Burn-out
Jean Claude Blanc
Burn-Out
Depuis longtemps ma tête, fonctionne plus très bien
En dedans, c'est le vide, ça inquiète mes copains
Impossible d'expliquer, ce qui se passe en moi
Mes pensées se mélangent, c'est la purée de pois
Des fois quand je suis seul, envie de me jeter
Le crâne dans mes mains, rassemble ses idées
Je susurre des mots, qui n'ont ni queue ni tête
Je hais le monde entier, après je le regrette
Je bosse comme un damné, pour me passer les nerfs
Me tenant des discours, juste pour avoir l'air
A la fin épuisé, me rattrapent mes chimères
Me laisse enivrer, par leur musique légère
M'affale sur mon bureau, et ferme les paupières
Craignant que quelqu'un entre, m'efforce d'être à l'aise
Ça passe d'un seul coup, soudain, me régénère
Redeviens gai luron, en jouant les balèzes
Je raconte à ma page, mes intimes misères
Le révolté s'emballe, a l'art et la manière
De fuir ses colères, en fouillant les poubelles
Me fous des réprimandes, me glissent sur les ailes
Je sais que ça bouillonne, mon crâne, va exploser
Mon estomac se noue, ne peux plus rien bouffer
Fais des aller-retour, à machine à café
Sans doute pour me doper, tenir bon gré, mal gré
Moindre mot de travers, de suite, me met en rage
Pas moment de faire chier, ma haine, la tiens en cage
Pourtant j'aime mes potes, ma famille, mes ainés
Je suis désemparé, peut-être aliéné
Je cherche dans ma tête, la cause de mon mal
Etant bien entouré, railler, j'ai la fringale
La culpabilité, cette araignée vorace
Vicieuse, insidieuse, vient y tisser sa toile
Suis-je vraiment fainéant, ou un incompétent
Je cauchemarde mes nuits, me fais du mauvais sang
Je me sens ignoré, sûrement, ne sers à rien
Sans doute mon destin, arrive à sa fin
Ma boite, elle est sacrée, c'est tout ce qu'il me reste
Mon bureau, mes clients, les histoires funestes
J'avale tout ce qui vient, ça distrait mes humeurs
Me réconforte mon cœur, lorsque je suis ailleurs
C'est qu'en fin de journée, que je paie l'addition
Quand ma porte est fermée, direction la maison
Demi-heure de trajet, je repasse mes soucis
Le ronron du moteur, rythme ma léthargie
Qu'est-ce qui m'attend, ce soir, faut pas m'illusionner
Tous les jours, c'est pareil, le souper, la télé
Mais ne pouvant dormir, me reste mon ordi
Lui raconte des sornettes, pour me panser l'esprit
Je ne suis pas brillant, le visage amaigri
Des fois, au téléphone, m'appelle un ami
Je plaisante à outrance, pour ne pas l'inquiéter
Je sais, n'est pas naïf, sent que je suis pommé
Mon esprit oppressé, tendu comme un ressort
Je tente de le voiler, en sachant que j'ai tort
Je fonce comme un bolide, pour fuir mes idées noires
Ne pouvant pas larguer, mon stress purgatoire
Me répète sans arrêt, qu'il faut tenir le coup
Sachant que pour ma part, me battrai jusqu'au bout
Au bout de quoi, mystère, j'aurai le temps de voir
Je ne suis pas dingo, me ronge le désespoir
N'ai plus le goût à rien, je traine dans les couloirs
Sais plus où vont mes pas, sans doute au crématoire
Les images s'entremêlent, et dansent sur l'écran
Si je fais des erreurs, s'accentuent mes tourments
Mon regard se perd, dans un brouillard épais
Clichés de mes gamins, sur mon bureau, figés
J'espère m'envoler, afin de m'oublier
Mais ne veux pas souffrir, tout à coup y passer
Mes proches me croient heureux, fonctionnaire bien payé
Dans un fauteuil doré, toujours me prélasser
Les appeler à l'aide, à quoi ça servirait
Ont autre chose à faire, que de me consoler
Vous direz pas comment, tout ça s'est terminé
Faut pas être devin, pour se l'imaginer
Le burn-out, ça s'appelle, ce n'est pas très flatteur
Je n'en parle jamais, de peur d'être jugé
Et traité de flemmard ou affabulateur
Je paye l'addition, d'une vie sans saveur
Heureux le suis jamais, c'est passé antérieur
Qui voudrait m'écouter, je ne suis pas à plaindre
