breaktown
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BREAKTOWN
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Que dire de cette nuit blanche ? Pas grand-chose, et le type courait toujours. Sanders refusait d’ignorer combien Cornelia détestait son boulot de flic, au point que très souvent, elle imaginait un divorce à l’amiable. Deux de ses gars avaient été flingué par ce tueur, et impossible pour eux d’en connaître son identité. Deux morts, c’était de trop pour la brigade. Depuis trois années consécutives, Chinatown treizième devenait peu à peu une zone de non droit, un espace de libre mort où chacun pouvait y retrouver la sienne avant l’heure fatidique. Et justement ce soir, malgré leurs véhicules blindés et leurs tenues anti-flingage, le tueur savait où il devait placer ses balles. Pas de ces jeunes qui se croient supérieurs à la loi, non, mais un professionnel construit par des combats entre deux armées. Il savait tirer l’enflure, se disait Sanders, et pas avec un petit calibre mais de la lourde armurerie. Du gros calibre, pas un bruit, l’utilisation d’un silencieux, une balle entre les deux yeux, il connaissait son affaire, mais pourquoi tuer des flics en patrouille ? Certes, le quartier devenait malsain, truffé par de petits truands qui vendaient de la coke mais aussi des armes et surtout, les organes des morts de la cité. Et puis, il y eut ce cadavre dont la police scientifique en avait conclu qu’il s’agissait de celui d’un être non humain ! Soit, on ne croyait plus aux extra-terrestres comme par le passé, chacun s’en fichait éperdument, sauf que là, les légistes pouvaient le jurer, ce cadavre n’était pas celui d’un humain. Devant sa machine à écrire, un vieux clou des années où la police utilisait le matériel des anciens, il se demandait qui écrire comme rapport. Deux morts coté flicaille, s’en serait de trop pour l’administration. Bien que commissaire, Sanders réfléchissait si oui ou non sa demande de mutation terminerait sur le bureau du grand directeur ? Une nuit blanche, voilà ce qui l’attendait, loin de la chaleur du son appartement, du corps aimant de son épouse malgré de lourds orages en face à face. Et il sentait la sueur, ce qu’il détestait le plus, et impossible d’aller se prendre une douche à cause d’une avarie dans le circuit d’eau chaude ! La poisse en quelque sorte. Lui qui aimait tant le bon parfum acheté dans l’une des boutiques à la mode, voilà que son corps lui démontrait combien l’homme est si proche de l’animal ! Il pue le musc sauvage à l’état naturel et il déteste cela, mais tant pis, il doit rester pour cette nuit et entériner son besoin de partir de l’hôtel de Police. Trouver un cadavre qui n’appartenait ni à l’espèce humaine ni à l’espèce animal, et ce dans la zone chinatreize, voilà une énigme à résoudre au plus vite. Cette zone, Sanders la connaît depuis son enfance. Du bruit, des larmes, des corps qui s’ajoutent à la longue listes des disparus, une zone interdite par la loi, des militaires comme gardes cotes ! Plus personne n’à le droit de franchir la frontière entre cette grande cité d’où proviennent les lumières et les ténèbres où mugissent les morts. Et voilà que le voile s’entrouvre, des mots glissent le longs des parois d’une gare désaffectée, de vieilles machines crèvent à attendre que l’on veuille bien les rendre poussière… Et ce cadavre surgit du néant, un squelette qui ne parle pas, qui ne dit rien et se tait dans le regard des scientifiques. Il est là, devant lui, comme le destin qui franchirait une porte entrouverte mais qui se retrouverait face à lui-même. Une sorte de miroir entre l’intérieur et l’extérieur. D’où vient-il ce cadavre, peut-il parler seulement avec lui ? Sanders ne sait pas grand-chose de ce dossier, sauf que la zone a rejeté cette empreinte pour un combat inégal. Lui le flic, et là, ce destin qui semble vouloir se moquer des êtres vivants tel un clown sous un chapiteau. Mais où sont les gosses qui riaient autrefois ? Un corps, c’est d’une grande banalité dans ces cités sans âme, mais si jamais il devient l’hôte inconnu de cette science si parfaite, alors tout est chamboulé dans le monde, et les croyances finissent par s’éteindre peu à peu. Tiens, son subalterne vient d’arriver. C’est un flic sans bavure, pas le moindre défaut, un ancien gangster devenu policier dont les mains ne tremblent jamais. Toute mission est la sienne, pas un écart, aucune erreur. Il sait déjà ce que va lui demander Sanders. Il le sent, il vibre déjà par chacune de ses molécules. Lui le flic qui manquait à la brigade de recherches sans réponse. La BRSR, vingt ans déjà, des résultats improbables qui pourtant, arrivent sur le bureau du grand directeur. Au dessus, le ministre de la sécurité du territoire. L’homme frappe à la porte.
