Calvitie

Laurent Doudiès

Une idée de polar futuriste...

08.37


La musique du dernier groupe électro-pop braillait dans les hauts-parleurs, pendant que les écrans holo passaient en boucle les dernières actualités du moment. Quelques habitués traînaient leur vie dans ce bar de downtown, le nez et le cerveau dans leurs verres. Ethan était appuyé les deux coudes sur le comptoir et ses yeux bleus sondaient le flot brun de son Galaga, un excellent rhum canopéen par ailleurs, à la recherche d'une impossible réponse à l'éternelle question : Qu'est-ce que je fous ici ?

Passé la quarantaine il n'était encore que capitaine quand d'autres étaient déjà archonte, mais quand il réfléchissait à sa carrière, il se heurtait systématiquement à un grand mur blanc. Faire son job, le faire bien, ça il savait. Faire des ronds de jambe, choisir les "bonnes affaires" pour se faire mousser, ça clairement, il ne savait pas faire. Finalement le problème n'était pas là. Et toujours les holos qui crachaient :

«… de la présidente Sandfrost dans sa dernière allocution ont précipité une vague de questions sur le bien fondé de l'opération militaro-policière sur Sargas…»

Le bot à l'allure de stewart astiquait des verres comme le lui ordonnait sa programmation. En réalité c'était totalement inutile mais un type avait décidé, sur la base d'une étude très sérieuse, que ces gestes stéréotypés étaient nécessaire pour rassurer les humains. Putain ! Ça fait plus de deux cents ans que les robots font partie de nos vies ! Se dit Ethan qui avait tendance à passer du coq à l'âne que ce soit dans les conversations ou dans sa tête, avec pour conséquence inévitable qu'il était difficile à suivre même pour lui-même.

Un hispanique à l'allure de jeune premier venait d'entrer. Tenue en nano-polymère, bardée de plaques de néokev, le flingue au côté, le gars arborait fièrement l'uniforme d'Oméga, police fédérale à laquelle appartenait également Ethan. À ce moment les holos annonçaient le dernier fait-divers du moment :

«… une importante vague de neutrinos qui a balayé les laboratoires de Derenzer inc. avant que le confinement ne soit rétablit. On ne déplore qu'une seule victime…»

« Bonjour capitaine. Magister Adrian Lencott. Je suis votre nouveau coéquipier. Dit-il enjoué.
— Je vous attendais plus tôt. Vous êtes tombé dans un vortex ou vous avez traîné en route ?
— Vous avez oublié de me dire où vous retrouver. J'ai dû vous chercher…
— Bon, vous êtes un flic et vous savez retrouver un collègue, c'est déjà pas si mal j'imagine.

Adrian se rembrunit. Une femme trop maquillée sortit de la porte du fond en réajustant de superbes seins qui devaient certainement être refait. Elle passa derrière Ethan et Adrian en lançant un clin d'oeil au bot stewart qui lui rendit un petit hochement de tête. Ethan avala d'un trait son verre. Inutile de gâcher.

— Magister Adrian Lencott, je vais vous demander de m'attendre dehors, à un mètre cinquante de la porte.
Adrian un peu surpris leva un sourcil avant de répondre.
— Bien capitaine.

Et il sortit. Ethan sourit. Un p'tit gars obéissant, c'est déjà ça.

Un type, calvitie naissante et nano maquillage aux yeux sortit à son tour par la porte du fond l'air satisfait. En apercevant Ethan, l'uniforme gris clair et l'écusson d'oméga, il marqua un arrêt. Ethan tourna la tête vers lui en faisant mine de prendre son blouson sur le siège d'à côté. L'homme dû croire qu'il cherchait son arme ou toute autre idée de cet acabit. Il se mit alors à détaler comme un lapin en direction de la sortie. Ethan activa mentalement son commlink.

— Adrian ! Sors ton arme et pointe-la sur la porte.
— Pardon ? Je… Oh putain !

Fut à peu près la réponse d'Adrian alors que la calvitie naissante sortait en trombe du bar. Le délai de réaction du jeune homme ayant été retardée par son interrogation, le fuyard le bouscula violemment et l'envoya à terre au milieu des passants interpellés qui s'égayèrent en piaillant pour se mettre à l'abri de la fusillade qui ne manquerait pas d'éclater. Ethan sortit à son tour et sans perdre de temps, emboîta les pas de la calvitie naissante. Le gars courrais vite et bousculait tous ceux qui se trouvaient sur sa route. Il faut dire qu'à cette heure matinale le quartier était déjà bien rempli.  Il allait devoir se frayer un passage au milieu des baraques à nems et des vendeurs ambulants qui proposaient à une horde de cadres moyens des petits déjeuner à prendre à la sauvette. 

