Ca aurait pu être pire....
Patrick Zenou
Ca aurait pu être pire
Nouvelle de Patrick Zenou
Les seins étant les deux passions de ma vie, je fus ravi quand cette sublime douanière me demanda de la suivre. Cette cubaine de trente ans et quelques bananes portait une jupe et une chemise trop étroites. Cet uniforme d'opérette ne parvenait pas à dissimuler la troublante sensualité de cette femme. Elle m'invita à pénétrer dans une sorte de bureau vitré.
Les carreaux étaient tellement sales que les mouches qui s'y posaient restaient collées à tout jamais. Je jetais un oeil furtif sur mon siège avant de m'assoir.
Tous les passagers avaient récupéré leurs valises sauf un... Moi. En traversant l'allée centrale de ce vieil aérogare, je pu sentir sur moi les regards amusés des autres passagers. Je n'étais même pas étonné.
Je suis un poissard exceptionnel.
Cinq heures après ma naissance, personne ne comprenait pourquoi je hurlais comme un veau. Durant cinq longues heures, personne ne devina qu'une infirmière stagiaire m'avait simplement transperçé le bide avec une épingle à nourrice. Un truc comme ça, ça vous change un bébé pour la vie.
Le problème avec les malchanceux c'est qu'ils portent également la poisse aux autres. Mes parents le réalisèrent assez vite. En quittant la maternité nous fîmes trois tonneaux avec la 403 flambant neuve de mon oncle Raymond qui y laissa sa jambe et sa bagnole.
Ma vie ne fut qu'une succession d'échecs, d'accidents et d'emmerdes. Alors vous pensez bien...une valise...quelle importance... ça aurait pu être pire.J'avais gueulé uniquement pour la forme. Avec le temps j'arrivais bien à simuler un type énervé.
je suis un grand acteur.
Après quelques instants au téléphone, ma jolie douanière me fit un rapide rapport :
- «Je ne comprends pas sénior.... votre compagnie nous certifie que votre valise était bien dans la carlingue de l'avion...»
Ses yeux avaient la noirceur intense de deux olives prêtes à être croquées. Ses lèvres pulpeuses étaient une invitation outrancière à des baisers explosifs. Elle maîtrisait ma langue avec l'accent délicieux des jeunes latines. Je décidais de profiter au maximum de cet instant.
- «Moi aussi enfin je ne comprends pas ! que s'est-il passé ?!»
je faisais de mon mieux pour paraître énervé.
- «Sénior, d'habitude, le problème... arrive à cause des correspondances... mais votre vol était direct Paris / La-Havane... no comprendo...»
- «C'est quoi ton nom ?» osais-je.
- «Heu....Suzanna...»
Je compris que les douaniers Cubain étaient moins farouches que leurs homologues Français et leurs uniformes ne semblaient pas être un obstacle pour la drague. Au cours de mes voyages au sud du tropique du Cancer, j'avais constaté que plus un corps est exposé à la chaleur plus il devient sympathique. Il ne m'en fallait pas plus pour rajouter une couche.
- «Ecoute Suzanna...si ma valise était arrivée à l'heure je ne t'aurais jamais rencontré. Nous sommes plus de six milliards sur cette terre et jamais tu m'entends ? jamais nous n'aurions dû nous croiser.»
- «Pardon Senior...?»
Ses yeux écarquillés de petite fille m'amusaient de plus en plus. Sa bouche étonnée était sensuellement entrebaillée et laissait entrevoir un petit bout de langue.
- «Suzanna, je ne connais personne dans ce pays. Peut être pourrions nous nous voir après votre travail...hein ?»
Elle me sourit enfin.
- «Vous n'avez pas l'air de vous soucier de votre valise Senior.»
- «Appelez moi Bernard...»
- «Vous êtes marié ?»
j'adorais ce genre de question. Pourquoi la douanière se souciait-elle soudainement de mon statut marital ? quel rapport avec ma valise ? j'avais un ticket !
- «Non suzanna je ne suis pas marié… je suis… libre.»
- «Ha… »
à cet instant ma valise ne fut plus qu'un souvenir lointain sans aucune espèce d'importance.
- «Suzanna... Je ne veux pas que vous pensiez que je sois un dragueur à deux pesos mais vous dégagez quelque chose de troublant. Vous avez réussi à me faire oublier ma valise. Je trouve que vous êtes...»
- «Je suis comment ?»
- «Vous êtes...»
le téléphone osa m'interrompre..