- Entrez, dit Sanders.
Et l’homme entre et salut son chef hiérarchique.
- Salut, tu as demandé à me voir ?
- Assieds toi Yossef, un sale pétrin pour un sale boulot. Tu mets les mains dans l’engrenage et c’est tout le corps qui passe au laminoir.
- Que se passe t-il, semble vouloir sourire l’inspecteur.
- Un cadavre sur les bras, et pas celui d’un homme ordinaire ni même un zonard de chinatreize.
- Ah bon ? Une gonzesse non répertoriée dans nos fiches ?
- Non, un cadavre qui n’apparaît nulle part dans nos fichiers humains, je lui dis.
- Tu rigoles ou tu essaies de me faire rire ? Un cyberchose alors ?
- Il parait que ce cadavre provient d’une entité non humaine, donc hors de nos frontières cosmiques.
- Un extra-terrestre ? Elle est bonne celle-là ! Tu sais aussi bien que moi tout ce qui nous vient du passé n’est que friandises sans goût, des balivernes pour mieux s’accaparer les esprits simples ? On sait que jamais les américains n’ont aluni une seule fois, que les machines volantes ne sont que balivernes, alors les scientifiques se foutent bien de notre gueule, tu ne crois pas ?
- Inspecteur BELMONY, recouvrez vos esprits, nous avons mis le doigt dans une saloperie d’engrenage. Ce cadavre ne vient pas de notre planète d’après les conclusions de nos maîtres en sciences appliquées.
- Tu parles, mon cul oui, ils se sont toujours trompés pour ce qui concerne notre histoire et les inventions antérieures.
- Certes, mais pour cette fois, ils ont eu raison. Ce cadavre ne vient pas de notre foutue planète, mais d’ailleurs. Et nous devons enquêter au sein de la zone chinatreize.
L’inspecteur regarda son supérieur hiérarchique.
- Enquêter pour un cadavre qui vient d’une autre planète, vous plaisantez, c’est impossible voyons. Il y a sans aucun doute une autre solution que ce pseudo bonhomme qui est venu mourir dans ce bled pourrit.
- Je serais de votre avis, alors dites moi cette autre solution.
- Ecoutez commissaire, renchérit l’inspecteur, cette zone est interdite depuis des siècles, autrefois elle appartenait à la communauté asiate, puis le gouvernement de l’époque a mit son grain de sel. Il y a dans cette zone incontrôlable par nos services mais contrôlée par les gouvernements successifs, des expériences assez loufoques. La preuve ce cadavre…
Sanders le regarda en souriant. Oui, bien sûr, des expériences qui vont déboucher sur quoi au juste ? Et ce cadavre retrouvé aux portes de la zone interdite, sur l’espace contrôlé par leurs services, et pourquoi ? Le téléphone sonna plusieurs fois avant que le grand patron en décroche le combiné.
- Oui, allo, dit-il…Monsieur le Préfet…Oui, bien sûr, nos services…Ah bon ? Ecoutez, si c’est possible…Un ordre qui viendrait de haut…Oui, je comprends…Bien, respectueusement Monsieur le Préfet…Je ne manquerai pas de le lui dire…A votre épouse aussi Monsieur le préfet..
Le grand patron reposa le combiné sur son socle et regarda le commissaire droit dans les yeux.
- Officiellement, vous fermez ce dossier et passez à une autre enquête…Vous comprenez ?
