Bruxelles-André Ch.30

loulourna

Peinture : La tour de babel à Bruxelles 

31-Bruxelles-André-Ch.30

Certains soirs, nos deux amis, lorsque le temps le permettait, se faufilèrent par un soupirail donnant sur la cour, ensuite traversèrent le potager pour arrivé devant un mur de brique : l’une d’elles, non celée, cachait une clé qui ouvrait une petite porte donnant sur la rue. Le retour de leur escapade se faisait par le même chemin. Depuis quelque temps, leur but principal était la baraque du marchand de frite installé au carrefour de l’avenue Brugmann et l’avenue de Wolvendael où ils pouvaient assouvir un fantasme. Humer cette merveilleuse odeur, unique au monde, du dosage magique, de morceaux de pomme de terre coupées idéalement et dorés dans de la graisse de bœuf. Sans un sou, c’est tout ce qu’ils pouvaient se permettre. C’était une façon d’agrémenter, rien que par l’odeur, le repas du soir fade et sans goût servi à l’orphelinat. En dehors des 3 kilomètres de marches forcées en rang par 4 pour se rendre à l’église par n’importe quel temps, les sorties étaient rares. André et Victor avaient trouvé le moyen de passer outre. Pour être précis, c’était surtout Victor. Leur amitié avait débuté le jour de l’arrivée d’André à l’orphelinat. Facile à se rappeler, c’était le jour des boulettes. Un jeudi, vers 11h30 heures, les parents André, avec des larmes dans les yeux l’abandonnèrent dans les mains du père supérieur qui après leur départ l’escorta vers le réfectoire. Une grande salle rectangulaire, deux longues tables pour les pensionnaires et perpendiculairement la table des pères. Ce premier repas : des boulettes de viande (90 % de mystère et 10 % de viande) accompagnées de pommes de terre insipides, tièdes et imbibées d’eau, reste encore aujourd’hui gravé dans sa mémoire. Immangeable pour André habitué à une autre cuisine. Il resta planté devant son assiette sans y toucher.

Son voisin de droite, un garçon de son âge lui demande, --- Pourquoi tu ne manges pas.

N’osant dire que c’était dégueulasse, il bredouilla Je n’ai pas faim.

Le garçon le regard étonné, comme s’il était impensable qu’on puisse ne pas avoir faim. ---Tu n’as pas faim ? Tu me donnes ta boulette ?

--- Oui, tu peux tout prendre.

Le garçon se dépêcha de terminer son assiette et transvasa la boulette et les deux pommes de terre qu’il dévora en un temps record. André eut 2 ans pour s’habituer aux ragougnasses du réfectoire et regretter ce premier repas qui au fil du temps lui paraissait un festin comparé aux autres combinaisons pas toujours identifiables que les pères appelaient menus. Il comprit plus tard que ce jour-là il avait fait un cadeau royal avec quand même un avantage ; sceller une amitié pour la durée de la guerre entre les deux enfants. En ces temps difficiles beaucoup de jardins d’agrément s’étaient transformés en cultures potagères. Selon la saison, nos deux fugueurs ne manquaient jamais d’arracher au passage, quelques tomates ou quelques carottes et navets qu’ils grignotaient la nuit dans leur lit. Bien avant l’arrivée d’André, Victor avait remarqué que le jardinier déplaçait une brique décelée contre le chambrant de la petite porte du jardin ou il avait l’habitude de cacher la clef. Victor était un garçon solitaire et ses virées nocturnes lui permettaient de rompre avec la monotonie grisâtre des journées qui se superposaient à l’identique jour après jour. Traîner dans les rues et rêver devant les vitrines avait été excitant au début, mais seul, cela avait vite très vite perdu de son intérêt.

