Capharnaüm partie 5

-nicole-

La cave

J'ai heurté un mur… enfin, quelque chose m'a repoussée violemment. Je ne sais plus où je suis. Je sens encore, parfois, mon environnement bouger, bondir ou simplement glisser. Quand je cherche à me déplacer, j'ai des sensations étranges, comme si je traversais de la matière vivante. Comment pourrais-je savoir ce que l'on ressent en traversant la matière vivante d'ailleurs ? En tout cas, c'est parfois tiède et humide, visqueux des fois, caoutchouteux et vaguement résistant, souvent. Je ressens aussi, la plupart du temps, un sursaut, un rejet de la part de ce que je viens de simplement toucher, voire de pénétrer. Ça leur fait mal ? C'est peut-être effrayant pour ceux qui respirent encore… Je suis désolée, mais je ne vous vois pas et vous ? Me voyez-vous ? Ne vous affolez pas, je ne fais que passer… Je ne sais même pas s'il est possible que je reste en vous et je ne crois pas en avoir envie, c'est dégoûtant quand j'y pense… Bref, je cherchais mon chemin et j'ai heurté un truc. Je croyais que les fantômes pouvaient traverser les portes, les murs, les planchers… Moi, non. Je suis un fantôme raté… à moins que… j'ai cru sentir une vague odeur de brulé, il y a quelques instants, un parfum que je connais, de la sauge peut-être, de la sauge que l'on brûle, c'est ça ! quelqu'un cherche à se débarrasser de moi ! Quelqu'un crée un sanctuaire, une forteresse dans laquelle je ne pourrais pas entrer. Et ça marche, j'ai heurté un mur et il m'a repoussée. Si seulement je pouvais voir ! ça leur éviterait bien des frissons, je ne les toucherais pas, je me garderais bien de passer au travers de leur corps spongieux et collant… beurk.

-          « Luz, Luz, réfléchis et trouve une issue ! »

Oui ! je me soliparle, je me consolencourage… je fais ce que je peux.

****

J'ai eu comme une absence, je me suis effacée le temps d'un instant,  enfin, je crois, ça aurait bien pu durer des heures, des jours ou des années finalement, j'ai disparu, j'ai perdu conscience de moi-même, comme si on avait appuyé sur un interrupteur pouf ! on éteint la Luz et puis paf, on éclaire de nouveau… Je sais, c'est un peu facile comme image… mais c'est ce que je ressens. Il fait toujours noir autour de moi, mais… on dirait bien que c'est un noir moins noir, une obscurité incomplète, une noirlueur, ou une lumiombre. Je distingue vaguement quelque chose.

Il y a un rai de lumière, tout autour de ce qui semble être une petite porte. Je reconnais cette ambiance : fraicheur, humidité, vagues relents de moisissures, un peu comme une senteur d'humus… Je suis dans la cave ! J'ai dégringolé deux étages et me voilà à la cave ! Ça signifie que le manque de lumière a une autre explication à présent. J'ai rattrapé le cycle, je suis de nouveau en phase avec les vivants. Ça signifie aussi que je vais pouvoir agir. Mes… yeux ? … s'acclimatent peu à peu. J'ai un vocabulaire de vivant… comment définir ce qui me sert à voir ? C'est vrai quoi, je ne sais pas vraiment à quoi je ressemble, ai-je des bras, des jambes, des oreilles ou même une langue fantôme ? Je n'ai pas pensé à vérifier quand j'étais en haut, au début, rien ne m'a choqué, j'ai dû voir passer mes mains dans mon champ de vision, à un moment… Je ne m'en souviens pas… Ne pas les voir m'aurait sûrement interpellée… Mais peut-être que, depuis, j'ai changé d'apparence… Je ne sais pas quelles sont les règles au pays des dormourants… Il faut vraiment que je réfléchisse à tout ça… Plus tard… ce qui compte maintenant c'est de savoir où je suis. Pour le quand … c'est une autre histoire. Je suis à la cave, mais pourquoi y suis-je ? Qu'est-ce qui m'a guidée jusque-là ? J'ai été repoussée, mais j'aurais tout aussi bien me retrouver au garage ou dans le vide sanitaire, ou bien dehors, tiens, pourquoi pas dehors, dans le jardin ? Non, c'est à la cave que je suis. Et c'est à la cave que nous avions l'habitude de stocker tous les trucs dont on ne voulait plus et qui pourraient servir plus tard, « qui sait ? » C'est peut-être là que je vais pouvoir retrouver mon talisman, mon carrousel, c'est peut-être là que je vais trouver la clef, celle qui me permettra de tout comprendre, celle qui me permettra de retrouver le monde, peut-être. Dans mes souvenirs, à droite de la porte, il y avait deux petites marches qui permettaient d'accéder à la cuve de fioul (je ne sens pas d'odeur de pétrole…) et, juste à côté, on avait rangé le berceau, celui que j'ai vu là-haut, dans la chambre de Tano, une antique chaise haute en bois travaillé ainsi que le lit parapluie, une poussette-canne et le vieux parc en bois, lui aussi, bref, le matériel de puériculture qui servait aux éventuels enfants de nos visiteurs en attendant de reprendre du service pour la prochaine génération. Je monte les deux marches et je tends, enfin je crois, la main gauche vers le mur, là où devrait se trouver un interrupteur… je tâtonne – j'ai donc une main ! c'est une bonne nouvelle ! – et je l'actionne…

à suivre...

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