Elle me fit signe de patienter et décrocha. Tout en machouillant un bic elle me regardait d'un air amusé. Il faut reconnaître que je ne devais pas être beau à voir. une barbe de douze heures, un costume en lin archi froissé, les cheveux en bataille et un magnifique orgelet à l'oeil droit. Inutile de préciser que j'avais oublié mes lunettes de soleil sur le tapis roulant de la douane Française.
- «Senior Bernard, quelqu'un va vous accompagner à votre hôtel... attendez ici. je dois vous laisser j'ai du travail...bon séjour Bernard...»
Elle se leva et disparu. Je m'y étais pris comme un manche. Pas de chance, elle était trop belle ma douanière... Le soleil commencait à se coucher dans le hall désertique de l'aérogare et mon seul but à cet instant fut de prendre une douche glacée et de dormir. Mon slip commençait à coller aux bonbons et mon estomac semblait refuser la cohabition avec le poulet au riz d'Air France. Pour un type comme moi, les vacances commençait normalement.
Un Cubain qui sentait l'ail me tapota l'épaule et m'invita à le suivre dans une vieux tacot des années cinquantes qui puait lui aussi.
- «Sénior Bernard Lupo ?» me dit-il en soulevant son chapeau de paille.
- «oui ?»
- «c'est moi lé tassi, vous avez bagages ?»
Je ne répondis pas.
- «Hôtel Commodoro ?»
- «Si...»
- «Abla espaniol ?»
- «No»
- «Ha...tu Français ?»
- «Si.»
Il comprit assez vite que je ne désirais pas causer. J'entrepris de faire une petite sieste sur la banquette arrière. mes yeux se fermèrent et je me laissais glisser comme un caramel mou sur le cuir craquellé. La radio à fond, mon chauffeur me vaccina à tout jamais contre la salsa. Impossible de fermer le seul oeil qui me restait avec ces routes défoncées et cette musique qui me vrillait la tête. A chaque feu rouge le chauffeur haranguait un ami et malgré mon incompréhension totale de la langue, je devinais qu'il ne disait que de conneries. J'eus largement le temps de découvrir les rues de La Havane. Ici, le temps s'est arrêté en mille neuf cent cinquante. des charrettes attelées à des ânes doublaient des bagnoles sorties de films d'Humphrey Bogard.
Les gens marchaient au ralenti, mais pour un Parisien comme moi ils semblaient totalement figés. Des mamies, assises sur le pas de leur porte, fumaient d'immenses barreaux de chaises; ces cigares qui valent une fortune en France s'échangent ici contre une cannette de Coca cola.
Mon chauffeur m'offrit un de ces cigares en signe de bienvenue. Pas de chance, je ne fumais pas. Je l'acceptais quand même. Malgré mes emmerdes un sentiment de plénitude m'envahit. Les Cubains sont misérables mais ils n'ont pas l'air malheureux. Je m'étais habitué à l'odeur du taxi et le chauffeur m'était de plus en plus sympatique. Le ciel s'assombrit brutalement quand la voiture traversa un mur de fumée noire.
- «Merde...»
C'est exactement ce que je dis devant l'hôtel Commodoro.
Les pompiers Cubains courraient dans tous les sens. Des flammes giganstesques sortaient des fenêtres et les premiers cadavres carbonisés de touristes jonchaient le macadam. C'est dur à dire mais ça sentait le méchoui. Un ambiance de fin du monde régnait sur le quartier.
Des badeaux et des grands brûlés se croisaient nonchalamment. Personne ne me comprenait.
Quel con, J'aurais quand même pu noter l'adresse de l'ambassade de France. Pas de bol ! Vas trouver un hôtel à cette heure ci !
Mon taxi obéit aux ordres de la police et se tira sans demander son reste en me laissant moi et «rien du tout» sur le trottoir en face de l'hôtel. Je commençais à être fatigué de cette poisse qui me poursuivait continuellement. Qu'avais-je bien pu faire dans une vie antérieure pour manquer de veine comme ça ? Je regardais mon hôtel en feu en cherchant en vain l'aide de quelqu'un. Au bout d'un certain nombre de déconvenues on passe vite du look du touriste au look de clochard. En errant dans la ville à la recherche d'un toit je vis mon reflet sur une vitrine.
Ho.. la gueule ! qui voudrait héberger un type sans valises avec une tête pareille ?
