Cacahuète

jo75

Ma petite Cacahuète,

Je t'écris ce petit texte pour ne pas oublier le moindre détail de notre histoire et garder un souvenir intact de toi, malgré le temps qui passe et qui efface parfois les souvenirs.

Je me rappelle encore ce jour. 1h d'embouteillage pour aller chez Truffaut et "juste regarder les lapins" alors que je sais qu'intérieurement je suis sur le point de craquer. Je te vois avec tes deux petites copines à travers la vitre. La vendeuse me demande : "Je peux vous aider ?". "Oui, je voudrais juste quelques renseignements sur les lapins", je lui réponds. Elle m'explique alors que ce sont de petits êtres très intelligents et sensibles, qu'il faut laisser sortir au moins 3h par jour, etc. Pendant son discours, je ne te quitte pas des yeux. Tu as attiré mon attention avec ton petit côté espiègle, debout sur tes pattes arrière, les pattes avant appuyées contre la vitre pour mieux voir le monde qui t'entoure. Je demande si tu es sociable. Elle me propose de te prendre dans mes bras pour voir. Je la vois maintenant de l'autre côté de la vitre essayer de t'attraper mais tu rues comme une folle, lui balançant plein de copeaux de chanvre sur le visage. Cela me fait rire. Tu es déjà bien dynamique.

Elle arrive ensuite en te portant dans ses bras. Je te caresse timidement. Tu es si douce, mais aussi terrifiée par ces humains qui t'observent. Elle te caresse et essaye de te bisouiller mais tu détournes la tête immédiatement. Elle te dépose alors dans mes bras et là je sens un élan d'affection pour toi. Je te tiens maladroitement, mais je n'ai qu'une envie, te protéger et rendre la plus heureuse possible. De ton côté, tu es toujours un peu effrayée, les oreilles plaquées en arrière, mais très vite, tu lèves une oreille, curieuse du bruit qui t'entoure, et tu me le montreras tous les jours par la suite. Maintenant que je tiens cette petite boule de deux mois et demi que tu es, je ne veux plus te quitter. Toi et moi, c'est promis, c'est pour la vie jusqu'à tes dix ans. Je prendrai soin de toi.

Je te ramène alors à la maison. Tu as un peu peur sur les débuts de cette grande humaine qui veut tout le temps te prendre en photo et te planques dès que j'approche à moins d'un mètre. Mais la curiosité l'emporte, tu acceptes une petite friandise que je t'offre de la main, une petite caresse du bout du doigt car au final, cette grande humaine, qui n'a jamais eu d'animal de compagnie, a aussi un peu peur de toi et de tes petites dents qui pourraient lui croquer un doigt. C'est plus tard que je comprends que tu es la plus douce des petites lapines et que jamais tu ne mords. Petit être curieux et téméraire que tu es, tu finis rapidement par sortir de ta cage, descendre de l'escalier de fortune que je t'ai construit en empilant des boîtes en carton, pour explorer la chambre, renifler mes chaussons, te faufiler dans de petits passages par lesquels je ne soupçonnais pas une seule fois que ton petit corps tout mignon passerait. Au bout d'une semaine déjà, tu t'allonges complètement quand je procède à de longues caresses mais très vite aussi tu t'impatientes, trop curieuse de ce nouvel environnement que tu oses explorer de plus en plus loin. Tu finis par me suivre dans la cuisine et la salle de bains, comprenant que ton espace ne se confine pas uniquement à la chambre. Mon amour pour toi grandit de plus en plus. Ton espace aussi puisque maintenant tu es passée en enclos. La nuit tu dors maintenant avec moi, au bout du lit que tu ne cesses de marquer et qui me fait changer de draps au moins 3 fois par semaine. Mais cela ne me dérange pas, même quand tu me réveilles en pleine nuit à jouer au trampoline sur mon ventre, quand tu me chatouilles le visage avec tes moustaches ou que tu croques mon bas de pyjama pour me réveiller en sursaut. Tu finis par grandir et comprendre qu'on doit respecter le sommeil de sa maman et fais des nuits complètes avec moi. Mais le soleil se lève tôt en ce mois de mai et tu t'empresses de grignoter des cartons pour attirer mon attention à 7h du matin en plein dimanche, pour réclamer quelques caresses. Tu finis cependant par me laisser dormir quand je te redonne quelques granulés et replace mon masque de nuit sur les yeux. Mais je comprends très vite que tu attends avec grand hâte mon réveil car aussitôt que je soulève mon masque, tu accours vers mon visage pour réclamer des caresses. Et si j'ai le malheur de me rendormir, la main lourde sur ton dos, tu t'empresses de placer ta minuscule tête sous ma main pour réclamer de nouvelles papouilles.

