Breathless

Jerry Milan


Je m'étais assoupi un petit moment en farfouillant dans mes souvenirs. Eh oui, les souvenirs étaient tout ce qui me restait à présent. Il parraît, qu'à l'instant précis de la mort, quand nôtre âme quitte l'enveloppe corporelle, nôtre cerveau encore en vie se re-mémorise en quelques
fractions de seconde tout le parcours de nôtre vie. Une espèce de flash. J'ai eu ce feeling. Et ces flashes continuaient à me parcourir à chaque fois que je repérais une odeur, une sensation, un objet, un vêtement ou une personne se trouvant dans mon rayon de vision ou dans l'espace dans lequel j'évoluais. Par exemple, il suffisait que j'enregistre une paire de bottes et instantanément j'avais toute la fiche correspondante qui sortait de ma mémoire. Le lieu et le date d'acquisition, leur prix, toutes les fois que je les ai porté et pour quelle occasion. Où je suis allé
avec et en compagnie de qui, etc. C'était d'une précision redoutable. Aussi précis qu'une mémoire d'ordinateur ou en un clic on pouvait sortir une fiche complète de renseignements. Nôtre cerveau était bien plus élaboré que l'ordinateur le plus puissant existant à ce jour. Et surtout, sa mémoire continuait à fonctionner même quand celui ci a été dématérialisé. La non-matière existait donc bel et bien? J'avais entendu parler des expériences où les mathématiciens et chercheurs en informatique ayant atteint la limite de la capacité de calculs et de la puissance des processeurs en cuivre et silicium ont trouvé avec des chimistes les formules pour en fabriquer des biologiques, faites des cellules en matière organique. Celles-ci ne chauffaient pas, calculaient à une vitesse fulgurante et avaient une mémoire illimité. En fait, ils ont réinventé une espèce de super-cerveau tout simplement. Bien plus puissant en somme, surtout quand on sait que l'être humain n'utilise qu'une infime partie de ses capacités. Une mémoire virtuelle!!! Voilà ce que je suis devenu. Une
putain de mémoire virtuelle...
Une drôle d'expérience. J'adorais les expériences. Celà me faisait penser à un jour où en classe, nous avions coupé une patate puis relié les deux moitiés par une diode. Dans une moité on avait planté un fil servant d'antenne et dans l'autre une espèce d'écouteur. Le miracle c'est produit et on avait une radio qui fonctionnait en captant les ondes. Tout n'est qu'une question d'ondes. On les capte et on les rediffuse tel-quel ou transformé par nôtre  cerveau/ordinateur. Les autres les captent à leur tour ou pas. La nana qui vous intéresse vous capte en étant sur la même longueur d'onde ou pas du tout. C'est ça la vie. Une simple question d'ondes, de chimie et de matière organique. La chimie, j'adorais aussi. Je piquais à l'école des éprouvettes et autre ustensiles avec des produits de base. Je me suis monté en douce une petit labo dans le débarras à coté de la cuisine et j'y faisais des diverses expériences, surtout quand mes parents n'était pas présents. Ce qui m'intéressais surtout, c'était des explosifs. Je fabriquais des petites fusées en alu dans les étuis à cigares cubains que je récupérais chez mon grand père. Je bourrais l'étuis de celuloide rappé à partir d'une règle d'écolier mélangé à des têtes d'allumettes puis je visais le bouchon muni d'un petit trou dans lequel j'enfilais une mèche à briquet. Une fois la fusée équipé de trois ailettes en carton, je la posais sur une petite rampe fixé au bord de la fenêtre et j'allumais la mèche. Le celuloide enflammé ne pouvant pas brûler complètement à cause du manque d'oxygène se consumait en produisant une épaisse fumée blanche qui propulsait violemment la fusé dans les airs. Je ne vous dis pas le nombre de fenêtres explosés de l'autre coté de la cour. Un jour un copain amène à l'école un bouquin qu'il a trouvé je ne sais où
et qui donnait les recettes et formules pour fabriquer des explosifs divers ainsi que les cocktails molotov. Ce que je trouvais le plus intéressant à fabriquer, c'était la nitroglycérine. J'avais vu un film avec Charles Vanel et Yves Montand ''Le salaire de la peur'' ou ils transportaient de la nitroglycérine dans un camion et faisaient péter les
obstacles et des gros rochers avec une seule goute. J'avais aussi lu ''L'ile mystérieuse'' de Jules Verne où il y a une page entière consacré à la fabrication de ce fabuleux produit. Nous nous sommes donc facilement procuré la glycérine à la pharmacie du coin et l'acide sulfurique de ménage. Par contre les autres produits ont été beaucoup
plus dur à trouver. Notamment l'acide azotatique. On a fini par tout trouver et piquer dans l'atelier de chimie de l'école. Nous nous enfermâmes des après-midis entiers dans mon labo-débarras prétextant à ma mère un devoir de chimie. Je ne vous donne pas les détail comment procéder pour fabriquer la nitroglycérine, mais nous y sommes presque parvenu, un petit détail mis à part: nôtre nitro n'explosait pas, mais était extrêmement inflammable. Tu faisais tomber une goute et t'embrasais le tapis. Comme je n'arrivais pas à faire tout péter avec, je
me suis rapidement désintéressé du produit et j'ai oublié le flacon sur une étagère. Un jour, mon père à la recherche d'un truc va fouiller dans le débarras et là, en relevant sa tête, il heurte l'étagère avec toutes mes chimies. Le flacon de nitro s'explose par terre et fout instantanément le feu à tout le débarras. Il a failli cramer et nous tous avec. Le temps que les pompiers arrivent, la cuisine commençait à brûler. Je ne sais pas pourquoi, mais s'en était fini avec mon labo et mes expériences.