Victor avait très rapidement parlé à André de la possibilité d’aller se balader le soir à l’insu de tous. Celui-ci avait trouvé l’idée géniale et donc de temps en temps, principalement dès l’arrivée des beaux jours ils déclenchaient leur plan, pourtant d’une naïveté déconcertante mais qui fonctionna à merveille pendant toute la durée du séjour d’André à l’orphelinat. Leur tactique consistait tout simplement à glisser des vêtements sous les couvertures de leurs lits en leur donnant une forme humaine. Une fois dehors, ils erraient sans but, s’arrêtant devant les pâtisseries, ou grâce à leurs souvenirs d’avant-guerre ils salivaient devant des gâteaux et des tartes en un erzats de farine, du faux sucre, mais quand même de belles apparences. Un jour leur odorat fut attiré par un arôme familier et magique à la fois. Ils n’en croyaient pas leurs yeux ni leurs narines, lorsqu’ils découvrirent une baraque de frites. Celle-ci devint leur principal objectif de ballade. Ils restaient parfois plus d’une heure à s’enivrer à l’odeur ambiante se jurant que lorsque la guerre sera finie, leur premier objectif consistera à se gaver de frites à la mayonnaise pendant un mois. Lorsqu’il se remémore cette période, André se demande comment était-il aussi sûr que la guerre se terminerait un jour avec la défaite de l’Allemagne. Pourtant en 1942 rien ne le laissait prévoir.

Naïvement André lui avait dit qu’il était juif. Cela ne signifiait rien pour Victor, sauf qu’il savait que les Allemands les pourchassaient. Depuis qu’il avait vu au cinéma «Le kid de Cheyenne» il glorifiait les outlaws.

---Tu comprend lui avait-il dit, un outlaw c’est un hors-la-loi, mais un bon hors la loi. À ses yeux cela donnait une valeur supplémentaire à André. Pour lui, être traqué par un ennemi était un titre de gloire. Seul les outlaws et les juifs avaient cet honneur. Victor, authentique orphelin n’avait qu’un très petit passé familial. Sa seule attache était un oncle mobilisé en 1939, prisonniers de guerre en Allemagne. Dans le dortoir, nos deux compères s’étaient débrouillés pour dormir côte à côte et la lumière éteinte, en ethnologue en herbe, Victor fit l’apprentissage de la vie de famille par procuration en écoutant parler son nouveau copain, intarissable sur le sujet.

---Plus tard, quand la guerre sera finie, je demanderai à mes parents de t’adopter, comme ça nous serons frères.

---Tu pense qu’ils accepteraient un catholique ?

--- Mes parents ne sont pas religieux. Toutes ces foutaises ne les intéressent pas.

Les sermons, les prières et faire 3 kilomètres à pied, tous les dimanches, pour aller à l’église avait brouillé définitivement André avec la religion.

Son enfance, pas tellement loin dans le passé, il en rêvait tous les soirs et racontait. Victor l’écoutait religieusement.

À la sortie de l’école, je me dépêchais de rentrer. Mon goûter, préparé par ma maman m’attendait. Dès que j’avais poussé la porte de l’appartement l’odeur envahissante du chocolat chaud se répandait autour de moi. La plupart du temps, j’avais droit à des tranches de pain d’épice au miel bien épaisses. Mon père, parfois rentrait de bonnes heures s’installait sur une chaise et occupait un coin de table avec son journal yiddish. Ma mère repassait ou faisait de la couture. Moi, je jouais à la guerre avec deux régiments de soldats de plomb, face à face qui s’entre-tuaient. Victor s’endormait en continuant son rêve de famille. Lorsqu’il jouait avec ses soldats de plomb, avec la bouche, il imitait le bruit des fusils et d’un coup de main arbitraire, couchait ceux qui devaient mourir. David faisait ses devoirs sur la table de la cuisine. Quelque temps auparavant il avait pris une décision difficile : ne plus jouer avec son frère. David changeait les règles du jeu à son avantage et André se sentait très vite exclus et ça se terminait inévitablement en pleurs. D’accord, David était peut-être savant ; il savait lire et écrire mais, à 9 ans, trop vieux pour jouer sérieusement avec lui. Ses sœurs, Sarah et Ruth, il ne fallait même pas lui en parler. Il ne jouait pas avec les filles.

Il y avait quand même sa copine Yvette et veillait jalousement à ce que ces sœurs ne l’entraînent pas dans leurs jeux de dînettes et de poupées.

