cadeaux de noel

Manuel Gomez Brufal

CADEAUX DE NOEL

            Ce soir d’hiver, assis sur son vieux fauteuil devant une bûche flambante, Jules Fabre se remémore les étapes de sa carrière passée et ces souvenirs ne sont pas faits pour ramener un sourire sur son triste visage car, en définitive, le solde de tout compte se résume à cette fermette assez minable, entourée d’un morceau de terre et d’un emploi au haras de Mme Marchetti.

Cela suffit à peine à les empêcher de mourir de faim, sa femme et lui.

Et le plus drôle, ou le moins drôle, en ce qui le concerne tout au moins, est que c’est dans un lieu comme celui-ci que le livre de sa vie s’était ouvert.

C’était une ferme presque identique, pas très loin d’ailleurs de l’endroit où il vit aujourd’hui (toute une vie pour parcourir ces quelques kilomètres, c’est à pleurer) qui avait vu naître et grandir Jules Fabre.

Sur la table, deux fois par jour, la grosse soupe au lard et la miche de pain noir. Sept kilomètres pour se rendre à l’école et le soir, après la trotte du retour, les durs travaux de la ferme. Jusqu’à l’âge de treize ans quand Jules avait obtenu son certificat d’études.

Là se situait le premier tournant de sa destinée.

Un beau matin, son père, Fabien, lui prépara son baluchon, attela Béatrice, la vieille jument, et ce fut le long voyage qui les conduisit à 40 kilomètres plus loin, au bout du monde pour Jules.

Le haras de Mr de Lignières, petit éleveur de Saint-Pierre-sur-Dives, paraissait, au petit Jules, aussi vaste que les images de Versailles qu’il avait sur son livre d’histoire.

Jules ne se souvenait pas si sa mère l’avait embrassé au moment de son départ.

Pour lui ce fut le début d’une existence nouvelle faite d’un dur labeur quotidien mais également d’une profonde amitié pour ses nouveaux compagnons de travail : les chevaux de courses.

Très vite il se fit remarquer par M. de Lignières, qui avait l’œil. Ce petit se tenait parfaitement en selle, il avait de l’assiette et, ce qui comptait plus que tout à ses yeux, les chevaux l’aimaient et il aimait les chevaux.

Jules Fabre fêtait son premier anniversaire au Haras du Saule pleureur.

Ce soir là, M. de Lignières, le convoqua dans son bureau, tapissé des quelques photos de purs-sangs qui avaient fait la renommée de son haras.

- Tu montes très bien, Jules, je vais te placer en apprentissage chez mon ami Marius Sauvat, à Maisons-Laffitte. C’est un grand entraîneur tu sais. Si tu continues à aimer les chevaux tu deviendras un grand jockey.

Jules refit son baluchon. Cette fois le voyage était bien plus long mais M. de Lignières l’amena dans sa voiture, à laquelle était attelé un van qui transportait deux poulains, dont la destination était la même que celle du jeune adolescent.

Maisons-Laffitte, pour Jules, c’était la très grande ville, avec son centre d’entraînement renommé, ses écuries et ses entraîneurs célèbres : les Pelat, Adèle, Gleizes, Kalley, etc.

Après une courte période nécessaire pour faire connaissance avec son nouvel environnement, Jules comprit que c’était à lui de jouer s’il voulait réussir car la concurrence était nombreuse et les coups tordus également. Le milieu dans lequel il allait devoir évoluer à présent n’était pas des plus sains : la drogue, l’alcool, le jeu, les voyous, tout cet ensemble occupait une bonne partie de son entourage et intéressait de nombreux collègues de travail.   

Marius Sauvat avait confié à Jules quelques purs-sangs, il les sortait le matin, dès l’aube, pour des galops d’entraînement, puis les pansait, les nourrissait et, plaisir suprême, les accompagnait sur le champ de courses lorsqu’ils participaient à une épreuve. Il y avait heureusement cette ambiance extraordinaire des hippodromes parisiens.

Il fallait recommencer chaque jour, toute l’année, dans le froid glacial et la boue, en attendant les beaux jours.