Coté chimie, ça a par contre toujours plus tôt bien fonctionné avec les représentantes du sexe opposé. J'ai eu mes premiers flirts très jeune et mes premières relations très très tôt pour l'époque et la société dans laquelle nous vivions. Il faut dire que j'étais assez éveillé de ce coté-là
même étant très timide. Je faisait rarement le premier pas. Je ne parlerais pas de ma première relation avec une membre de la famille, je n'ai pas envie de foutre la merde si jamais ce récit tombait dans les mains du clan. Je dirais juste quelle est arrivé à peu près en même temps que ma guitare électrique. Puis ayant du succès avec le groupe on
avait aussi du succès auprès les filles. Des caresses,  bisous et mamours au bahut à la première pipe sous une porte cochère à la sortie d'un club après un gig.  A seize ans, nous avions décidé avec un pote  qu'on allait passer nos vacances d'été en France. J'y étais déjà venu auparavant avec mes parents, mon père faisant une tournée et j'ai adoré. Ayant ramassé un peu de fraîche avec la musique, nous avions pris nos guitares et le train. Mon copain avait une amie qui faisait des études dans une école d'art à Paris et louait une chambre de bonne sous les toits Rue de la Pompe. Elle partait dans l'autre sens et nous négociâmes qu'elle nous la cède jusqu'à son retour. Puis était au programme une traversé de la France en stop jusqu'à Saint Tropez pour aller mater Brigitte Bardot, dont j'étais éperdument amoureux et qui reste toujours le type de femme qui me mets le feu. Ca va me couter cher plus tard dans ma vie,d'ailleurs...

J'avais lu dans un journal qu'elle y avait une propriété au bord de la plage. Un endroit de rêve qui s'appelait '' La Mandrague'' . Elle y bronzait en se baignant toute nue.
Débarquant à la Gare de l'Est un matin, nous avons traversé Paris en plein cagnard jusqu'à la Rue de la Pompe. A pieds.  Avec nos sacs à dos et nos guitares s'orientant selon un plan acheté dans un kiosque à journaux. Bonjour la galère. Mon pote ne parlait pas un mot de français et moi à peine. J'avais appris les rudiments à l'école, car depuis que je suis venu en France, j'adorais cette langue. Mais bon, je ne comprenais pas grand chose non plus au français et encore moins au métro parisien. ''T'es con, alors tu marches !''... me disait mon grand père. Alors, nous avions beaucoup marché. La première nuit Rue de la Pompe nous tirâmes au sort pour savoir qui allait dormir dans le lit avec la fille. Elle nous avait préparé un plat de spaghettis bolo avec du bon vin
et c'était la première fois que j'ai fumé un vrai buzz d'herbe. Quelle rigolade. J'ai gagné au tirage et au grattage. Elle était jolie, sympa, drôle et âgé d'au moins trois ans de plus. Mon pote n'a pas pu fermer l'oeil de la nuit. Le lendemain il faisait la gueule. La copine partie,
c'était un coup l'un ou l'autre qui couchait parterre. J'allais tout de même pas dormir avec un mec ! Tous les jours nous traversions Paris à pied aller-retour. Nous nous