Un vrai garçon manqué. Il aimait bien Yvette. André avait la faculté de simplifier le monde qui l’entourait. Sa philosophie existentielle était simple. Il avait classé une fois pour toutes les gens en 4 catégories ; les bébés, les enfants, les parents et les vieillards. Son père ressemblera toujours à son père et sa mère aura éternellement la même apparence. Cette façon de voir les choses avait persisté jusqu’à l’âge de 5 ans. C’est alors que par une fin d’après-midi, André eu une révélation. Il jouait avec ses soldats de plomb sur le rebord de la fenêtre ; il venait de coucher trois fantassins dans le camp ennemi : ils étaient morts. Ce mot ne signifiait pas grand-chose, mais il savait qu’un mort était couché.

Dans la rue, un vieux monsieur à barbe blanche marchait péniblement en s’appuyant sur une canne. Jusqu’à ce jour, dans l’imaginaire d’André,ce vieux Monsieur était né vieux. Mais ce jour-là il eut un doute.

--- Papa, est-ce que toi aussi tu deviendras vieux ?

Son père n’écoutait que d’une oreille, il lisait son journal.

---Oui, le plus tard possible.

--- Qu’est ce qui se passe après ?

---Après, rien. Mort c’est mort.

A son âge mourir ne voulait pas dire grand-chose. Il était évident que même mort la vie continuait.

---Et après ?

Sa mère s’immisça dans la conversation, ---tu deviens un ange.

--- C’est quoi un ange ?

---C’est toi quand tu dors. dit son père

André, hésitant, --- C’est vrai, maman ?

André ne croyait son père que si sa mère confirmait ses dires.

---N’écoute pas ton père, il ne dit que des bêtises. Un ange c’est un gentil garçon comme toi qui a une longue robe blanche, des ailes et qui vit éternellement dans le ciel.

— Je ne pourrais pas avoir un costume de cow-boy à la place d’une robe blanche ?

Son père leva les yeux de son journal.--- Fanny, si tu lui racontes de telles histoires, tu vas en faire un “ shlémil “ . Quand on est mort, on est mort, un point c’est tout.

— C’est quoi un shlémil ?

— Un perdant né, un gogo. Ne t’inquiète pas mon chérie, s’il y a un shémil ici ce n’est pas toi, ajouta sa mère en toisant mon père, qui se contentait de soulever ses épaules. Avec comme argument irréfutable qu’une mère disait toujours la vérité, André n’insista pas préférant de loin la version idyllique de sa maman. Il scruta bien sûr le ciel, mais en vain. Il ne vit jamais d’ange et très vite retourna à ses jeux jusqu’au jour où Yvette confirma fortuitement les dires de sa maman. Ca ne pouvait être que vrai : André était certain qu’elles n’avaient jamais abordé le sujet ensemble.

André aimait aller chez Yvette, sa maman, un vrai cordon-bleu, n’avait pas son pareil pour faire les tartes, surtout celles aux sucre ou au riz, c’étaient ses deux préférées. Il se régalait d’avance lorsque le jeudi après-midi il avait été décidé qu’André venait goûter chez Yvette. Ce jeudi-là, André avait mangé une part de tarte à la mirabelle et une tarte au riz avec un bol de chocolat bien chaud pour faire passer le tout. Ca n’avait pas passé. André avait présumé de la capacité de son estomac. Il se sentait barbouillé. Yvette coloriait un livre d’images représentant des animaux d’Afrique et André ne pensait qu’à son ventre.

---André, Je vais laver les vitres de la salle à manger, si tu veux encore quelque chose c’est maintenant, après il sera trop tard.

---Non, merci Madame Wouters, je n’ai plus faim.

Avant de quitter la pièce, Madame Wouters dit à l’attention de sa fille,

--- Dimanche nous irons à la messe de bonne heure, mémé vient déjeuner à la maison.

Yvette poussa un ah ! de satisfaction, non pas qu’elle fût particulièrement heureuse d’aller de bonne heure à l’église mais ravie de la venue de sa grand mère qui ne manquait jamais de venir les bras chargés de cadeaux.

André lui demanda,--- pourquoi vas-tu à l’église tous les dimanches ?

--- Pour devenir un ange et aller au paradis.

André eut un choc, à tel point qu’il en oublia son ventre. Yvette savait.

Insidieusement il demanda,--- Où est le paradis ?