L'apparence est trompeuse, ne suffit pas de geindre
Je vois se profiler, le bout de mon chemin
La mort me titille, par solidarité
La solution finale, commence à m'obstiner
C'est en prenant son temps, qu'on parvient à ses fins
L'espace se rétrécit, c'est comme un entonnoir
J'ai perdu mes amis, mes hobbies, mon ciboire
M'accroche comme je peux, pour faire mon devoir
Mais là aussi ça craque, me reste l'assommoir
Mon énergie féroce, voudrait se libérer
Vu l'examen cardiaque, je pète la santé
C'est là que ça se tient, en désignant mon crâne
Me lancent les crétins, qui chahutent mon âme
Dur de se décider, pour passer l'arme à gauche
S'exploser la cervelle, ça ne fait pas très propre
Ne voulant pas souffrir, j'ai choisi le flingot
La mort à petit feu, c'est l'affaire des masos
Ces mots, me les dédie, on n'est pas mieux servi
Les trouverez peut-être au sein de mon fourbi
Egoïste, cinglé, qu'importent les commentaires
Quand ils savent plus que dire, les gens devraient se taire
Derrière chaque maladie, on voudrait mettre un nom
Evoquer mal de vivre, serait faire un affront
A cette société, qui se ferme les yeux
Peut-être qu'on se suicide, pour jouer les valeureux
De ces macabres histoires, j'en ai fait mon métier
Car mon passé d'AS, il est bien gratiné
J'ai vu tant de souffrances, des collègues disparaitre
Voulu vous relater, fragilité humaine
On est trop occupés, on n'a plus guère le temps
D'écouter les déboires, de faire du sentiment
Pourtant, y'en a qu'en bavent, ils sont là, près de nous
On s'en aperçoit pas, mais mijotent leur coup
Quand arrive le malheur, on pleure, mais un peu tard
On se creuse les méninges, on n'a rien vu venir
Les signes précurseurs, se lisent dans le regard
Suffisait d'un sourire, pour éviter le pire
La mort, c'est le néant, une page qu'on va tourner
On la regarde en face, quand tout est consommé
Une sorte de bras de fer, avec la destinée
On est intransigeants, l'orgueil, va nous tuer
Vainqueur, on le connait, on ne peut plus lutter
Comme disait Coubertin, ce philosophe musclé
« Qu'importe de gagner, il faut participer »
Certains sont plus touchés, en crèvent de trop rêver
« Burn-out, un anglicisme, pas facile à traduire
Brûler tous ses atouts, sa cervelle détruire
Démontrer au grand jour, qu'est passée la limite
Pied de nez, à la vie, fièrement, on la quitte
Spectacle terminé, on applaudit l'artiste
Celui qui s'est permis, de dégager la piste
On reste médusés et surtout dépassés
L'esprit est un génie aux mortelles volontés
Dévotion, compromis, dociles génuflexions
Frustration de pognon, sont causes de dépressions
La conscience en jachère, on en perd la raison
Ne faut pas s'étonner, que les gens pètent les plombs
Inutile de vous dire, qu'on est bien mal barrés
Le siècle de Lumières, désormais loin derrière
Le 20ème agité, de tueries sanguinaires
Et quant au 21ème, victime de trop penser
Burn-out, nouveau cancer, tumeur des angoissés
Moins noble que le premier, car on l'a provoqué
Sorte de bombe nucléaire, qui trucide par milliers
Les peuples contaminés, se transmettent les effets
Cette maladie maligne, s'instille en rampant
Manque considération, vengeance, châtiments
Le gus candide, hélas, qui croit au Père Noël
Par ce dernier, trahi, déception éternelle
Malraux, l'avait prédit, la mode est au mystique
A force de nous instruire, on finit par comprendre
Que périt la conscience, quand on loue la technique
Si les Hommes s'effacent, restera que des cendres
Automatisation, le profit des patrons
Sont autant de symboles, qui nous posent questions
Sanctification, de l'art du pognon
Il est à la botte, faible Etat-Nation
Culpabilisation, autosatisfaction
Des atermoiements, chacun sa façon
Si change pas le monde, va être en perdition
Moi-même, fanfaronne, me sauve, la dérision
JC Blanc octobre 2021 (témoignage d'AS)