postions devant un endroit à touristes après l'avoir visité, sortions nos guitares et faisions la manche en interprétant les chansons de Bob Dylan. Je m'était acheté une douze cordes et un harmonica exprès pour l'occasion avant de partir. Ca marchait plus tôt bien. Les badauds nous balançaient des pièces dans l'étui, dansaient et des fois chantaient même de concert avec nous. Mon endroit préféré était L'ile de la Cité. Nôtre Dame faisait le dernier
arrêt avant Saint Michel avec son énorme flot de touristes. A la pointe ouest sous le Pont Neuf se trouvait un parc. C'était là que se rassemblaient les beaux jours, tout ce que Paris possédait en faune hippie. On bronzait, chantait, fumait des pétards en se bécotant avec les filles. On se baignait dans la Seine. Tout le monde s'aimait et
surtout, ces filles sans aucune inhibition sexuelle avaient un appétit très vorace. La nuit, en suivant les quais on se trainait à pied jusqu'à la Rue de la Pompe. Un dimanche après-midi sur L'ile de la Cité je suis tombé sur Véronique. Une petite nana très mignonne,des cheveux longs et bien sapé. Et pour cause, elle bossait comme vendeuse dans une boutique de fringues rue Chaussée d'Antin. Juste face à la sortie latérale des Galeries Lafayette. Nous avons d'abord bien fumé, chanté et rigolé. Le soir, elle m'a amené chez elle. A partir de cet instant, s'en était fini pour moi avec la rue de la Pompe et mon pote rentrait seul le soir. Et moi, ça me faisait bien plus près pour aller à Montmartre où à Saint Michel. Du coup, quand en se quittant, on se donnait le rendez-vous pour
le lendemain. Ce dimanche-là, je m'en rappellerais toujours car je crois, que je suis tombé vraiment amoureux pour la première fois. Les filles que j'ai eu avant n'ont pas vraiment réveillé en moi ce genre de sentiment. Avec Véro, j'ai senti de suite que c'était différent. Nous
avions baisé toute la nuit et même le lendemain, car le lundi elle ne travaillait pas. Mon pote a fait la manche tout seul et du coup, on a eu du mal à nous retrouver. J'ai fini par le chopper à l'Ile de la Cité le mardi en fin d'après midi. Il faisait la tronche, mais je l'ai amené avec moi chercher Véro à sa boutique et nous sommes allé tous les trois manger un couscous dans un petit bouboui à Pigale. Elle habitait d'ailleurs dans le quartier au 3, Rue Duperré juste au dessus d'un magasin de musique qui s'appelait Major Cohn et vendait surtout des cuivres. J'y suis retourné bien des années plus tard avec mon père pour qu'il s'achète un trombone Bach à coulisse. Je crois que ce magasin existe encore et s'appelle Major Pigalle. Dans la vitrine brillait de tous ses feux, parmi les trompettes, trombones, flutes et clarinettes, une guitare électrique de la marque Fender. Le modèle Stratocaster, paré d'une magnifique robe couleur sunburst. Le rêve. Une vrai Fender et pas une copie fabriqué par mes soins dans l'atelier de menuiserie de mon immeuble avec le logo collé dessus. Je passais de longs moments à reluquer cette guitare, tous les matins en partant et les soirs au retour. Le vendeur a fini par me remarquer, avec mon étui et un jour m'invita à l'intérieur:
'' Tu veux l'essayer ?'' me demanda t-il...