Yvette le toisa avec mépris.— Dans le ciel évidemment. Tout le monde sait ça. Si tu es sage, tu es certain d’y aller. Tu ne vas plus à l’école, tu as tous les jouets que tu désires et tu manges autant de gâteaux que tu veux.

Il regardait Yvette avec suspicion. Depuis peu il savait qu’on mourrait vieux. Il doutait fortement qu’un vieux avait envie de jouer toute la journée et s’empiffre de gâteaux.

--- Comment sais-tu tout ça ?

Yvette avait un an de plus qu’André et se prenait vraiment pour une grande. Elle assénait comme vraies, avec une mauvaise foi évidente des histoires inventées. Elle avait des réponses sur tout et était imbattable sur les fées, les sorcières et autres monstres. Mais l’histoire du paradis semblait bien réelle.

--- C’est ma maman qui me l’a dit, affirma-t-elle. Son regard mettait André au défi de la contredire. Loin de lui cette pensée. Il ne lui serait pas venu à l’idée de mettre en doute les paroles de deux mamans.

D’un ton sec et sans aucun doute elle lui dit,---Toi, tu n’iras pas au ciel.

André se sentit défaillir,---Pourquoi pas moi? 

---Tu ne vas pas à l’église.

--- Je veux y aller avec toi.

---D’accord, nous irons jeudi après l’école.

Le jeudi suivant, tenant la main d’Yvette, il fut très impressionné en franchissant le portail décoré de cet édifice où régnait le silence et forçait le respect. Par certains côtés l’intérieur ressemblait à un cinéma. Il y avait bien les rangées de sièges mais pas d’écran. À la place une grande table décorée avec de la vaisselle dorée. Les statues autour de lui semblaient avoir beaucoup de chagrin. André se demandait pourquoi la porte du paradis était d’une telle tristesse. Impressionné, il n’avait qu’une envie, sortir au plus vite.

---Voilà, maintenant moi aussi j’irai au paradis.

Yvette, d’un ton sec, ---Non, tu n’es pas baptisé.

--- C’est quoi être baptisé ?

Yvette l’entraîna vers une vasque, se mit sur la pointe des pieds, trempa sa main et versa quelques gouttes sur la tête d’André.

— Voilà, dit-elle satisfaite, tu es catholique.

Dehors le ciel était bleu. Tranquillisé, André pensa que le paradis devrait être beau. Malgré quelques petites chamailleries d’enfants André et Yvette s’entendaient bien. André devait avoir un peu plus de 6 ans quand il lui fit sa demande en mariage.

--- Si tu veux, quand on sera grand on se marie ?

Yvette n’hésita pas une seconde.--- Je veux bien, dit-elle en l’embrassant sur la joue d’un baiser collant de confiture. Il lui cachait soigneusement qu’elle n’était pas son premier amour.