La calvitie naissante, qui se nommait en réalité Lonni, bien connu des services de police zigzaguait au milieu de la foule en espérant que son poursuivant se fatiguerait avant lui. Ethan fit remonter son casque et la visière se referma superposant en O.R.A. les données télémétriques utiles. Il verrouilla sa cible et activa son implant neural pour établir les chemins probables selon des critères que lui seul définissait. Une jeune écolière qui ne comprenait rien à la situation se baissa, accroupie, là où elle était, c'est à dire sur le passage d'Ethan. La donnée avait déjà été analysée quand il arriva sur elle. Elle ferma les yeux incapable d'une autre réponse physiologique plus adaptée à l'impact imminent, mais rien ne vint. Ethan entra en déphasage une microseconde avant de se prendre les pieds dans la gamine et la traversa. 

Comprenez bien que la réalité physique de ce phénomène est un peu plus complexe, mais d'un point de vue extérieur il faut reconnaître que ça donnait vraiment l'impression qu'il la traversait, du moins pour certains. D'autres le virent sauter au-dessus de l'enfant. D'autres encore le virent la contourner par la gauche et d'autres enfin par la droite.

Lonni arrivait à un passage critique ; deux possibilités, un choix. En face, par la droite, la rue continuait en se rétrécissant pour longer une série d'immeubles de verre ; par la gauche un escalier descendait vers une zone ultra-marchande et donc ultra-bondée. Pour Ethan le choix théorique de Lonni était déjà résolu avant que ce dernier ne prenne sa décision ce qui lui permit de grappiller encore quelques millisecondes sur sa cible.

Lonni plongea dans l'escalier persuadé que la foule, les holopubs envahissant le champ optique et les devantures criardes participeraient à sa disparition.  Ethan s'engageait dans l'escalier trois secondes après lui, sa perception des probabilités envahie par un flot d'informations complémentaires et parasites. Arrivé en bas Lonni fit ce que toute proie gardant un minimum de réflexion ferait, il tourna à 180° pour foncer sous la rue d'où ils venaient. Malheureusement c'est aussi la conclusion logique à laquelle arriva Ethan. Il enjamba la rampe et tomba juste derrière Lonni qu'il attrapa des deux mains. Le poids, raisonnable pourtant, augmenté par la chute volontaire d'Ethan sur les épaules de Lonni, précipita le fuyard au sol.

« Police d'Oméga ! Lonni Xares tu es en état d'arrestation.
— Vous avez pas le droit !
— Tu rigoles Lonni ! Tu te barres de Saber III quinze ans avant la fin de ta peine et tu pensais que le contribuable accepterais ça sans broncher ?

Adrian arriva à ce moment. Un genou sur l'épaule de Lonni, Ethan lui passa les mains dans les nano-liens. Il tourna la tête vers le jeune homme.

— Tiens gamin. Prend en charge le paquet. T'as un véhicule ?
— Oui, elle est un peu plus haut.

Ethan réajusta son blouson et l'épousseta avant de remonter sa manche sur l'holocomp intégré dans l'avant-bras gauche de son uniforme.
— Be@ ?
L'holocomp répondit d'une voix féminine.
— Agent Ethan Travis, protocole d'identification vocale validé. Que puis-je pour vous ?
— Be@ ce que tu peux être formaliste, je t'ai déjà dit de m'appeler Ethan tout simplement.
— Agent Travis, vous savez que mon programme n'autorise pas ce genre de familiarité.
— Tu ne sais pas ce que tu perds Be@. Procédure 19.11, interpellation de Lonni Xares. Engage la procédure de retour à la prison militaire de Saber III. Le prisonnier sera de retour à l'aréopage d'Alpha-trine d'Eridan dans… ? Dit-il en se tournant vers Adrian.
— Euh… Au Q.G. dans 12 minutes…
— Dans 12 minutes. Prise en charge attendue par une unité carcérale ou la S.I.T. au choix.
— Au choix ? Répondit l'intelligence artificielle.
— Oui, je me fiche de qui se chargera de ce guignol pourvu qu'il retourne sur Saber III. Donc tu fais au mieux, au plus vite.
— Prise en charge par une unité de sûreté carcérale de Saber III demandée. Bon travail agent Travis.

Ethan coupa la communication et s'intéressa à son coéquipier qui s'engageait dans l'escalier pour remonter leur prisonnier. Le jeune avait l'air de gérer la situation, il décida donc qu'il avait le temps de prendre un beignet de silène bien sucré.

— Je te rejoins à l'aréopage. » Lui dit-il en le laissant partir devant.

Après être, lui aussi, remonté, il avisa un petit vendeur de friture. La file qui s'étirait devant l'échoppe lui sembla suffisante pour indiquer une qualité, sinon excellente, du moins correcte des produits vendus. Et puis, ça sentait rudement bon. Tranquillement, il se planta dans la file. Le gars devant lui se retourna et un sourire forcé s'afficha sur son visage.

« Un problème monsieur l'agent ?
— Non, ne vous inquiétez pas. Je suis en pause et je veux un beignet c'est tout. »

Le soulagement fut évident et Ethan sourit intérieurement. T'aurais un truc à confesser p'tit gars ? Alors que la file avançait son oreillette temporale bourdonna et la voix de Be@ retentit dans son cerveau.

« Agent Ethan Travis vous êtes attendus à l'aréopage. Briefing à 9.00. »

Ethan soupira. Il lui restait quinze minutes pour retourner à l'aréopage. Tant pis pour le beignet.

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