- Et officieusement Patron ?
- Vous continuez l’enquête mais attention, vous travaillerez en sous-marin, pas question de revenir en arrière. Surtout qu’un autre cadavre est apparut dans la strate cinquante et une, l’ancienne porte d’Italie. Il faut savoir d’où viennent ces corps et pourquoi ils sont là. La zone chinatreize est fermée depuis des siècles et même l’armée l’a quittée il y a cinquante ans. D’après nos scientifiques, cette zone est endeuillée par une forte émanation de gaz toxique et surtout elle possède des risques d’écroulements perpétuels. Enquêtez en douceur commissaire, ne prenez aucun risque mais je veux des résultats. Entre nous, je suis en train de jouer ma place de député aux prochaines élections, vous savez ?
- Oui, je vous comprends Patron. Je n’irais pas seul mais avec l’inspecteur BELMONY, nous faisons équipe depuis de nombreuses années.
- Bon choix commissaire, j’ai toute confiance en vous et en l’inspecteur BELMONY. Allez maintenant, et revenez moi avec de bons résultats. Vous avez carte blanche pour diriger cette enquête.
- Merci Patron, mes hommages à votre dame.
- Je n’y manquerais pas. Bonne chance…
Sanders salua son boss et quitta le bureau en refermant la grande porte doucement. Il se demandait comment pouvoir pénétrer dans cette zone qui depuis des siècles, dormait d’un sommeil paisible mais qui pourtant, inquiétait les hautes autorités gouvernementales. Et surtout un second cadavre sur les bras, semblable au premier ? Qui d’après les experts, ne provenait pas de la planète Terre mais dans un ailleurs inconnu. Et si au fond, tout cela n’était qu’une odieuse mascarade ou mieux encore, une mauvaise blague fort déplacé dans le contexte actuel ? De nombreuses questions s’entrechoquaient dans sa tête. Il voulait comprendre et résoudre bien vite ce mystère. Il savait que plusieurs nuits blanches les attendraient lui et son ami inspecteur.
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Le vieux canal charriait son eau boueuse et là-bas, l’ancienne cité des sciences dormait d’un paisible sommeil de mort. Les deux flics regardaient la route qui défilait sous les roues de leur vieille guimbarde, une ancienne machine régulée par une mini centrale électrique dont l’énergie provenait d’une barre d’uranium. Des points de rouille un peut partout, un seul phare et des pneus bien usés de longues dates. Mais cette machine tournait encore, et lorsqu’ils arrivèrent non loin de la porte d’Ivry, le commissaire gara son véhicule tout proche d’une carcasse de tramway. Il se retourna vers son compagnon.
- Nous sommes arrivés. Cette nuit sera longue, et je crains le pire dès que nous passerons les barrières lumineuses. Si jamais les équipes de sauvetage nous perdent, toi et moi c’est terminé.
- Je sais bien, mais c’est le boulot, en conclu l’inspecteur. L’air pue dans ce coin, et pourtant, plus rien qui puisse envisager une pollution ancienne ?
- Tu as la trouille Yossef ?
- Pas toi mon pote, rigola l’inspecteur, toi le caïd de la police, tu n’as pas la trouille dans ton froc ?
- Si, j’ai la peur qui gargouille dans le ventre, mais on doit faire le boulot, alors sortons et on verra bien. C’est vrai que çà pue ici !