Victor avait fait des confidences sur son grand amour secret. Chaque mois, deux délégués de la Croix Rouge, un médecin maigrichon dans un costume chiffonné et son infirmière, une femme d’une trentaine d’années, assez forte, boudinée dans son tablier blanc venaient examiner les garçons. Ce jour-là, Victor qui d’habitude avait les cheveux en bataille, se brillantinait les cheveux et se peignait soigneusement pour passer devant Mademoiselle Brossart. La rencontre ne durait que le temps d’avaler une gélule de foie de morue ou une quelconque vitamine. Cette minute, Victor l’attendait avec impatience persuadée que Mademoseille Brossart, qui souriait à tout le monde, ne souriait qu’a lui. Victor était impressionné par sa forte poitrine et son fessier rebondi. ---Tu comprends me disait-il, mon rêve c’est qu’elle se déshabille et me prend dans ses bras. Victor savait beaucoup de choses sur le sexe ; il avait expliqué à André que pour faire des enfants, l’homme, tout nu, se mettait sur la femme couchée, nue également. André n’avait pas bien compris l’explication et avait imaginé deux corps entremêlés d’une façon bizarre. Il avait beaucoup rigolé. Victor ne pouvait s’empêcher de voir nue chaque femme qu’il rencontrait. André lui avait demandé s’il en avait vu beaucoup de femmes nues. Non, lui avait répondu Victor, juste une fois, une amie de mon oncle : elle n’avait pas vu que j’étais de l’autre côté de la porte de la salle de bain entrouverte. Je l’ai vu se déshabiller complètement. Tu as déjà vu dans des journaux des réclames pour les corsets. Il continua sans attendre la réponse. Elles sont toutes fausses. On présente toujours une femme très mince, alors que les corsets sont faits pour les grosses comme Mademoiselle Brossart. Il avait conclu sentencieusement ; les belles femmes ce sont les grosses. André n’avait rien répondu et ne voulait surtout pas raconter à André son expérience amoureuse. Sa pudeur considérait que son histoire était bien trop personnelle et tellement belle qu’il gardera son secret pour toujours. En 1938, André avait 6 ans, toute la famille était allée samedi soir place Debrouker, au cinéma Eldorado, voir Blanche neige de Walt Disney. André était tombé aussitôt amoureux de la princesse et s’était identifié dans le garde-chasse qui sauva d’une mort certaine, la fille du roi. Il en rêva le soir avant de s’endormir, et le jour suivant, et le jour suivant. Un mois plus tard, les enfants Goldman partirent en vacance au bord de la mer. Le jour de leur arrivée, un événement prodigieux provoqua chez André, une grande émotion: il tombe nez à nez avec Blanche Neige en chair et en os. Elle s’appelait Gilberte et était monitrice dans un home d’enfants à coq-sur-Mer. André ne lâchait plus Gilberte. En promenade il s’arrangeait pour être dans son groupe et autant que possible la prenait par la main. Il se félicitait d’être un petit garçon. Il pouvait se cacher derrière son âge pour que ça ne paraisse pas insolite.

La colonie de vacance était une grande bâtisse au bord de dunes immenses qui descendaient en pente douce jusqu’à la plage. André essayait d’attirer son attention par tous les moyens, il faisait des roulés-boulés, sautait du haut des dunes en prenant garde d’être dans son champ de vision. André aurait tellement voulu l’entendre dire,---Que tu sautes bien, que tu es fort. Tout au plus, elle lui faisait de beaux sourires.

Ah ! Si les bâtiments avaient été envahis par des monstres, prendre feu, s’enfoncer dans le sable ou envahi par la mer. Là j’aurais pu la sauver et lui montrer à quel point je l’aime pensa-t-il.

La veille du dernier jour arriva. Il n’avait plus que la solution du mal de ventre pour attirer son attention pour l’approcher d’un peu plus près. Le mal de ventre était un truc magique qui avait déjà marché dans d’autres occasions. Quand il n’avait pas envie de rester seul dans son lit, par exemple. La chambre de Mademoiselle Gilberte donnait sur le dortoir.

André résistai au sommeil et quand les lumières furent éteintes, guidé par la lueur frappa à la porte de sa chambre.  

---Mademoiselle, Mademoiselle Gilberte, j’ai mal au ventre. Elle ouvrit la porte. André se tenait plié en deux par une douleur imaginaire. La monitrice pris André dans ses bras, s’assit sur son lit,---

---Tu veux aller aux toilettes ?

---Non, non, mais j’ai très mal.

Elle tata son ventre, ---Où tu as mal, là ? là ?

---Non, partout.

---Ca ne doit pas être grand-chose. Dès qu’elle se levait pour le raccompagner dans son lit, la douleur augmentait et ces aïe, aïe montaient d’un ton. Il se calma lorsque Gilberte accepta de le laisser dormir auprès d’elle. André blotti dans ses bras, grisé par son parfum et sa chaleur ne tarda pas à sombrer dans le sommeil.

Le lendemain matin il ouvrit les yeux dans son petit lit et s’il n’avait pas dans le nez une odeur de savon mélangée à de l’eau de cologne il aurait pensé avoir rêvé. André avait beau faire semblant de se laver pendant deux jours, l’odeur de Gilberte disparu à tout jamais. Il n’avait jamais osé lui dire qu’il aurait voulu qu’elle soit sa maman.

Les fiançailles avec Yvette, furent de courtes durées. Le lendemain elle lui dit, --- Nous ne pouvons pas nous marier ensemble. Ma mère m’a dit que tes parents sont juifs....c’est quoi être juif ?