Je n'osais pas la toucher quand il me la présenta en la branchant sur un petit ampli tellement j'étais impressionné. A partir de ce moment j'y étais fourré des heures, dans ce magasin. Le vendeur est devenu mon pote et comme c'était un très bon guitariste, professionnel de surcroit, il m'apprenait plein de gimmicks  guitaristiques et sonores. Cette guitare m'était financièrement inaccessible, mais, il me la fallait absolument. Le problème était qu'avec nos prestations dans la rue, question revenus, nous avions, mon pote et moi, atteint nos limites. Il me fallait d'urgence trouver un autre job qui rapportait plus. Ce qu'on gagnait en faisant la manche suffisait à peine à nous nourrir et à se payer quelques extras. Et moi, je voulais tout. Des sapes, des disques,
des filles, une Fender neuve, c'en était un peu trop. Les jours ou j'allais chercher Véro au travail, je m'arrêtais au rayon disques des Galleries qu'était situé au rez de chaussé à la sortie juste en face de la boutique où elle travaillait. Je fouillais dans les bacs et j'avais les boules car mis à part un 45 tour par-ci par-là, pas un flèche pour acheter un album. Surtout que j'avais décidé de tout économiser pour me procurer cette putain de Strato neuve. J'avais un toit, une belle nana qui me nourrissait et m'apprenait la langue française, alors je mettais toutes
les pièces ramassés dans une boite à chaussures pour me constituer une cagnotte. A chaque fois que j'allais grattouiller avec mon pote du magasin, je lui faisait un rapport sur l'état de mes finances. Ca n'augmentait pas très vite. En fouillant dans les disques, j'ai fini par remarquer que le gars qui les surveillait, se barrait de temps à autre pour cinq minutes, sans doute pour aller fumer et laissait ainsi les bacs à l'abandon pendant tout ce temps. Personne d'autre ne surveillait le rayon. Je me suis alors constitué une petite discothèque en rassemblant tous les albums qui m'intéressaient dans le devant d'un bac. Une vingtaine en tout. Je l'ai fait un soir avant la fermeture puis j'ai traversé la rue pour récupérer ma chérie. Le lendemain matin,après avoir passé une nuit à se coller et à se lécher, je l'ai accompagné à son boulot et j'ai foncé au rayon disques. Tout était  resté tel que je l'ai préparé la veille au soir. Il me fallait désormais trouver un ''truc'' pour pouvoir embarquer tous ces albums ni vu ni connu et les sortir du magasin. Véro m'a alors prêté une veste en cuir trois quarts qu'elle avait en vente. Je l'ai posé sur mes épaules avec mes bras libres dessous et je suis retourné au bac à disques. J'ai attendu le moment que le gars aille fumer sa clope, puis j'ai passé la main sous la veste, saisit le paquet de disques et l'ai dissimulé sous le bras. Je me chiais dessus. Fallait surtout pas que les 33 tours se retrouvent par terre. Je suis sorti par la porte coulissante ni vu ni connu et foncé à la boutique en face.
C'est passé comme une lettre à la poste. A partir de ce moment-là, j'y faisais un tour deux fois par semaine. La veille au soir je préparais mon paquet et le lendemain matin j'allais le chercher. Je suis devenu un vrai as de la choure. Les disques, j'en gardais certains pour moi et je vendais les autres aux copains de Véro ou aux hippies. Je prenais des commandes. Ma cagnotte grossissait de jour en jour. Véro m'échangeait la monnaie à la boutique contre des jolis billets. Mon petit commerce se portait bien, mais il fallait pourtant penser à autre chose. Il n'était pas question que je me fasse gauler et puis mon séjour se raccourcissait irrémédiablement. Mon compagnon me mettait la pression pour qu'on bouge de Paris. Un soir en rentrant de la manche je me suis arrêté
comme à l'accoutumé pour caresser la belle Fender et c'est là que mon ami vendeur me présenta un mec d'une cinquantaine d'années sapé comme un prince qui cherchait un groupe ou des musiciens pour animer son restaurant sur l'Ile d'Oléron.
Je lui ai donné un rendez-vous sur les marches du Sacré Coeur, là où on se produisait mon pote et moi avec nos chansons de Bob Dylan. Le lendemain le gars se pointe, nous écoute et nous dit, que ça lui va et que si on veut, à la fin de la semaine il nous embarque pour son restau, nous loge, nous nourrit et nous laisse la moitié de notre recette du soir. En gros, au lieu de faire la manche dans les rues de Paris, on allait la faire dans un restau pour bourges au bord de la mer. On a dit ''banco''...
Alors nous voilà, Thomas et moi, embarqués un samedi matin dans une DS noire pour l'Ile d'Oléron. Ma petite copine était en vacances dans une semaine et allait nous y rejoindre. Cool...
Mais le compte de fée c'est rapidement transformé en cauchemar. Certes, l'endroit était super. Un restaurant posé directement sur la plage, mais on nous avait logé dans une espèce de bicoque pourri faite de quelques planches et, surtout, tout le staff, du cuisinier aux serveurs était homo. Tous pédés comme des phoques. Le soir, quelques clients se battaient en duel et le patron, pédé lui aussi (ce que je n'avais pas remarqué au départ) comptait sur nous pour en faire venir plus. La manche ne rapportait pas grand chose et lui en taxait la moitié. Quand je lui ai dit que ma petite copine allait débarquer dans quelques jours, il est devenu furax. Il n'en était pas question. Il fallait pourtant bien que je l'attends.
Le jour ou Véro c'est pointé et après avoir distribué quelques claques à un cuistot trop entreprenant, nous avons remballé nos guitares et sommes partis en stop vers Saint Trop. Une autre galère commença.