Une odeur de putréfaction, une odeur de merde que l’on mélange avec celles du bitume et du caoutchouc. Une odeur qui vous arrache les narines et les poumons tellement l’air se charge d’hydrocarbure. Pire que la pollution des autres zones urbaines ! Les deux flics avancent lentement, brisent les chaînes qui entravent le passage des piétons et des véhicules. La nuit soudaine fonce vers eux, et ils sentent un frémissement léger qui plane sur ce coin de la cité. On croirait à cet animal que l’on vient de réveiller après un sommeil de plusieurs siècles. Pourtant, rien ne bouge vraiment, les immeubles, les carcasses des voitures dont la rouille pénètre au plus profond de chaque molécule. Rien ne bouge, et pourtant, un frémissement opère en douce. Les deux policiers restent sur leurs gardes, ils cherchent une silhouette ennemie, la masse volumineuse d’un engin mortifère, un groupe dirigé par quelques fanatiques comme autrefois grèves et manifestations. Mais rien, alors ils décident d’un commun accord de descendre dans le métro car l’unique entrée est restée ouverte. La bouche sanglante d’un vampire endormi, celui d’un cannibale qui attend sa proie, elle est là, vaincue par le temps. Elle pue de sa gueule ouverte sur la brume, elle attend sa prisonnière, elle écoute le pas qui frappe le bitume. Dans son ventre, l’illusion de la vie devenue folle. Elle n’est plus rien qu’une chose sans importance créée par des morts. Et voilà que ces deux êtres bien vivants la martèlent d’un pas incertain qui la rend frémissante. Depuis le temps que nul n’a osé de ses pieds lui rendre grâce qu’elle en oublierait son passé glorieux pour redevenir cette entrée et cette sortie de ce monde furieux de vivre. Les deux flics se sont approchés d’elle, ils ont commencé leur descente pas à pas, marche après marche. La nuit dans cet espace insondable, la puanteur qui les rend vulnérables, ils voudraient la fuir mais non, ils iront plus loin dans les entrailles du monstre. C’est leur boulot, il doit se faire parfaitement, ils sont deux flics après tout ! L’un d’eux sort de sa poche un e torche et le faisceau lumineux balai cette ténèbre dont la survie vient de se soumettre aux exigences des photons. Qui la pénètrent, qui la violent, qui la tuent. Mais elle renaît bien vite pour entourer les deux hommes qui se retrouvent sur le quai désert. Pour attendre et attendre toujours que la brise en vienne à froisser leurs peurs viscérales. Et soudain, alors qu’ils s’obligent à ne plus trembler, la ténèbre fait place à la grande lumière. De partout, des voyageurs affluent, se bousculent, s’engueulent. Et arrive une rame de métro très ancienne. Banquettes en bois, voitures vertes pour la seconde classe, rouge pour la première classe. Près d’eux, un homme ne cesse de lire le cadran de sa montre bracelet.
- Je suis en retard, je vais être en retard, tous les matins je suis en retard, et mon supérieur m’en fait la remarque, dit-il à l’inspecteur BELMONY.
- Moi, je ne comprends pas, je n’arrive pas à trouver la station de correspondance pour Belleville, dit une femme au commissaire.
Et ni l’un ni l’autre n’arrivent à comprendre ce qui se passe. Tour de magie du destin, une vaste connerie dans la pendule des siècles qui marque d’une empreinte le temps des vivants ? Time out from the machine, disait une publicité sur l’un des wagons. A ne rien comprendre, à ne rien savoir non plus, cette zone perdue reprenait vie subitement. Il y avait foule sur le quai, et lorsque les portes s’ouvrirent, les uns montèrent à bord de la rame alors que d’autres en descendaient.
- On suit, lança le commissaire à son adjoint.
Ils s’engouffrèrent dans l’une des voitures vertes pour attendre le départ. Les portes claquèrent et le convoi démarra lentement. Tout autour des deux flics, des gens anonymes, les visages de marbre et la bouche close, regards perdus dans l’infini. Sauf cette femme qui hurlait contre son gosse qui lui, pleurait à chaudes larmes.
- Ton père va te foutre une branlée que tu auras bien méritée, sale petit con !
Le commissaire se pencha vers l’inspecteur.
- Sommes nous en train de rêver où sommes nous vraiment au sein du vingtième siècle ?
- Je n’en sais rien commissaire, on verra où nous mènera ce métro. Il n’existe plus depuis plusieurs siècles, çà me surprend de le voir rouler encore et ici, en zone interdite ?
- Ne sommes nous pas dans l’une de ces expériences que nous concoctent les ingénieurs du « spacetime » qui passe régulièrement sur la chaîne hertzienne ?
- Je ne le crois pas, ou alors prendre deux policiers en otages et les filmer à leur insu, ils vont risquer gros, remarqua l’inspecteur. Et nous sommes en mission, il ne faut pas l’oublier.