André se sentit tout à coup misérable. C’est vrai c’était quoi être juif ? Ca voulait dire quoi exactement ? Il réfléchit intensément à la question. Tous les juifs qu’il connaissait venaient de Pologne, donc être juif c’était tout simplement être Polonais. Ah ! non la voisine du troisième dont le mari était tailleur venait de Hongrie. Il était désemparé car sa grande explication qui consistait à dire quand on est Polonais, on est juif ne marchait pas. Tout ce qu’il réussi à dire d’une voix faible,---Moi, je suis Belge.

Yvette lui assena brutalement,--- tu es juif parce que tes parents sont juifs...mon père m’a dit que vous étiez différents.

Comme tous les enfants, il avait un sens aigu de la justice et il ne comprenait pas pourquoi les gens pouvaient décider de ce qu’il était ou n’était pas.

Ce jour-là André en rentrant à la maison se précipita dans la chambre de ses parents devant la grande glace de l’armoire. Il s’inspecta de la pointe des cheveux jusqu’aux orteils. Il ne vit rien d’extraordinaire ni de différent. Lorsque son père remonta de la boutique, il lui demanda, ---C’est quoi être juif, papa ?

--- C’est être fidèle à une tradition.

--- C’est quoi une tradition ?

--- C’est un ensemble de souvenir et de leçons transmis par nos parents.

André réfléchit intensément et en vient à la conclusion qu’il n’était pas juif. En effet il était né en Belgique, n’avait aucune tradition et trop petit pour avoir beaucoup de souvenirs. Et pourtant son mariage avec Yvette était compromis...à moins que....une idée lui traversa l’esprit.

Le lendemain il dit à Yvette, ---Et si je deviens catholique, vraiment catholique.

--- Si tu deviens catholique, rien ne s’opposera plus à notre mariage.

--- Comment on fait pour devenir catholique ?

---On retourne à l’église et je te donne un baptême catholique.  Après un silence,---La dernière fois j’ai oublié de  dire vonbiscoun.

--- C’est quoi vonbiscoun ?

--- C’est du latin...le parler de l’église.

Sa confiance en Yvette était parfois assez limitée. Il pensa qu’il était plus prudent de se faire baptiser deux fois.

Il demanda à sa mère, --- C’est avec de l’eau bénite que tu me laves la tête ?

--- L’eau du robinet est toujours bénite, c’est un don de Dieu.

--- La prochaine fois que tu me laves la tête, peux-tu me dire quelques mots en latin ?

--- Je ne connais pas de mots en latin, mais je vais te chanter une chanson que me chantait ma maman.

Il ne comprit pas les paroles, mais la belle voix de sa mère lui fit apprécier une chanson pleine de tristesse en yiddish.

Le jeudi suivant, Yvette le baptisa à l’église.

Peu de temps après ils se disputèrent pour une histoire de Sainte Vierge. Yvette prétendait qu’elle avait été vue dans certains endroits et André ne voulait pas y croire, il avait répondu,--Si elle est vraie, pourquoi il n’y a jamais de photos, mais toujours des dessins ou des statues ? Yvette ne savait pas, elle partit en pleurant. Il ne fut plus jamais question de mariage.

Après leur rupture, affolé André se précipita à la maison. Il fallait absolument effacer toutes traces du baptême. Lorsque ses parents, revenant de faire des courses poussèrent la porte de la cuisine, ils assistèrent à un curieux spectacle. André debout sur une chaise devant l’évier, la tête dégoulinante, trempé dans ses vêtements et le sol inondé. Personne ne sut jamais qu’il fut catholique pendant quelques jours. Il eut quand même droit à une bonne engueulade pour les dégâts causés. Peu de temps après, les parents d’Yvette déménagèrent à Malines.

André oublia très vite sa première déception sentimentale. Pour le paradis il préféra en rester à la version de sa maman pour qui il était évident qu’il y avait droit. Il avait déjà parcouru la moitié du chemin. Son père ne lui avait-il pas dit qu’il était un ange lorsqu’il dormait ?


  • Une bouffée d'air frais après les chapitres précédents, bien vus les rapports entre enfants.
    Amitiés.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

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