Un matin de printemps ce fut son tour. Marius Sauvat lui avait simplement dit : Mercredi tu montes Saltimbanque au Tremblay, dans une course pour apprentis. Prépare le bien.

Pour sûr qu’il allait bien le préparer.

Depuis cette minute Jules vivait comme dans un rêve. Il avait déjà couru cent fois cette première course dans sa tête.

Il ne termina que quatrième.

C’est bien, lui avait lancé Sauvat.

Ce n’est qu’un mois plus tard qu’il remporta son premier succès, à Fontainebleau.

Sa première saison d’apprenti jockey se termina par trois victoires et 11 accessits.

Très vite il fallut constater que le poids de Jules Fabre ne lui permettrait pas de réaliser une carrière dans les courses plates. A 16 ans il pesait déjà 54 kilos. Marius Sauvat le dirigea vers les obstacles.

Immédiatement Jules se mit en évidence et dès sa première saison fit partie du peloton de tête des meilleurs. Le cap des trente victoires, qui lui permettait de devenir jockey professionnel, fut rapidement franchi.

La guerre d’Algérie venait d’éclater. On peut être jockey et ne pas pouvoir éviter le départ vers le théâtre des opérations, comme le font certaines vedettes. Affecté au 11° Cuirassier, Jules, dès son arrivée, fut dirigé vers un casernement proche de l’hippodrome du Caroubier, à Alger, sur la recommandation de Marius Sauvat auprès d’un important propriétaire algérois. Il put ainsi monter tous les matins. Son poids, sur l’hippodrome d’Alger, n’était pas un handicap important car les cracks de l’écurie Dermy-Jacquot (qui s’était attaché ses services), portaient rarement moins de 58 kilos.

Inutile d’ajouter que de guerre il n’en vit guère, même pas le moindre attentat puisque l’hippodrome, en huit années, n’en connut point.

Tout a une fin, même les guerres. Dès son retour en Métropole, Jules Fabre ne tarda guère à retrouver sa place parmi l’élite de la profession.

Ce fut sa période prodigieuse : lauréat de la Grande course de haies d’Auteuil, du Grand steeple-chase d’Enghien, du Prix du Président de la République, etc. Les entraîneurs se disputaient sa « monte », les femmes sa compagnie (et celle surtout de sa fortune naissante car son physique n’était pas celui d’un jeune premier).

Le petit normand n’était pas de taille à écouter, sans succomber, le chant séduisant des sirènes de la renommée, surtout quand il était interprété par des femmes de petite vertu placées judicieusement entre les bras des jockeys, par des truands-flambeurs, afin de leur soutirer, sur l’oreiller, quelques secrets sur les prochaines réunions.

La reine de ces « Mata Hari » du turf était surnommée « La boîte à queues », cela voulait tout dire (elle finira pourtant comme épouse officielle d’un jockey célèbre, qui deviendra un bon entraîneur).

L’argent gagné facilement se dépense rapidement, surtout dans ce milieu ou les femmes, l’alcool, le jeu, quand ce n’est pas la drogue, contribuent à sa dilapidation.

C’est un métier très athlétique, où la condition physique tient une place des plus importantes, car la méforme entraîne les chutes, nombreuses, douloureuses, qui marquent la chair mais également l’esprit. Alors on boit et l’on se drogue pour oublier les chutes récentes et surtout les prochaines, inévitables.

Cela pardonne rarement. Les écuries renommées ne font plus appel à vous, les épreuves importantes se disputent sans votre présence, vous les suivez des tribunes, il faut alors se contenter des « réclamers » d’ouverture et des petits handicaps, en compagnie de chevaux de qualité très médiocre ou manquant de préparation. Il vous reste aussi la possibilité de vous exiler en province afin de retrouver une gloire éphémère.

Une chute plus grave que les précédentes obligea Jules Fabre à se retirer de la compétition durant plusieurs années, suffisamment longtemps pour qu’on l’oublie mais, heureusement, pour qu’il oublie de son coté son penchant pour l’alcool.

Ce fut un Jules Fabre nouveau qui fit sa réapparition un matin sur les pistes d’entraînement. Un Fabre complètement remis à neuf physiquement et mentalement, malgré une colonne vertébrale restée bien fragile. La faculté lui avait interdit de reprendre son métier mais il n’en connaissait aucun autre et il fallait bien vivre car, bien sûr, il était complètement fauché.