Nous avons désormais tous les jours notre rituel, le matin, tu fourres la tête dans le sac de foin pour retrouver la petite brindille qui a fait frémir ton petit museau tout blanc. Le soir, tu explores l'appartement pendant que je prépare à manger, puis tu t'allonges sur le lit à mes côtés et nous regardons la télévision ensemble. De temps à autre, je te confie à tes baby-sitters mais tu me manques terriblement et je crois bien que moi aussi, à mon grand étonnement. A ton retour à la maison, au lieu de faire ta sieste habituelle derrière le canapé, tu viens te lover à mes pieds pendant que je travaille, peut-être trop contente de me retrouver. Mon amour pour toi grandit de jour en jour et j'en viens à te donner des surnoms de plus en plus nombreux, qui font sourire mes amis. Petit cœur, petit amour, petit bébé, ma petite cacahuète, ma cacahuète d'amour, tels sont tous les noms que je te donne et qui sont tellement faibles pour représenter tout ce que tu représentes pour moi et la place énorme que tu as réussi à trouver dans mon cœur.

C'est ainsi que mon amour immense pour toi m'amène à me renseigner sur les lapins et à suivre à la lettre toutes les instructions pour t'assurer la vie la plus longue et la meilleure possible. Jusqu'à ce jour déterminant où je prends rendez-vous à la clinique pour ta stérilisation. Je ne veux pas courir le risque de te voir développer un cancer de l'utérus à tes 4 ans. Mais à plusieurs reprises avant la date, j'hésite à renoncer et à annuler. On me répète que le risque d'opération n'est pas nul, mais tellement rare. 1 chance sur je ne sais combien. C'est peut-être là qu'a été mon grand tort. Jouer à la roulette russe avec toi, mon petit cœur. Parier sur le fait que ça n'arrive qu'aux autres, après tout. Parier aussi sur ta force, toi qui cours et bondis dans tous les sens en permanence. Jouer à dieu en quelque sorte, à vouloir prolonger ta vie au lieu de laisser faire la nature, sans se dire que quelque part on peut aussi en payer le prix.

