voir pour la première fois...)

            - Tu as le sucre là, le pain, le beurre, les toasts, si tu veux j'ai du lait au frigo...

LUI            - Non, non, je te remercie, c'est parfait comme ça...

            (Attends, mais c'est pas vrai... Elle a au moins mon âge!... hier soir, elle faisait trente ans à peine... Elle en a pris dix pendant la nuit ou quoi?...)

            - Hum! excellent le café...

            (Si c'était que ça... mais ces petits yeux globuleux, ces cheveux filasses, et ce nez, ce nez... Pourvu que Ramuntcho ne m'ait pas vu quitter la boîte avec elle...)

ELLE   - J'aime bien le café très fort. Ça permet de bien démarrer la journée.

             (Rien, rien; il ne me rappelle rien... cet air ahuri, ces grandes oreilles, ces longs poils sur les bras et le cou... un vrai chimpanzé... et puis son ventre qui déborde du tee-shirt!... Quelle horreur!... Mais qu'est-ce que j'ai fait?... Il m'a droguée ou quoi?...)

LUI            - Ça fait longtemps que tu habites Neuilly?

ELLE   - Huit ans.

            (Fais un effort de mémoire, ma petite... Hier soir, tu es arrivée sur le coup de dix heures à la soirée Sogepa. Tu as bu une vodka en compagnie du directeur financier et de son assistante, puis Gérard Louvier t'a invitée à danser le rock - quelle colle celui-là! Après quoi tu as rejoint Christine et Agnès au bar et vous avez parlé du compte Cogemo…)

LUI           - C'est bien Neuilly, c'est central.

ELLE  - Oui. En plus c'est à cinq minutes en voiture de mon bureau.

            (J'en étais où, ah oui! vers onze heures, Christine  et Agnès se sont fait raccompagner par un collègue de la com, et moi je suis restée discuter avec Michel Benoît, le futur dg de la Sogepa… Beaucoup d'allure... marié, hélas...)

LUI           ("Neuilly... central", je raconte n'importe quoi et elle ne s'en rend même pas compte...)

ELLE   (Et après plus rien... Si, j'ai le vague souvenir d'avoir parlé avec un type qui se disait peintre... j'ai pris un autre verre encore... Mais  qu'est-ce qu'il me raconte, lui, avec son "Neuilly c'est central", il se croit drôle?... Qu'il le termine son café et hop! la porte!! Quelle dégaine... Quand j'ai vu ses chaussettes tout à l'heure, j'y ai pas cru: un trou pour chaque orteil... C'est lui le peintre, y'a pas d'erreur!... Bravo, ma fille... Dans le monde entier qu'il aurait  exposé... mon oeil, oui!... Mais comment j'ai pu mettre ce demi-chômeur dans mon  lit!?...

LUI           - Moi, j'ai jamais quitté le troisième arrondissement.

ELLE  - C'est pas vrai!

           (Est-ce que je suis en manque à ce point?... Six mois, c'est pas la mort quand même... J'espère qu'aucun collègue ne m'a vu partir avec lui... d'ici que ça remonte à ladirection...)

LUI           (Ah! elles sont loin les étudiantes des Beaux-Arts et les mannequins scandinaves!...Heureuse époque... Le prestige de l'artiste, ça eût payé comme dit l'autre... C'est à ces    petits détails qu'on sent la fuite du temps... Enfin, n'exagérons rien, cette fille n'est pas    une beauté mais c'est pas non plus un monstre... Et puis côté jambes en l'air, j'en ai rarement connu  d'aussi exaltées...)

          - Je peux reprendre du café?

ELLE - Je t'en prie, termine aussi les toasts si tu veux...

            (C'est pas franchement un Adonis, mais il faut avouer qu'au lit, il a de la ressource... Il paraît tellement mou comme ça... Aie aie aie! j'ai des douleurs partout, et quand je dis partout... Mon Dieu, les préservatifs! Est-ce qu'il a mis des préservatifs?...)

           - Tu m'excuses un instant?...

LUI           - Je t'en prie.

            (Qu'est-ce qu'il lui prend? Etrange cette fille... un peu pète-sec... il faut dire que dans la  banque, ça doit pas rigoler tous les jours... Comment elle s'appelle déjà?... un prénom bien français: Caroline? Catherine? Valérie? Je crois bien que c'est Valérie, ou plutôt non, Véronique... non, c'est pas ça non plus... J'aurais bien pris un peu plus de toasts moi...)

ELLE  - C'est rien, je croyais entendre couler un robinet.

           (Ouf! il les avait jetés dans la poubelle des toilettes... Cinq, je les ai comptés... pas un de déchiré. J'ai vérifié à la main. Quelle frayeur!...)

LUI           - Je te comprends, y'a rien de plus énervant qu'un robinet qui fuit.

           (Debout, elle n'est pas si moche en fait... elle a même un assez joli cul... Je crois que c'est sa chemise de nuit qui lui fait du tort; des Mickeys à son âge...)

ELLE   (Eh! mais c'est qu'il a un beau sourire quand il veut... Au fond, avec quelques kilos en moins et un peu d'entretien, il pourrait être pas mal ce grand singe... Tout de même, quand j'y pense, cinq fois dans la nuit... Cinq fois!!...  Ma cocotte, je crois que tu as eu  ton  compte pour les six prochains mois...)

           - Merci...

LUI            - ??? Mais... de rien...

           (Pourquoi elle me dit merci?...)

ELLE   (Pourquoi je lui ai dit merci?...)

        - ... Excuse-moi, je pensais à autre chose... Je vois le temps qui passe, là, et j'ai tellement à faire aujourd’hui...

                           (silence gêné)

LUI           - ... Bon, ben, je vais y aller, moi...

ELLE  - ...OK.

            (Mais qu'est-ce que j'ai dit?... Mais pourquoi il se lève comme ça?... J'ai fait une gaffe ou quoi?...)

LUI           (J'ai vraiment l'impression qu'elle me fiche à la porte... Curieuse, cette fille... à peine radoucie, elle se renfrogne déjà... à un moment pourtant j'ai senti que le courant passait entre nous... dommage...)

         - Super le petit déj.  J'étais content de faire ta connaissance...

ELLE  (Mais enfin, il ne va pas partir comme ça, c'est pas possible... Il va au moins me laisser son téléphone... Je ne sais même pas son nom...)

           - Moi aussi, très contente...

           (Mais dis quelque chose, dis quelque chose... Laisse-lui ton numéro, t'es conne ou                       quoi?...)

LUI           - Alors salut!

ELLE  - Bye!...