- Regardez autour de nous, ces visages…
- Oui, qu’ont-ils de particulier ?
- On croirait des masques conçus dans une sorte de gélatine pour mieux en masquer le véritable visage.
- Je ne vois rien de particulier, commissaire, rien qui puisse me faire croire que…
Il y eut brusquement une secousse et la rame fit son entrée dans la station « Porte de Choisy » dont les publicités murales ventaient certains produits d’autrefois.
- DUBON, DUBONNET, boisson du connaisseur…BANANIA au petit déjeuner, du ressort pour la journée… BIC, le stylo bille du futur…
Le commissaire SANDERS et l’inspecteur BELMONY n’en revenaient pas. Des publicités qui dataient de ce vingtième siècle qui n’apparaissait que dans des dossiers informatisés de la grande mémoire collective du monde. Et là, sous leurs yeux incrédules… Les portes claquèrent de nouveau, et le convoi s’ébranla en direction de la prochaine station. Debout coincés l’un contre l’autre à cause de la foule environnante, les deux hommes ne pipaient mot. A quoi bon parler puisque les mots ne pouvaient leur servir qu’à exprimer leur inquiétude palpable corporellement. Ils avaient peur et pourtant, ils voulaient savoir ce qui se passait réellement dans cet espace creusé dans le sol d’une planète qu’ils croyaient connaître. Et qu’ils découvraient à leur insu.
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Oui, ce fut une nuit blanche malgré cet univers plus sombre qu’un film d’épouvante. Prisonniers de cette machine infernale, les deux flics devaient suivre la houle qui allait les emmener loin de leur paysage contemporain. Etait-ce à dire que l’auteur de ce récit en avait décidé ainsi ? Seul pouvait répondre à cette question mais que je sache, il se refusait d’en déduire quoi que ce soit. Oui, l’auteur c’est moi, et je m’en fiche de vos questions et de fausses vérités, qu’ils aillent au diable mes détracteurs, car pour l’instant, deux flics se retrouvent emmurés dans un labyrinthe temporel et je n’ai pas l’intention de leur rendre la liberté. Ils ont une mission à remplir, alors qu’ils la remplissent, tout ce qui concerne vos pensées, vos réflexions à mon sujet comme auteur, je m’en contrefiche. D’ailleurs, c’est amusant, j’aime ce voyage qui ne mène nulle part tout comme ma vie ne me mène qu’à ma mort, et idem pour vous évidemment ! Bref, allons voir nos deux policiers dans ce métro rempli par de vrais zombies que j’ai su créer de toute pièce, hé hé !
L’auteur s’efface donc, et laisse la place aux acteurs qui se retrouvent toujours coincés entre deux matrones et une bande de zozos bien peu catholiques. A dire vrai, je plaisante voyons, ils sont dans l’une des voitures entourés de faces maigres. On ne se parle pas, on ne se bouscule pas non plus. Tout est parfaitement mécanisé, sauf quelques sujets dont l’indiscipline ferait sourire les bien pensants de la moderne pensée uniforme. La rame entre dans la station Maison Blanche qui parait désaffectée vu que le convoi ne s’y arrête pas. Puis encore ce long couloir sombre, et voici la station Tolbiac. Le métro s’arrête, les portes s’ouvrent et quelques individus descendent mais aucun ne monte. Puis on repart et les deux policiers se regardent. Ne sommes nous pas à la frontière entre la zone interdite et celles autorisées ? Oui, c’est vrai, et lorsque le métropolitain stoppe ses machines à la station Place d’Italie, une voix de femme résonne dans la station.
- Tous les usagers sont priés de descendre pour la correspondance. Nous ne délivrons aucun billet sauf en cas d’urgence.
Les deux flics sont sortis et suivent le troupeau de gens qui ne grimacent bien peu. Comme si il s’agissait d’un rituel. La correspondance les entraîne à monter puis à redescendre les marches de ciment. Et là, de nouveau sur un quai, les yeux exorbités par cet odieux mensonge, ils se retrouvent sur le quai de la station de départ, la porte d’Ivry ! Et c’est le même scénario qui se déroule en leurs présences involontaires comme il se doit.