Je marchais comme un zombie dans les ruelles de La Havane. Deux belles mycoses à l'entrecuisse avaient fait leur apparition et ma demarche changea radicalement.
C'est chouette Cuba !
Si on respecte la loi des emmerdements maximums, je devrais maintenant me faire écraser, agresser, incarcérer. Mais cette fois un klaxon sympathique me donna du baume au coeur.
En me retournant je vis ma douanière préférée assise sur un scooter cabossé qui avait certainement dû appartenir à Christophe Colomb. Habillée en civil, elle avait rajeuni de dix ans. Une mini jupe noire dévoilait ses cuisses bronzées. Elle était maquillée et pomponnée pour je ne sait qu'elle occasion. Sur son tee-shirt blanc moulant l'inscription « I love Cuba » était difficilement lisible...
- «Alors Bernard plus d'hôtel ?»
- «Et oui, je suis à la rue.»
Je lui fis un regard de cooker.
- «Tu as mangé ? no ?»
Enfin quelqu'un se souciait de moi. Le bonheur était à deux mètres de moi et il me tutoyait.
- «Allez... monte derrière moi.»
Les mycoses c'est terrible. C'était la première fois que bandais dans la douleur. Assis contre elle, Elle roulait à toute vitesse vers je ne sais où. j'avalais l'air chaud de La Havane. J'étais tellement crevé que je posais ma tête sur son épaule. Elle sentait bon le savon. N'osant pas la serrer, elle me saisit les mains et les noua autour de sa taille. Sa lourde poitrine reposait entièrement sur mes avant bras. Mes mycoses se firent encore sentir. Elle était à cet instant mon seul repère d'humanité dans ce monde. Je l'aimais.
Au bout d'un quart d'heure à rouler sur des routes poussièreuses elle s'arrêta au bord d'une plage. C'était la première fois de ma vie que je me sentais aussi paumé.
Ca aurait pu être pire.
- «Tu connais le poulet au riz Cubain ? si ?.»
Je lui fis à nouveau un regard de cooker. Une baraque à sandwich déserte était posé sur le sable. A l'intérieur un vieil homme en débardeur troué nous fit un large sourire édenté. Une petite radio qui se balançait à une cordelette distillait une inévitable salsa. Le cuisto proposait son seul et unique plat, du poulet dans un bol de riz d'une couleur qui m'était totalement inconnue. Pas de chance. Ne voulant pas vexer ma seule amie sur cette île, je pris une bière glacée et le fameux poulet au riz violet. Elle m'entraina sur la plage où nous pique-niquèrent. Assise sur un rocher elle me toisait d'un air goguenard. Elle était vraiment belle ma douanière.
Je dévorais le poulet avec les doigts sans me soucier des bonnes manières.
- «Tu manges comme un Cubain.»
- «Merci.»
- «Ce n'est pas un compliment amigos» dit-elle en éclatant de rire.
Allongé sur le sable, à l'abri de la salsa, j'essayais de me détendre un peu. Ce fut encore impossible. Suzanna s'approcha et me chuchotta dans l'oreille
- «Tu me plais… tu me rappelles un professeur de mathématique que j'ai beaucoup aimé Emilio Valdez...Viens on va se baigner...»
Quelle déception. Je lui rappelais juste Emilio Valdez, un inconnu qui devait être mort à l'heure qu'il est. Elle retira son tee-shirt et offrit sa poitrine généreuse au clair de lune. Finalement il faut bien être aimé pour quelque chose et j'eus une pensée amicale pour Monsieur Valdez qui n'aura pas eu ma chance. Elle laissa glisser sa mini jupe et déroula son slip noir le long de ses jambes galbées.
Et merde... Pourquoi ce genre de chose ne m'arrive que quand je suis crevé ? Pourquoi les meilleurs plats me sont servis uniquement quand j'ai mal aux dents ?
- «Soit gentille je suis crevé, pas ce soir...»
Elle insista comme une enfant capricieuse et s'allongea sur mon corps endolori.
- «Allez, je veux nager avec toi… tu comprends ?»