Marius Sauvat était mort entre temps et son fils, Roger, lui avait succédé. Il connaissait Jules avec qui il avait partagé les dures heures matinales de l’apprentissage. Cela ne s’oublie pas. Par pitié, et par souvenir, il reprit Jules à son service et, comme un bienfait n’est jamais perdu, paraît-il, il en fut récompensé car Fabre lui prouva qu’on pouvait encore compter sur lui. Il gagna quelques courses avec des chevaux qui n’avaient pas une toute première chance. Dès lors on lui confia de nouveau de bons spécialistes et c’est pour Roger Sauvat, son bienfaiteur, qu’il remporta cette année là, en selle sur Selecto, le Grand Steeple-Chase de Paris.

Seuls les hommes, contrairement aux animaux, refont, paraît-il, deux fois les mêmes conneries ! Ce ne sera pas le cas de Jules Fabre. Avec ses gains il fit l’acquisition d’une fermette en pays normand, en prévision de ses vieux jours ou d’un accident toujours possible.

En Novembre de cette même année, Jules s’alignait au départ du Prix La Haye-Jousselin, un steeple-chase parmi les plus durs d’Auteuil, comportant les plus difficiles obstacles de la piste intérieure, toujours en selle sur Selecto, devenu son cheval fétiche.

Tout comme Fabre, Selecto avait son avenir derrière lui. Cet hongre de dix ans comptait plus de deux millions de gains et son destin se trouvait irrémédiablement tracé. Un triste après-midi d’automne il tomberait pour la dernière fois au champ d’honneur des chevaux et serait abattu face à ce public qui l’avait tant applaudi. Pour un hongre il n’y a guère de continuité.

Ce triste après-midi d’automne ce fut ce jour là. Selecto ne parvint pas à franchir le « rail-ditch-and-fence », il culbuta et resta étendu sur le gazon avec, à son coté, Jules Fabre évanoui.

On transporta le jockey à l’hôpital de Maisons-Laffitte. Ses vertèbres avaient salement dégusté. Il pourrait, après une très longue rééducation, marcher de nouveau mais sa carrière était finie.

Dès le lendemain son premier réflexe fut de demander des nouvelles du fidèle Selecto, son vieux complice. Roger Sauvat lui expliqua qu’il avait une fêlure du paturon gauche, plus une grosse entorse, et que sa carrière était également terminée. Le vétérinaire n’allait pas tarder à venir pour procéder à son abattage.

Jules Fabre avait souvent assisté à ce genre d’exécution, toujours avec des larmes pleins les yeux. Il revoyait le « véto » s’approchant, avec à la main son pistolet, cependant que le malheureux cheval, les yeux tristes et embués, s’excusant presque du remue-ménage qu’il occasionnait, semblait rêver à de futurs exploits, sa jambe complètement disloquée, pendante, se balançant sous lui, comme indépendante de son corps. Ne dit-on pas qu’avant de mourir votre vie défile en quelques secondes ? C’est sans doute ce qui arrivait à Selecto en cet ultime instant.

Mu par on ne sait quel réflexe, Jules composa une fois encore le numéro de téléphone de Roger Sauvat et d’un trait lui lança : Non Roger, non, je t’en supplie ne fait pas abattre Selecto. Je te l’achète le prix de l’équarrisseur.

- Mais que vas-tu en faire, Jules, il n’est, hélas, plus bon à rien.

- Aucune importance, moi non plus je ne suis plus bon à rien, alors il faut qu’on m’abatte aussi ? Nous serons deux à nous consoler. Promets le moi, tu me le gardes d’accord ?

- D’accord, d’accord, Jules. Soigne-toi bien, je te le garde.

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            Nous retrouvons Jules Fabre devant sa cheminée, dans laquelle il vient de rajouter une nouvelle bûche.

            Il s’est donc retiré dans sa fermette, sur les bords de la Dives, qu’il avait par bonheur acheté avec les quelques millions gagnés lors de sa dernière campagne.