- Je suis en retard, je suis toujours en retard, et mon chef va m’enguirlander, dit un homme à l’inspecteur. Le même petit bonhomme, toujours tremblant. Son visage est inflexible, il est très pale aussi. On le croirait de cire…
Et la rame fait son arrivée. Quatre voitures vertes à banquettes de bois, et une seule de couleur rouge, la première classe, avec des banquettes en cuir tanné. Une vieille femme hurle contre son petit fils en le traitant de con, lui promet une trempe de la part de son paternel. Sur les murs en carreaux blancs, on peut lire le nom de la station : Porte d’Ivry et non plus Place d’Italie. Les grands panneaux publicitaires ont laissé la place à des tableaux de peintre, comme si par enchantement, la culture effaçait des millénaires de réclames en tout genre ! Sur les visages, on dirait que la cire ne tient pas, qu’elle coule à chaudes larmes comme le fait actuellement le môme qui vient d’être giflé par sa grand-mère. Surgit on ne sait d’où, un contrôleur fait signe à la vieille dame de se taire et de laisser le gamin jouer avec une corde à nœuds. SANDERS et BELMONY ressentent alors un malaise inconnu qui les parcoure de bas en haut, les transcende et les fait transpirer. BELMONY demande à son supérieur hiérarchique de bien vouloir qu’il accepte de quitter ce navire sur rails. Tour cela lui parait faux, une sorte de mise en scène dont le scénario n’est pas encore trouvé. SANDERS accepte l’offre de son subalterne.
- A la prochaine station, nous descendons et nous fuyons ce monde absurde. Je me demande si nous ne sommes pas en train de rêver à…
- Non, lui murmure une jeune fille à l’oreille, fuyez avant le grand déluge… Sinon vous seriez ici pour l’éternité !
SANDERS la regarde. Elle lui a parlé mais aucune de ses lèvres n’a bougé ? Le comble ! La station Tolbiac arrive et le convoi stoppe de nouveau ses machines. Les portes s’ouvrent, et les deux policiers sortent en bousculant quelques pantins de cire. Puis une fois les portes refermées, le métro s’engouffre dans la bouche du tunnel qui l’ingère en quelques secondes. Et les voici tous les deux dans une station vide de tout personnage ubuesque, excepté une silhouette habillée d’un long manteau bleu. Plutôt grande, un regard lumineux mais limpide aussi, elle s’avance vers les deux hommes pour les interpeller.
- Braves gens de la vie, bienvenue chez moi, dans mon antre circonflexe. Vous seriez comme chez vous je ne saurais vous le proposer, mais voyons, vous autres vivants aimez la bizarrerie au point de venir pousser les portes closes du destin.
SANDERS et BELMONY voient arriver vers eux une sorte de manant habillé chic.
- Mon nom est DORF, et je suis le gardien de ce lieu si particulier dont le nom donné par vous, humains, est celui d’enfer ! Oui, vous avez bien entendu, vous êtes ici en enfer, pas le vôtre certes, mais celui que le créateur a voulu dès le début des organismes vivants et à la conscience de soi non perturbée. Ici, celui qui veut voir est aveugle, celui qui aime caresser est manchot, celui qui aime parler est muet. Ainsi cet homme toujours en retard ne pourra jamais monter dans le train d’avant, il sera toujours dans la rame suivante et devra tout recommencer. Quand au bambin, il tremble à l’idée que son père lui donne une tannée mémorable mais qui jamais ne se fera. Alors il souffre à se languir de se voir d’une importance considérable aux yeux de son paternel. En attendant, il morflera à cause des coups portés par sa grand-mère. Quand aux autres, simples figurants décidé par l’auteur, un savant maquillage en fera de mauvais usagers du métro. Pour ce qui vous concerne, acceptez toutes mes excuses pour les cadavres jetés par-dessus bord de nos frontières respectives. Une erreur injustifiée par l’auteur lui-même qui n’osera jamais le reconnaître. Maintenant, continuez votre périple au travers de notre espace car il vous comblera de disgrâces. Bon voyage mes amis.
