Horreur de la vie, extase de la vie, pouvoir en rire.

Eric Varon

J'avais la tête au fond du seau et la serpillière par-dessus, mais je fermais souverainement les yeux.

Une fois, à l'hosto' des loufs', la dame retirait ses vêtements en disant « je n'ai plus de jambes, je n'ai plus de cuisse, regardez, je n'ai plus de corps », elle se faisait gronder parce que « la pudeur n'est-ce pas on n'enlève pas ses habits devant tout le monde... », Mais elle ne voulait pas croire à son corps, elle pensait qu'on lui mentait, avec l'identité des choses réfléchies et de la conscience qui les réfléchit, elle voulait une preuve, impossible à donner. Le seul moyen de n'être pas réduit au reflet des choses n'est-il pas de vouloir l'impossible ? Pourtant notre corps est social, doit être inséré dans le rapport au monde, ne pas échapper au destin qui le réduit au reflet des choses, la poésie du corps voulant l'identité des choses réfléchies et de la conscience  qui les réfléchit veut l'impossible. Misère du corps usé, meurtri figé dans l'insatisfaction de soi, insaisissable fluidité du langage cherchant l'identité du sujet et de l'objet. Du corps au monde, l'être et l'existence, condamné à quoi au fait ?  En psychiatrie tous les corps sont usés, fatigués, décharnés, à bout de peine, corps sans rêve, corps en grève.

La poésie c'est s'emparer des prérogatives majeures de l'adulte sans admettre les obligations qui lui sont liées, prolonger une vie libre, choisir d'être un soi s'opposant au monde.

J'avais la tête au fond du seau et la serpillière par-dessus, mais je fermais souverainement les yeux, je me regardais, de plus en plus, pâle moins petit moins, touchant, corps de brute âme d'enfant,  avec cette  connaissance pratique de l'avenir, le désespoir passera comme l'espoir est passé. Horreur de la vie, extase de la vie, pouvoir en rire, avoir conscience du Tao.

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