Faire du stop à trois, deux mecs et une nana s'est avéré une mission quasi impossible. L'heure est venu de nous séparer. Tom est parti le premier en nous donnant le rendez-vous dans quelques jours sur la plage de la Mandrague. Moi et Véro avions trouvé une combine qui marchait plus tôt pas mal. Je ma planquais dans le fossé pendant qu'elle faisait du stop. Dès qu'un automobiliste s'arrêtait, c'est à dire quasi immédiatement, je surgissais avec mon sac et ma guitare et je me jetais à l'arrière. Les mecs faisaient généralement la gueule. Quelques uns nous ont demandé de descendre, mais d'autres, ça les a fait marrer et ils nous amenaient. Arrivé à Avignon, je suis tombé sur un plus fort que moi. Le gars s'arrête et moi, je surgis du fourré. Il ne dit rien. Je mets mon sac et ma guitare à l'arrière et Véro monte à l'avant. Mauvaise synchro car le temps que je grimpe, le gars mets les gaz et s'arrache avec la porte ouverte et moi roulant parterre. En un quart de seconde j'ai tout perdu. Ma copine, mon sac et ma guitare. Heureusement, que j'ai gardé mon passeport et mon fric dans la veste du jean. Ma route pour la Côte d'Azur s'est arrêté à la sortie d'Avignon. J'avais envie de tuer.
Un camion citerne stoppa à ma hauteur et le chauffeur me demanda ou j'allais. Si je voulais, il pouvait me descendre à Marseille. Ce mec a été vraiment super. En route, je lui ai raconté en mauvais français mes malheurs et lui, n'étant pas français non plus puisque un peu basané et arabe sur les bords, il a eu pitié de moi. Nous avons posé le camion dans un dépôt et il m'amena dans sa voiture pourri chez lui. Un tout petit appart dans un immeuble ancien près du Vieux Port. Je suis resté là trois jours en attendant qu'il me trouve un camion qui pouvais m'amener sur la Côte. J'ai ainsi découvert Marseille, sa chaleur et sa misère. Point de camion en vue, alors j'ai pris le train pour Toulon, puis encore du stop et j'ai fini par arriver, épuisé à nôtre point de rendez vous. La Mandrague? Pas de plage...Que des rochers avec des accès privés. Je me pointe en ville et le soir-même, oh surprise, je tombe sur Thomas et Véro faisant la manche ensemble. Quel bonheur. Elle est arrivé en stop la veille avec toutes mes affaires. Thomas était là depuis deux jour déjà. Il avait craqué et a pris le bus. En fait, Véro était à Marseille en même temps que moi, car c'est là que le gars l'a amené après m'avoir laissé au bord de la route. Elle a eu du bol. Ce connard l'a emmerdé et ne voulait plus la lâcher. A l'époque, il n'y avait pas de portables, alors aucun moyen de communiquer. Si j'avais su tout ça... Mais tout c'est
bien fini et nous nous sommes tous retrouvé. Nous avons donc passé la première semaine d'aout en trainant et dormant sur la plage. Des bains de nuit à poil dans une eau chaude et fluorescente. Des parties de guitare avec d'autres routards. La manche pour avoir à manger. Brigitte Bardot nous attendait, mais nous l'avions oublié jusqu'au jour ou Véro est reparti en train pour Paris.
En se rendant à la Mandrague et en essayant mater par dessus la clôture, on c'est fait coffrer Thomas et moi par les gendarmes de Saint Tropez. Les vrais. Ceux du film. Nous avons passé la nuit à la gendarmerie du centre ville et le lendemain matin, ils se sont cotisés pour nous donner de l'argent et nous ont expédié dans ce même train en nous lançant:

'' Dites bonjour à Tito de nôtre part ! ''
Super, ces gendarmes. Revenu dans la capitale, nous avons repris nos activités journalières. Moi, je suis retourné rue Pigalle et Thomas rue de la Pompe. Sa copine est rentré et moi j'étais chez la mienne. La journée, on faisaient la manche et je continuait à piller les bacs à disques des Galleries Lafayette. Ma cagnotte grossissait bien. Puis le temps est venu de dire adieu à tout ça.
Pour la Strato il me manquait pas mal, mais mon ami le vendeur a été très arrangeant en me reprenant ma douze cordes et en me faisant cadeau du reste. Véro a pleuré sur le quai de la gare de l'Est et moi aussi. Je ne l'ai jamais revu. Je suis rentré chez moi, maigre et affamé, mais heureux et avec une Fender neuve et des étoiles plein les yeux et la tête.

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