Oui, bon voyage à nos deux explorateurs car ce qui va suivre restera dans leurs mémoires à jamais inscrit.
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La rue les attendait, c’est sûr. Des murs, des immeubles, du bitume et pas une seule silhouette. Mais pourtant, un léger frémissement les parcourait comme un fluide le long du corps. Ils savaient que le monde vivait dans les souterrains du métro, et que les autobus glissant sur la route, ne possédaient ni conducteur ni voyageur. Pourtant, ils glissaient silencieux sur le bitume gris foncé de la voie routière. Ils se retrouvèrent dans la rue de Tolbiac, et plus bas, ils virent la grande église qui de sa hauteur, s’enfonçait silencieuse, dans le sol. Puis, à sa place, un immeuble de plus de cinq cent mètres sorti de ce sol tel un champignon poussé grâce à d’illicites produits chimiques. Il resta quelques minutes puis s’enfonça dans le sol comme le fit la grande église. Eberlués, les deux hommes se regardèrent. Plus près, coté droit, un immeuble s’enfonça lui aussi dans le sol mais rien ne réapparut pour le remplacer. Pas même un trou, rien, juste un terrain vague sur lequel du gazon agrémenté de fleurs rouges et jaunes. A ne rien y comprendre, les flics décidèrent de quitter la zone interdite. Ils en avaient trop vu, et surtout, ne pouvaient comprendre ce qu’ils avaient subit dès leur arrivée. Alors, venue de l’ombre, une jeune femme les accosta. Jolie, habillée d’un tailleur bleu limpide, de longs cheveux noirs qui flottaient sur ses épaules. Elle leur sourit pour leur dire quelques mots.
- La vérité est toujours abordable, insignifiante parfois, inutile souvent. Suivez moi, je sais où elle se cache, venez, pas de crainte à mon sujet, venez !
Un beau visage, des traits fins, une peau laiteuse, un corps parfait, des courbes féminines alléchantes, juste ce qu’il faut pour faire d’une femme la beauté éternelle ! Subjugués par un tel regard, par cette voix si douce, les deux types la suivirent sans se poser de question. A quoi bon d’ailleurs, surtout après avoir vu et vécu de tels moments inoubliables ? Ils se retrouvèrent très vite dans les rues sombres de la zone interdite, des immeubles dégueulant de solitude, d’abandon, laissés aux risques improbables d’une nature construite par des humains sans âme. Une avenue, des boulevards, et cette rue qui mène à ces vieux immeubles décrépis. La jeune femme, négligemment, est un déhanché voluptueux et volontaire, elle ouvre la voix qui va mener les deux policiers au centre de la vérité que l’auteur va devoir taire face à ses nombreux lecteurs et lectrices. Un porche, une cour, un vieil arbre mourant au milieu, et là-bas, un porche plus petit abritant des marches d’escalier. Un nombre, le cinquante et un, et cette lettre qui n’a aucune signification précise, le D ! Cela sent mauvais, très mauvais, la puanteur d’une sorte de chair rance et des déchets qui peu à peu, se désagrègent au fil du temps. La fille monte lentement suivit par les deux policiers qui ont la main sur leurs armes prêtent à tuer quiconque en voudrait à leurs putains de vies. Enfin, ils arrivent au quatrième étage simplement éclairé par une loupiote de basse consommation, à peine soixante watts inscrit sur l’ampoule. La porte numérotée cinquante et un se trouve du coté droit de la montée. La fille frappe trois coups légers, puis deux petits très rapides. Et la porte s’ouvre comme par enchantement ! C’est fou comme l’auteur est fier de cette trouvaille, l’imbécile. Une porte qui s’ouvre toute seule, on voit çà dans les récits à négligence littéraire non ? Les flics ont le doigt sur la gâchette, ils peuvent défourailler très vite en cas d’urgence. Ce sont des professionnels, pas des louveteaux. Elle les fait entrer dans un appartement qui sent aussi mauvais que le quartier. Là se trouvent une table remplie de victuailles périmées, de couverts sales, d’une radio muette, un réfrigérateur éteint, une chaudière à mazout crasseuse. Et un homme qui frappe sur les touches d’une vielle machine à écrire ! La femme s’en approche, tape sur son épaule et je me retourne.