Le message était clair. Il fallait absolument aller «nager». Elle m'entraina fermement. Je me dépêchais de jeter mes vêtements sur le sable. Complètement nu, je me laissais guider en titubant vers les eaux chaudes des Caraïbes. Même fatigué, on ne refuse pas un fanstasme qui se présente. Collée contre moi elle m'entraina vers le large. Elle m'embrassa goulument et mes pieds cherchaient désespérement le fond. Je bu la tasse deux ou trois fois. L'eau de mer commençait à me faire du bien. Ses jambes me serraient comme un étau. . Je vivais un rêve éveillé. Je plaisais à cette femme et je remerçiais encore une fois Emilio Valdez. De toute façon, personne ne me croira, il sera préférable de me taire au risque de passer pour un mytho de première classe. Une bombe Cubaine qui m'entaîne nue sur la plage en réclamant sa dose d'amour quelques heures seulement après mon atterissage.
Ca aurait pu être pire.
L'eau était vraiment chaude. Suzanna poussa un étrange cri.
Je fus étonné car je ne lui avais encore rien fait de très excitant. Ses bras me serrèrent de toutes ses forces et son corps fut traversé de spasmes inquiétants qui nous balançèrent dans tous les sens. Ses hurlements à deux centimètres de mon oreilles résonnèrent en moi comme des cloches de mauvaises augures. Une force collossale nous entraina vers le fond et je fini par comprendre que nous n'étions pas les seuls à nager sous la lune. Suzanna hurlait toujours en s'accrochant désespérement à moi. Ses ongles se plantèrent dans mon cou et je commençais à me noyer dans le flot d'écume. Toute mon âme se débattait contre les assauts meurtriers et le poids de Suzanna. Je me mis à hurler sous l'eau.
Je sentais contre moi une énorme présence rugueuse qui s'acharnait violemment sur nos chairs dénudées. Secoués comme deux vulgaires poupées, je réussi à nous arracher des machoires invisibles. Ses bras crispés me serraient toujours. C'était trop con. j'allais finir bouffé par un requin à neuf milles kilomètres de la porte de Bagnolet.
Brutalement, je senti mes forces décupler et ramenai Suzanna sur la rive, enfin ce qu'il en restait. Le bas de son corps avait complètement disparu. Le requin l'avait littérallement coupé en deux. Je me retrouvais là sur la grève, nu comme un vers, avec une moitié de femme qui me pendait au cou. Son sang pissait à grande giclée sur mes jambes.
Je n'avais rien.
Etonné d'être toujours en vie, je me séparais de ma moitié qui tomba mollement sur le sable mouillé. L'obscurité masquait l'horrible spectacle, mais j'arrivais à distinguer le visage encore horrifié de cette jeune femme. Dans un dernier réflexe de survie je me mis à courir vers les lumière de la ville. Le sang coagulé m'avait durçi les poils des jambes et du pubis. Mon corps n'était plus qu'une méga mycose violaçée. Je glissais sur des bouts de viscères.
Je n'arrivais pas à croire à ce cauchemar. Arrivé au bord d'une route je m'affalais sur le bitume bouillant en espérant rencontrer une autre Suzanna.
Je perdis connaissance... il valait mieux.
Le jour s'était levé, j'ouvris les yeux. J'ignorais où j'étais. Un forte odeur d'urine et d'excréments agressa mes narines. Allongé à même le sol je découvris une pièce nue entièrement bétonnée. Le plafond défoncé laissait passer une douce lumière et de nombreux pigeons. plusieurs dizaines de Cubains de tous âges assis par terre me dévisagaient. A travers les barreaux des fenêtres je devinais une végétation luxuriante et les bruits de la faune tropicale. Un chat anorexique me lèchait le mollet.
- «Où suis-je… s'il vous plait, aidez moi...» dis-je en levant un bras.
Ma langue était collée. Je n'avais plus de salive et un goût de sel me brûlait les lèvres.
Un noir en blouse blanche s'approcha de moi. Il me parlais en Espagnol et je lui fis signe que je ne comprenais rien. Il me tendis un bol de soupe et disparu. On m'avait enfilé un débardeur malodorant, mon corps était toujours couvert de sang et de sable séché. La peur de mourir refit surface. Un sentiment étrange m'envahit. La présence des êtres autours de moi m'oppressait. Quelque chose n'allait pas. Mon regard fut attiré par un adolescent au regard éteint qui tenais jalousement un magnétophone. Il écoutait inlassablement une cassette usée de country music qu'il rembobinait toutes les dix minutes. J'aurais pu le tuer.
Mes voisins se levèrent presque en même temps pour m'observer de plus près. La plupard étaient vétus de guenilles et certains étaient à poil. Un noir cadavérique pris un os de poulet et me toucha la jambe. Ils se serrèrent autours de moi et commenèrent à me toucher de plus en plus frénétiquement, à s'exciter et à m'insulter. Un vieux qui s'était mis à danser, déféqua à quelques centimètres de moi.
