Café froid, on s'en fout...

Patrice Saucier

Si tu étais à ma table au Deux Marie, je trouverais le temps de te parler en te regardant droit dans les yeux et en tenant ta main. Mon calepin de notes serait fermé et mon latte refroidirait, mais tu serais là avec ton sourire frivole et tes beaux grands cheveux noirs. Égaré dans les sonorités de ton rire, je rêverais d’un amour qui commence comme une chanson de Tricot Machine au bord du Lac des Castors. Tu mangerais de la barbe à papa pendant que je te tiendrais par la taille, en osant espérer que tu te retournes et que tu me fasses goûter à tes lèvres parfumées au sucre. Je serais heureux, malgré l’été, heureux, malgré mon urgent besoin de neige et de températures qui obligent le port d’un manteau long et d’un gros chapeau.

Toi, tu te verrais peut-être déjà dans ton appartement, sans coloc, le téléphone débranché, afin de m’y offrir un dernier café avant de faire l’amour sur le divan. J’aimerais bien, moi aussi. J’aimerais bien, sauf que je ne suis pas ce genre de mec.

Sauf que cette étincelle ne se rendra jamais jusqu’au pétard.

Si tu étais à ma table au Deux Marie, je te proposerais toutes sortes d’idées... Toutes sortes de folies qui me passeraient par la tête... Aimerais-tu apprendre le tango avec moi? Chaque semaine, après le travail, nous nous retrouverions avec un professeur argentin et, dans le cadre du spectacle de fin d’année, nous danserions un tango enflammé sur la musique de Gotan Project. Et toi, transportée par mes mouvements et gagnée par ma sensualité, tu me proposerais un voyage à Buenos Aires. 

Sauf que cet avion n’ira pas plus loin que Plattsburgh.

Je rouvre mon calepin de notes, je déguste mon latte encore chaud, j’attends que la serveuse apporte ma chocolatine, je cherche mon stylo et je rebranche mon iPod. Cela fait bientôt 30 minutes que je t’attends. Si tu étais une pizza, tu serais gratuite. Non, tu es un poulet cacciatore qui mijote et mijote. Il faut être patient avec les femmes, il faut être patiente avec LA femme qui saura peut-être nous rendre un peu plus heureux et nous faire accepter avec philosophie et parfois même humour les revers de la vie.

La petite serveuse aux belles jambes et à la tignasse s’approche de moi et dépose ma chocolatine à côté de mon latte. «Et voilà mon cher» me dit-elle avant de trotter jusqu’aux cuisines.

Vous, si vous veniez me rejoindre à ma table après votre journée de travail... 

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