- Ils sont là Monsieur, me dit-elle.
- Merci, que je lui réponds. Asseyez vous Messieurs de la Police. Je termine ce que lisent actuellement les lecteurs, et je suis à vous. Voilà, c’est fait, à nous trois.
Je me suis retourné vers eux. Je ne les imaginais pas comme çà puisque pour moi, ils ne sont que des mots sur une feuille blanche.
- Ainsi, l’auteur c’est vous, me lance méchamment le commissaire.
- Oui, je suis l’auteur, le vôtre et aussi celui de votre collègue et du monde qui nous entoure.
- La zone est pourrie à cause de vous je crois, me dit l’inspecteur.
- On peut le penser, mais à vrai dire pas vraiment. Je ne suis que le passeur temporel des cycles du vivant. Vous savez, il me suffit de déchirer la feuille blanche qui se trouve actuellement sur ma machine à écrire, et vous disparaissez !
- Ah bon ? Vous êtes un sacré fumier, vous vous prenez pour qui ?
- Mais cher inspecteur, je suis ce que je suis, à savoir l’auteur de ce récit et rien d’autre. Ensuite, je ne vis pas dans cette histoire, je vis ailleurs, et je travaille sur un ordinateur et non cette machine à deux ronds.
- Mais alors, qui êtes vous si ce n’est vous ici avec nous, mais dans un autre monde, ricane le commissaire. Et pourquoi sommes nous là, et ce, devant et avec vous ?
- Parce que je l’ai voulu, je réponds. J’écris ce que je veux, et lorsque vous partirez d’ici, laissez la porte ouverte, je dois sortir le chien. Maintenant laissez moi, je veux rester seul, et encore merci de votre visite, Messieurs de la Police !
Les deux hommes se sont levés afin de ne pas déranger l’auteur qui s’était mis à écrire de nouveau. Il le fallait sinon vous ne pourriez lire ce qui est écrit devant votre regard. Ils ont quitté l’appartement, laissé la porte ouverte, et ils ont descendu l’escalier de ciment gris. Cela puait toujours les entrailles humaines défraîchies, le vomi de clodos, la merde de chiens galeux, la pisse de vieille femme. Maintenant, ils connaissaient la vérité, mais à quoi bon, personne ne pourrait les croire une fois retrouvé leur monde bien à eux dont je ne suis pas le coupable créateur. La nuit effaçait toujours et encore les empreintes laissées par la mémoire du temps, aussi, l’un comme l’autre, comprirent que désormais, la vérité de la zone serait interdite à jamais. Chinatown treizième ne serait qu’un espace inviolable et pour les siècles à venir, un trou béant où espace et temps se conjugueraient par illusion interposée. Pour ma part, tout redevenait comme d’habitude, j’allais sortir mon chien et me promènerais tranquillement au cœur de ce Chinatown treizième abandonné. J’imaginais les deux policiers rentrant bredouilles dans un commissariat en liesse. Chacun voudrait savoir ce qui se passe dans cette zone interdite, mais ni l’un ni l’autre n’en parlerait.
- C’est un endroit crasseux et abandonné, cela pue à des kilomètres à la ronde, il y fait froid et l’air y est pollué plus encore que le nôtre. Les immeubles ne sont que des cloisons vides, et il n’existe aucun écho. Par contre, oui, c’est un endroit dangereux, nul ne doit y pénétrer. Nous avons eu beaucoup de chance d’en sortir indemnes. Je crois que le dossier est définitivement clos.
- Bien Commissaire, refermons le et laissons le dans nos archives loin de tout regard inquisiteur.
- Merci monsieur le Directeur, dit Sanders en souriant. Je vais me prendre un peu de repos.
- Profitez en, et dites à l’inspecteur BELMONY d’en faire autant.
- Merci monsieur le Directeur, et à bientôt.
- A bientôt, répondis-je en souriant. A très bientôt Commissaire.
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Johnnel BERTEAU-FERRARY est né le 19 Janvier 1953 dans le treizième arrondissement de PARIS.