Je les regardais résigné en priant. Tous ces tarés s'écartèrent en criant à l'arrivée d'un colosse borgne au regard torve. Le géant devait mesurer plus de deux mètres et n'avait pas dû croiser un coiffeur depuis des siècles. Sa crinière crade pendait le long de son dos. Le fou poussa un interminable cri rauque qui me terrifia. Je commis l'erreur de ne pas imiter mes voisins.
Au lieu de me sauver et de raser les murs, je restais là, pétrifié par une peur inconnue qui me retourna l'estomac, une peur qui vient du fond des âges. Le fauve me saisit par le pied et me traîna de long en large sur le sol dégueulasse en levant un poing vengeur. Usé et fatigué, je me laissais faire en n'espérant plus grand chose. Ma tête heurtait le sol tout en avalant de la terre souillée. Mon corps n'était plus qu'une douleur sourde. Après quelques tours de piste il me souleva d'un bras et m'offrit une pluie de coup de poings dans le ventre. La tête en bas, j'implorai Dieu qu'il me fasse mourir plus vite. J'avais réussi à connaître l'enfer de mon vivant.
A moitié inconscient, je senti une agitation au bout de ma jambe. Une équipe d'infirmiers tentait enfin de forcer le monstre à me lacher. Les coups de matraques fusaient de toutes part. J'y eu droit aussi, allez savoir pourquoi.
Les quatres hommes qui venaient de me frapper me transportèrent dans une cour extérieure et entreprirent de me mettre debout.
Je tenais à peine sur mes jambes. J'eu droit à une toilette express au savon et au jet d'eau glacé. Assis sur un tabouret ils me nettoyèrent de la tête au pied. Sur le sol la crasse et le sang disparurent dans une rigole. J'avais finalement réussi à la prendre cette putain de douche.
Propre mais meurtri de toute part, je n'avais qu'un seul but, sortir d'ici vivant. un infirmier me tendit un tee-shirt XXXL qui avait l'avantage de me cacher les organes génitaux.
Je lui touchais l'avant bras :
- «Je suis Français, Moi Français !!, tu comprends ?»
- «no abla espanol ?»
- «no abla Français ! Français ! ducon !!!!»
- «Ducon ?!!»
- «Non, non, pas ducon...Français.. appelle moi el directoro...comprendo ?»
Il fit un gentil sourire et je vis un grand vide dans ses yeux. Les infirmiers eux aussi étaient tarés. j'étais foutu. Il me saisi le bras et m'invita fermement à retourner dans la pièces avec «les copains». J'avais deux secondes pour maîtriser l'espagnol !
- «Ecoutatos ! mi Franchézé, mi no malados, gravos erros ? mi perda lé baggagos. Mi attaqué per una requin, mi no taré, comprendo...? mi Franchézé !!! téléphonado ambassado Franchézééé... Téléphonado Europa assistancia...»
Mon geolier ne semblait toujours pas comprendre et appella ses collègues pour me reconduire dans l'enfer des fous. Je me débattais comme un diable, mais je n'étais ni de taille, ni en forme pour résister. Il me soulevèrent comme un enfant capricieux. Devant la porte métallique je les implorais dans toutes les langues. La porte s'ouvrit et ils me posèrent dans un coin. l'un d'eux me tapota amicalement sur l'épaule. Il s'en allèrent et la porte se referma sur tous mes espoirs. Le colosse était allongé dans un recoin et dormait profondemment comme la plupard des malades. c'était déjà ça. L'un deux s'approcha de moi. je saisi une pierre.
- «Alors t'es de Paris ?»
Je restais sans voix. L'homme était Français. Sa voix était jeune mais il avait l'aspect d'un vieillard. Pour seul habit il portait un vieux slip Calvin Klein dix fois trop grand.
Je le bombardais de questions :
- «Qui es tu ? c'est quoi ce bordel ici ? On est où exactement ?»
- «J'en sais rien, à l'asile sûrement.... ça fait trois hivers que je suis là... ça fait du bien !»
- «Qu'est ce qui fait du bien ?» lui demandais-je.
- «Ca fait du bien de parler Français... hé... Pourquoi tu trembles ?»
Le fou d'en face venait de se réveiller il me dévisageait dangereusement. Il se déplia et cracha en ne me quittant pas des yeux. Une trouille indescriptible me glaça les os. Cette fois ci je n'aurais pas la force de supporter une autre agression.