            Tout n’était pas négatif dans sa situation actuelle. Dès qu’il était entré au service de Mme Marchetti il avait rencontré Carmen, une des femmes de chambre de la patronne du haras. Ce n’était pas une beauté comme on en voyait dans les magazines mais elle avait une bonne tête, une bonne dentition, une peau bien tendue, bien lisse, car elle était petite et plutôt rondelette, mais tout cela n’était pas pour déplaire à Jules. Carmen avait surtout une chevelure splendide et rare, des cheveux d’un noir de geai qui lui descendaient jusque sur les fesses et qu’elle retenait, fort heureusement, à l’aide d’un énorme chignon.

            Le ménage à trois fonctionnait à merveille. Jules Fabre s’occupait de l’élevage des « foals », Carmen de la maison des maîtres et Selecto se portait comme un charme. Seul point noir, sa jambe raide comme un piquet, maintenue par de fortes bandes plâtrées, ce qui l’empêchait forcément de trottiner. Il fallait donc le laisser attaché dans son box. Ce n’était pas une fin de vie pour ce vieux lutteur et ça faisait mal au cœur de Jules de le laisser végéter de cette manière.

            Le vétérinaire du haras, consulté, avait émis l’idée qu’une opération pouvait être tentée, bien qu’inutile pour ce vieil hongre, mais si Jules y tenait ! Selecto pourrait, ensuite, si l’intervention se déroulait bien, s’ébattre librement dans les près et s’éteindre à son heure. Le seul problème restait le financement de cette opération, même avec un prix amical il fallait compter dans les mille euros. Malheureusement ce n’était pas dans les moyens du ménage à l’heure actuelle.

            Les fêtes de Noël approchaient, Jules contemplait par la vitre embuée les champs déjà recouverts de leur blanc manteau. Il aurait aimé faire un beau cadeau à sa Carmen, d’autant plus qu’il savait parfaitement ce qu’elle désirait le plus. Dans leur chambre, une photo montrait Carmen à 18 ans, habillée en danseuse de flamenco, avec une riche mantille blanche et une magnifique parure composée d’un immense peigne en écaille et d’autres accessoires typiquement espagnols.

            Carmen venait d’apprendre à Jules qu’il allait être père. Elle aurait souhaité revêtir cette même tenue pour le baptême du futur nouveau né.

            Jules se faisait une joie de l’état de sa femme. Pourvu que ce soit un garçon, rêvait-il, j’en ferai un grand jockey, le plus grand, puis il deviendra entraîneur, le plus grand, le meilleur. Je lui éviterai tous les pièges, toutes les embûches, qui ont fait de moi ce que je suis devenu. Il se laissait emporter par son imagination mais, pour le moment, il fallait à Carmen une robe de grossesse et plus tard, à la naissance, poussette, berceau, etc.

            Une décision s’imposait à lui : il fallait se séparer de Selecto. Pour le bien du cheval d’une part, mais également pour le bien des finances de sa famille. Malheureusement, vu l’état du vieux compagnon, seul l’équarrisseur voudrait de lui. Jules en avait les larmes aux yeux.

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            - Quand peux-tu me conduire à Paris ? Lui demanda Carmen. C’est bientôt Noël et il me faut faire quelques achats. Je dois également chercher des paquets pour Mme Marchetti. D’ailleurs elle te confie la « Range Rover ».

            - Dès le début de la semaine si ça t’arrange, puisque Noël c’est jeudi.

            Jules pourrait ainsi acheter les cadeaux qu’il réservait à Carmen.

            Il ferait venir l’équarrisseur dès lundi matin, quand tous deux seraient partis pour Paris. De cette manière il n’assisterait pas à l’enlèvement. Et surtout que sa femme n’en sache rien, dans l’état qui était le sien !

            Sa décision prise, sachant qu’elle était définitive, il se rendit auprès de Selecto, qui se dandina de joie en l’apercevant. Sur la paume de la main il lui offrit deux sucres que le vieil hongre gourmand saisit avec délicatesse. Appuyant sa tête contre la chaude encolure du cheval, ils restèrent tous deux de longues minutes sans esquisser le moindre geste. Seules les larmes de Jules, et ses reniflements, témoignaient d’une présence dans le box.

