Camarade !

alexe

Clameur pour Tcheky Karyo qui est le bienvenu pour y apporter son éclairage

Lieu : Métro Jaurès, Paris XIXe.

Une des stations les plus sales de Paris.

Le canal coule non loin, avec ses recoins aux relents de pisse, ses couchettes en carton piétiné. Le MK2 et le lieu Ephémère accueillent les autres, ceux qui en ont, des sous.

 

Au nom du grand homme dont on a oublié le message, avant le nom,

et à mes camarades imaginaires.

(Un chanteur de rue, un accordéoniste, un pauvre mec...

Il chante

O partigiano portami via

O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao

O partigiano porta mi via

Ché mi sento di morir

Avisant quelqu’un, il s’arrête)

Camarade !

As-tu la moindre idée de ce que signifie ce mot ?

Je te vois, tu passes.

Tu ne m’as pas accordé un regard. Je suis un meuble, un pavé du trottoir.

Tu es une force, moi, rien du tout.

Un intrus.

Je ne te ressemble pas ?

Ah.

J’ai pourtant tout comme toi.

Deux bras, deux jambes.

Une tête, des hormones.

Camarade ?

Mais on ne se connaît pas.

Nous sommes étrangement identiques.

C’est déjà un bon début.

Et même, s’il manquait une phalange, une cellule à l’un d’entre nous, nous deux, simplement ?

Qui de nous deux ferait la différence ?

Je te tiens, là.

Je t’oblige à réfléchir à tout ça.

C’est idiot, n’est-ce pas.

C’est pourtant une question qu’on m’a posée à l’école.

Ce n’était peut-être pas la même école, avant, après, un autre lieu, un quelqu’un d’autre.

Après Jaurès.

Et alors ?

Cela reste la même question.

Celle qu’on ne se pose que solitaire, quand on se la pose.

C’est déjà un bon début.

Je t’ai vu tout nu !

Là, dans ton regard.

Tu t’es senti à poil, comme désarmé.

Là, entre deux rames de ce métro qui t’oblige à la promiscuité.

Tu ne voulais pas me voir, et moi, je t’ai hélé.

Tu n’as pas réussi à m’abattre d’un mouvement de paupières bien senti.

Tu te demandes ce que je peux bien te vouloir.

Moi, camarade ?

Dans l’idée, rien.

Rien de grave, rien de mortel, surtout pas matériel.

Je te prie de pardonner mon arrogance.

Je suis trop rapide.

Je n’ai pas suivi ton rythme.

C’est un éclair dans l’espace-temps que j’ai souhaité, qui ne te correspondait pas.

Pas encore.

Peut-être même jamais.

Comme on dit, les jamais, les toujours…

Ce sont les présents qui m’intéressent.

Voilà mon tort.

A qui parles-tu lorsque tu es seul ?

Ce serait une bonne façon de se comprendre.

Commencer, dans les soirées, par se demander ce genre de choses.

Plutôt que (tiens, essayons) :

-         Je te présente (…)

-         Enchanté

-         De même

-         Qu’est-ce que vous faites dans la vie ?

-         Je suis (…)

-         Ah

De là, les intuitions, sur, en un quart de seconde, le milieu, les goûts, les habitudes, les tendances, l’être… car le salaire… ou ce qu’on en sait… car la profession… ou ce qu’on en sait… et la fastidieuse mise au point linéaire qui s’ensuit.

Qu’as-tu appris ?

Ma foi, pas grand-chose.

Qu’as-tu construit ?

Un personnage social, une marionnette qui est (…) et qui gagne (…) et donc qui…

Ah.

Moi, je ne gagne presque rien.

Et je ne fais pas grand-chose non plus.

Apportez-moi un tonneau ! Je veux être Diogène.

Afin de partager le soleil qui me brûle tous les jours.

Je ne suis pas dans tes soirées.

Je ne marche pas à ton pas.

Plutôt que le pas de course,

Le pas de danse

Le pas de deux

Le pas pareil

Tu t’en fous,

Ce n’est sans doute pas là la cause de ta lombalgie, de tes insomnies,

Le grand inconnu qui te rattrape chaque jour.

Pour toi, c’est une forme de démence.

Qui des deux dément ?

Tu es un adulte,

Si tu n’as pas saisi l’évidence,

Que devient l’enfance ?

L’adulte est un culte,

Un opium sédentaire.

Mais au fond,

l’enfant.

Mais au fond,

A qui parles-tu lorsque tu es seul ?

C’est l’heure.

Va, de ce pas,

Rejoindre ce que tu dois.

Aujourd’hui,

Tu m’auras au moins entendu.

Peut-être, demain, au métro du retour,

Me répondras-tu quelque chose.

Allez,

Camarade,

Je ne te serre pas la main,

Tu n’en voudrais pas.

Mais le cœur y est.

(Il reprend sa chanson,

È questo il fiore del partigiano

O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao

È questo il fiore del partigiano

Morto per la libertà. )

Alexandra FRITZ

le 3/10/11

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