Ce matin juste avant l'opération, tu me lèches pour la première fois les doigts pendant mon sommeil. Tu me sautes également pour la première fois au visage, me plantant tes griffes sur le menton. Je ris en me disant que tu as compris qu'aujourd'hui était un jour spécial. J'aurais dû plutôt y voir un signe. Je t'emmène chez le vétérinaire, inquiète mais en me disant qu'il s'agit d'une opération de routine. Ce jour-là, je reçois 3 appels en absence et un message sur le répondeur du même numéro. Je rappelle, la boule au ventre. Ce n'est qu'Amazon qui cherche à me livrer les jouets que je t'ai commandés. J'appelle ensuite la clinique qui me dit que tu es réveillée. Je respire de nouveau. Ma cacahuète est sauvée. Mais c'est penser à mal et ne pas comprendre que les dés sont maintenant jetés. Plus de retour en arrière possible. C'est là que mon calvaire commence. 4 jours d'angoisse, entre des allers et retours à la clinique, des dizaines d'appels au vétérinaire de garde, des mails échangés toutes les heures avec ton vétérinaire traitant, des réveils qui sonnent toutes les 3h, pour me rappeler que c'est l'heure de ton gavage, un supplice pour toi que tu finis par accepter, enroulée dans une serviette, les yeux fermés. C'est à ce moment-là que j'aurais dû comprendre que tu as avais déjà commencé à lâcher prise, à ne plus te battre pour la vie. On dit toujours que les animaux sont des êtres sensibles qui ressentent les émotions des humains. Alors si tu as renoncé à te battre, c'est moi qui vais me battre pour toi et te donner la force. T'aider encore à t'alimenter, à t'hydrater, à te masser le ventre pour faire repartir ce foutu transit qui ne veut pas, te caresser pour te rappeler que ta maman sera toujours là à tes côtés, que tu ne dois pas m'abandonner. C'est la descente aux enfers pour moi. Chaque fois que je pose cette même question à tous tes vétérinaires : "Est-ce qu'elle va s'en sortir ?", je n'obtiens jamais qu'une réponse vague, qui me fait comprendre que rien n'est gagné.
Ce dernier jour, la vétérinaire me demande si je veux qu'elle te garde la nuit. J'hésite beaucoup car je ne suis pas médecin et donc démunie pour t'aider si besoin. Mais je renonce à te faire subir un stress supplémentaire chez une inconnue. Je crois que c'est la seule décision sage que j'ai prise sur ta vie entière. Je te ramène donc à la maison et continue de te donner tes traitements et massages. Tu commences à boire un peu d'eau par toi-même, enfin, après 3 jours sans toucher à ta gamelle. J'ai de nouveau espoir. Je me couche donc un peu rassurée, même si je me lève en pleine nuit pour vérifier ton état. Ce matin-là, j'entends des bruits et me réveille. Tu es allongée et te secoues. Je pense que tu es tombée sur le dos et n'arrives pas à te relever. Je te repose donc sur tes pattes mais tu t'écroules de nouveau. Je cours vers mon téléphone et compose le numéro du vétérinaire de garde, en te reprenant de nouveau dans mes bras. Tu es secouée de spasmes dans mes bras et couine. Je me sens impuissante, à te parler et te caresser tout en ayant peur de te faire mal, et en m'impatientant que personne ne décroche au bout du fil. Enfin, une voix répond. J'explique la situation en deux mots. On me dit de composer un autre numéro que je m'empresse d'appeler. A l'autre bout du fil, on me répond qu'ils n'ont pas le matériel nécessaire pour une infusion et me renvoient vers l'école vétérinaire. Toutes des voix impersonnelles, insensibles. J'appelle le dernier numéro, celui de l'espoir. On me dit que la perfusion coûtera 80 euros. "Je m'en fous du prix !", je m'entends hurler au téléphone. "Est-ce qu'il vaut mieux la porter ou la mettre dans une cage de transport ?". On me répond : "Posez la sur le sol pour voir si elle tient debout". Je te pose, mais ton petit corps est immobile et s'allonge sans vie au sol. Je hurle de douleur et te reprends dans mes bras. Après tout, peut-être que tu es juste trop faible pour te tenir debout, c'est seulement cela. On me dit de regarder si tu respires, et c'est là que la douleur vient de nouveau faire exploser mon cœur. Je comprends et j'ai terriblement mal. Les larmes n'en finissent plus de couler et la dame au téléphone finit par me dire qu'elle est désolée mais qu'elle doit raccrocher, me laissant seule face à la douleur, à ma plus grande peur qui se réalise, celle de perdre mon petit amour. Un nouveau sentiment s'ajoute maintenant : celui d'avoir écourté ta vie et au final de t'avoir en quelque sorte tuée.

Depuis hier, depuis que tu es partie dans mes bras, je ne peux plus rester chez moi car ton absence se fait trop sentir. Je ne peux plus poser un seul regard sur un objet, un meuble sans penser à toi car comme dirait une amie : "Ce n'est plus ton appartement, mais celui de Cacahuète dis donc". Je prends donc mon courage à deux mains et range quelques uns de tes objets pour ne plus avoir le cœur qui se brise à chaque fois que je pense à toi. Tu es partout tout en étant nul part. Tu es maintenant présente dans mon esprit tout en étant absente de mon espace. Je me surprends à rêver que tu es vivante et que tu fais semblant devant les inconnus car tu as peur d'eux, mais quand je me réveille, c'est bien seule et sans ta présence.

En moins de cinq mois à peine, tu as su prendre une place énorme dans ma vie et à m'amuser tous les jours par ta curiosité et ton petit côté espiègle. Les mots me manquent encore pour exprimer la douleur que je ressens à l'idée de t'avoir perdue pour toujours. Mes projets avec toi tombent à l'eau : t'emmener faire une balade dans un parc, te faire goûter l'herbe à chat et t'emmener en vacances avec moi au bord de la mer. Maintenant, je ne peux plus regarder une seule photo de toi sans fondre en larmes et réaliser que je t'ai perdue.

Repose en paix, ma petite Cacahuète d'amour que je n'oublierai jamais.

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