Je regardais mon voisin et lui dit entre deux sanglots :
- «Je veux que tu te rapelle mon nom. Je m'appelle Bernard Lupo. Je violoniste à Paris. Si jamais tu t'en sors préviens mes parents : 28, rue des filles du calvaire à Paris. Dis leur que je les aime. Je ne veux pas mourir dans l'anonymat. tu comprends ?»
Mon voisin fut prit d'un rire nerveux :
- «T'as peur du gros là bas ?»
- «Il va me tuer j'en suis sûr...»
- «Pffff, t'as rien à craindre...»
- «Je comprends pas t'étais pas là tout à l'heure ? Il a faillit me tuer !»
- «Mais non... tu lui montre ton nombril et il se chit dessus... Tu vois pas qu'il est fou le gros ?»
Le Français dont j'ignorais le nom se retourna sur lui même et s'endormi me laissant seul face à mon destin tragique. «L'ours» s'approcha de moi en zigzaguant. Il cherchait visiblement à me narguer. Je me pissais dessus. Il était à deux mètres à peine.
j'allais mourir.
Dans un dernier geste tremblotant je soulevais mon tee-shirt mouillé et indiquais mon nombril au colosse qui détala jusqu'à la porte en gémissant. C'était magique ! Je le poursuivi comme un diable dans toute la pièce, le nombril à l'air. Le monstre s'était transformé en une petite souris qui chialait. Le géant alla se terrer au fond de la pièce en position foetale. Je le harcelais au moins dix minutes. Assommé de fatigue je fit un noeud à mon tee-shirt et m'endormi le nombril à l'air.
Je fus réveillé par la plus belle phrase de ma vie :
- «Monsieur Lupo ? Vous êtes bien Monsieur Lupo ?»
- «oui..c'est moi Bernard..Bernard Lupo !» hurlais-je tremblottant.
Un homme en costume accompagné d'un policier tenais ma photo. Mon bienfaiteur était Français et sentait bon l'eau de cologne.
- «Monsieur Lupo, il semble qu'un petit malentendu se soit produit.»
- «oui..c'est ça, c'est vrai..qui êtes vous ?» baffouillais-je
- «Je suis Alain Devoise, de l'ambassade de France.»
J'aurai pu lui cirer les pompes durant quatre heures... J'aurai pu lui perçer tous ses points noirs si il me le demandait... J'aurai pu faire ses courses à Auchan et accompagner ses gosses à l'école pendant cinq ans... simplement si il me le demandait. J'adorai ce type. Je restais collé à lui comme à un dompteur dans la cage aux lions.
- «Vous avez beaucoup de chance Monsieur Lupo. Nous avons retrouvé cette photo dans votre valise. Un chauffeur de taxi vous a reconnu et la secrétaire de l'ambassade a contacté à tout hasard cet établissement hospitalier.»
- «Sortez moi de là...on discutera après.» lui implorège la bouche pateuse..
Ils m'aidèrent à me lever. j'avais la démarche d'un miraculé de Lourdes.
En deux jours seulement j'avais cumulé toutes les pathologies touristiques : Mycoses, diarrhée, gastro, coup de soleil, attaque de requin, orgelet, herpes, etc. Les fous se levèrent et me firent une haie d'honneur improvisée. Je ne pu m'empêcher de pleurer.
On dit que Dieu éprouve ceux qu'il aime... j'en avais marre d'être le chouchou. Nous nous dirigeâmes vers une Mercedes noire climatisée. Mon sauveur m'ouvrit la porte et je m'enfonçais dans le cuir de la civilisation.
- «Alors, comment vous sentez vous ?» me demanda t'il en m'offrant des pastilles Valda.
- «Ca aurait pu être pire… Monsieur, ça aurait pu être pire.
Patrick Zenou
patrickzen@yahoo.fr
J'ai beaucoup aimé ce récit , je n'ai pas décrochée , et j'ai souri de bout en bout
· Il y a plus de 11 ans ·la-vie-en-rose
Un texte qui ne fait ni dans la dentelle ni dans la subtilité, on ne croit pas une minute à ce personnage improbable et caricatural....mais quel rythme et quels personnages pittoresques, on ne lache pas avant de savoir si le pire est devant ou derrière... pari réussi, on a envie de lire et on va jusqu'au bout
· Il y a presque 14 ans ·coucas