BUBULLE

Amarille

BUBULLE

 

Un jour ma mère ouvrit la boîte aux lettres. Entre les ardoises et les lettres d'amour que pouvaient lui envoyer un grand électricien français, il y avait une carte au trésor. Elle ne l'avait pas vue, pensant que c'était encore une publicité à la con, mais moi qui adorais fouiller, fouiner et trouver des trésors là où on ne soupçonnerait même pas qu'ils eussent existé, de la trouvais. Pour l'anecdote, il faut reconnaitre que j'ai toujours eu un gout très prononcé pour les trucs « hors-normes ». C'est une sorte de graine qui germais en moi, et poussait comme des ronces, un peu dans tous les sens, mais… c'était mes ronces. Et surtout, un jour je fis la connaissance d'Evelyne, mon amie, sœur de Miguel, ma première véritable amie. Elle, elle était gitane et elle avait en elle la beauté du vrai, pas comme ces voisins qui la montraient du doigt. Moi, je les regardais du coin de l'œil le jour où je la fis entrer chez moi… ils étaient choqués et nous étions des résistantes faces aux oppressions… fascisme de délit de faciès. Elle m'apprit à enlever des enjoliver aux voitures dans les casses, à me planquer sous les étagères d'un entrepôt en rampant, à piquer des trucs, à changer l'eau des tortues dans sa baignoire, à faire des feux de camps dans le jardin en brûlant les vieux meubles, à rire aux éclats, à fumer des Golden American… je commençais à fumer à cette époque…

Bref, j'arrachais de son triste sort la carte au trésor, regardant derrière moi comme une voleuse, sûre que personne jamais ne pourrais me montrer du doigt tellement j'étais une vilaine fille… et me recroquevillant, je quittai la cuisine pour rentrer dans ma chambre bleue, tapissée de Marguerittes, dont les murs d'un vert uni rappelait la couleur de l'eau d'une douce rivière qui coule paisible entre pierres et galets, entre rochers et racines. Il y faisait frais, et je m'assaillais sur la plus grosse de toutes les fleurs, celle qui jonchait le cœur de ma chambre. Dos tourné à la porte, je jetais rapidement un dernier coup d'œil à cette dernière, prenant soin de ne pas respirer, de ne pas bouger, de ne pas faire une once de bruit… juste écouter les pas qui oseraient s'aventurer jusqu'à moi. Protéger ce trésor. Le sol ne tremblait pas, les oiseaux ne chantaient pas sans raison, les sangliers n'arrachaient pas de leurs sabot l'herbe, les cannes restaient cannes et fidèles à leurs canards, sans bis bis, l'air avait l'odeur qu'il devait avoir… pas de musc artifice dans le parterre printanier, non – d'abord parce que ce n'est pas la région, mais parce que… parce que. Mais de délicates senteurs de pin, de genets surtout, embaumant timidement, juste histoire de faire sentir leur présence dans l'éclat de la nuit, il y avait aussi les grappes de fleurs d'acacia, au goût de miel… alors, comme j'eu fait autrefois, je reprenais cette habitude. Et je savourais le miel de fleurs, puisque le miel s'achète maintenant, alors autant savourer le sauvage des saveurs… comment expliquer ? Y'a pas d'explication… ça se vit.

Je posais sur le tapis la carte que je découvrais. Elle était improbable. Le Jardin de la Terre. C'était la carte pour enfin pouvoir aller et découvrir le Jardin de la Terre. J'étais fascinée. Il y avait des tas de trucs qui te permettent de respirer là où l'air manque. Mais surtout, il y avait de petits messagers qu'il fallait trouver et choisir, les écouter silencieusement. Et puis l'aventure dans les mondes inconnus pour une fille qui ne savait poser ses pieds que sur la terre et savait juste faire trempette dans les fleuves, ou caresser les étoiles du bout des doigts. Non, la solution était là, sous mes yeux. Je ne pouvais pas garder ça pour moi. Je décidais de partager le butin avec mon frère. Je lui montrais la carte, et un sourire complice nous donna l'élan pour partir pour le Jardin de La Terre.

Grands aventuriers, nous partîmes, nous allions changer le cours des choses.

Lui, décida de prendre un chemin bien damé, mais il lui fallut du courage pour trouver le trésor qui l'enrichi. Et il le garda toujours.

Moi, je flânais, ici et là. Il y en avait des choses belles à voir dans ce Jardin. Comment faire pour « s'enrichir » quand on est face à la beauté ? Ce n'est pas possible, on ne peut pas tout prendre, mais il est si facile de tout regarder avec admiration, de sourire face à tout ce que nous ‘avons pas et contempler la richesse du beau car c'est là que je me sentais riche… moi. Face à la beauté qui inonde et nourrit tout sur son passage.