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            Ni Jules, ni Carmen, n’étaient très gais, ce lundi dans la capitale. Il faisait un froid de loup. Carmen avait recouvert sa tête d’un chaud foulard de laine. Jules la déposa Avenue Montaigne puis il se rendit à la Société d’Encouragement, rue du Cirque, afin de prendre quelques formulaires. Ensuite il fit un saut vers une boutique de la rue de Ponthieu où il savait trouver une robe de grossesse, qu’il fit emballer dans un paquet cadeau. Il poursuivit son « shopping » vers une adresse qu’on lui avait conseillée, faubourg Saint-Honoré, spécialisée en accessoires espagnols. Il trouva là son bonheur : une superbe mantille blanche, brodée de fine dentelle, et la fameuse parure en écaille pour orner les magnifiques cheveux de sa femme.

            Il imaginait déjà Carmen revêtue de la sorte, son bébé dans les bras et ses longs cheveux noirs davantage mis en valeur par cette parure qui, entre parenthèses, lui avait coûté la peau des fesses.

            Au moment de payer Jules avait très fortement pensé à Selecto, puisqu’il s’agissait là de l’argent que son cheval lui avait offert en sacrifiant sa vie. La vendeuse ne comprit pas pourquoi Jules renifla si fort dans la luxueuse boutique, tout en écrasant une dernière larme.

            L’heure du retour avait sonné, il fallait reprendre l’autoroute de l’ouest avant 16 h. 30 afin d’éviter, si possible, les embouteillages monstres.

            Jules avait caché les paquets cadeaux dans la malle arrière. Carmen, la tête toujours abritée du froid par son foulard.

            - J’en ai profité pour aller chez le coiffeur, Lui dit-elle.

            Tout à ses tristes pensées, Jules ne lui répondit pas.

            Ils arrivèrent à la ferme la nuit tombée.

            Dès le lendemain, à l’aube, avant que Carmen ne parte prendre son service, Jules se rendit dans le box de Selecto. La paille avait gardé l’empreinte de son corps. L’abreuvoir était rempli d’eau sale. S’il avait été là Selecto ne l’aurait pas bue, lui si propre. Machinalement il changea l’eau. Bon, c’est fini, n’y pensons plus. Un ultime regard vers le box vide et il referma la porte.

            Toute la journée Jules travailla sans dire un mot. Le soir venu Carmen lui dit :

            - Il faut que je te parle, Jules.

            Il la regarda, surpris par son ton inhabituel.

            - Eh ! bien, vas-y.

            - Je ne sais pas comment te le dire.

            - C’est nouveau ça… c’est grave ? (Il avait de suite pensé au futur bébé, à la grossesse).

            - Non, pas très grave, du moins je l’espère. (Il respira).

            D’un geste de la main, Carmen ôta le foulard qui lui recouvrait la tête.

            - Hier, à Paris, j’ai vendu mes cheveux à un perruquier de l’avenue Montaigne et…

            D’un bond, Jules s’était subitement levé. Les yeux exorbités il contemplait sa femme d’une telle manière qu’elle en eut presque peur. Avant qu’il ne puisse dire un mot, elle poursuivit :

            - J’ai vu le vétérinaire ce matin, avec cet argent il pourra, dès la semaine prochaine, opérer Selecto. C’est pour toi et pour lui que j’ai fait ça. Je t’en supplie ne m’engueule pas.

            Jules ne risquait pas de l’engueuler. Il était là, muet, sans voix.

            Brusquement il se précipita dans la chambre et revint aussitôt avec le paquet cadeau, qu’il déchira plutôt qu’il ne le défit.

            - Tiens, regarde ce que je t’ai acheté, moi, regarde : une parure en écaille, comme celle que tu voulais tant, pour tes beaux cheveux. Ils sont où à présent tes beaux cheveux, tu veux me le dire. Selecto est mort pour rien, pour rien, tu comprends : mort pour rien, pour t’acheter tout ça.

            Bras ballants, bouches ouvertes, yeux remplis de larmes, Carmen et Jules se fixaient, debout, face à face, immobiles, puis ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

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