Bref, dans ce Jardin il y avait de tout pour chacun, et puis moi je suis partie à contre sens, comme toujours, à suivre mes sentiments, à passer par là où i n'y aurait pas de flèches, là où il ne fallait pas aller parce que ce n'est pas signalé, parce que… alors que je tombais sur une sorte de caverne remplie de choses plus belles les unes que les autres, je trouvais une bulle de verre. Elle était belle, ronde, parfaite. Juste assez grande pour y mettre ma tête. Et c'est ce que je fis, je retournais ma précieuse trouvaille et la posait doucement sur ma tête. Et là, je me mis à regarder autour, tout était si différent, tout était déformé mais encore plus beau, car il n'y avait pas de forme parfaite, juste des originalités non conformes, des trucs bizarres mais beaux… alors que je partais dans mes songes, qu'en me parlant à moi-même je disais que ce serait parfait pour vivre heureuse, j'entendis une voix qui me dit « n'importe quoi ! » je me retournais, et à côté de moi, il y avait un gamin aussi amusé que moi par les bulles. Il avait trouvé lui aussi une bulle de verre, et elle était posée sur sa tête. Et moi… je me mis à rire, tellement j'étais contente. Nous avons parlé de tout de rien, et c'était bien. Plus je lui parlais moins je le voyais, c'était la buée, mais je l'entendais et l'écoutais, assoiffée de beautés à partager… partager, c'est si rare quand c'est vrai.

Au loin, mon frère trouva une sorte de bulle carrée, et il était heureux. Moi, je le regardais. Tant mieux pensais-je. A chacun sa bulle. Et comme un ballon attaché à un fil, l'envie de continuer sur les sentiers inexplorés m'appelait, comme un besoin primaire. J'étais animale, et rien ne pourrais me détacher de cette liberté, celle de voir la beauté au-delà de celle qui est faite pour être admirée… j'étais pour une fois, en train de parler à un martien. Je le sais, lui et moi étions d'accord. Avec cette bulle sur ta tête, on peut aller voir les étoiles, se promener de galaxies en galaxies. S'envoler. Après réflexion je me disais qu'il avait raison, les astronautes ont bien des scaphandres. Comme les plongeurs d'ailleurs. On pourra voir le grand bleu si on veut. Aller là où personne n'est allé. Même marcher dans la neige, en cas d'avalanche, t'es protégé ! Alors on se mit à rire, à rire, à rire aux éclats, et pliés en deux, parce qu'on riait trop pour de trop belles choses, je heurtais ma bulle à la sienne et le reflexe me fit fermer les yeux. Quand je les ouvris, il n'y avait que de la buée sur les parois de ma bulle, mais je cherchais la silhouette de celui qui… j'étais inquiète. Il était parti. Pourquoi ? J'avais trop ri ? J'avais pas assez ri ? Je me mis à le chercher, ici et là, prenant les chemins, les sentiers, les voies ferrées, longeant les rivières. Je me mis à parler aux objets, aux arbres, aux animaux. Parfois, il e semblait depuis ma bulle embuée que je le voyais, alors j'approchais, je cherchais et je me trompais. Et les gens riaient. Avait-il existé ? Un instant, un moment ? Personne ne sait… je revins sur mes pas, longtemps après à l'endroit où je l'avais rencontré. Je me mis à sourire, une tendresse infinie. J'y pouvais rien, j'avais pas demandé à faire battre mon cœur comme un fou enchaîné peut se battre pour sa liberté. Je voulais juste entendre encore une fois ce rire qui, je ne sais pas pourquoi, avait donné le sens aux choses qui n'en avaient jamais eues. Je marchais et arrivant là où nous nous étions laissés, je marchais sur des bris de verre recouverts de poussière. Je tombais à genoux, les larmes aux yeux, ruisselant comme une source qu'on libère des pierres qui l'obstruent. Je passais ma main sur ce verre cassé, essayant de récoler les morceaux, les uns aux autres. Je passais tellement de temps que je réussissais à lui rendre son apparence de bulle. Les mains en sang, je la tenais contre mon cœur et l'approchant de mon oreille je fermais les yeux… et j'attendis comme un miracle. Je priais cet espoir, cette foi de me donner à entendre encore une fois ce rire. Les yeux fermés, pour ne pas oublier ce que je n'arrivais pas à oublier…

Je tombais de si haut. Que je me mis à parler à Dieu. « Ne vois tu pas que je me fous de l'or, que je me fous d'être riche, que je me fous de ce qui n'a pas de valeur ? toi qui m'as faite, tu me connais ! Alors pourquoi m'as-tu donné ce cœur si gros et ce si petit cerveau ? Toi qui me connais si bien, pourquoi me laisses tu avoir tant d'espoir, et ne voir que l'amour quand tout est noir ? Ton royaume n'est—il pas dans le bois et sous la pierre ? » J'étais tellement en colère contre moi-même que le seul qui pouvais entendre cette colère c'était celui qui n'était pas là... et puis, comme un coup de grâce, j'entendis ce rire. La bulle devant moi ne vibrait pas. Mais ma tête en folie, me renvoyait des échos lointains…

Autour de moi, tant de visages et de figures… et moi qui cherchais à trouver. Tout était flou, plus que jamais. Je me levais, jambes sciées, rentrant chez moi. Posant la bulle sur une étagère. La mienne à côté. Je n'oublierais jamais la beauté. Quoi qu'en disent les cons de ma folie, elle avait pour âme un horizon d'Amour. 

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