Carnet de bord de Joseph l'ange gardien

Carnet de bord de Joseph l'ange gardien

La tâche qui m'a été confiée s'annonce particulièrement difficile mais par mes ailes, je ne peux baisser les bras ! Je sauverais l'âme de l'adolescente connue sous le nom d'Antéchrist qu'elle le veuille ou non !

En cette belle journée de septembre, la rentrée se profile et ma cliente ne va pas tarder à rentrer de chez son père.
Gina s'agite comme d'ordinaire dans son restaurant, débarrassant les tables, hurlant des ordres à l'adresse des cuisiniers avant de s'éponger le front avec un pan de son tablier. Les ventilateurs suffisant à peine à rendre l'air respirable en cet été caniculaire.

_ Giuseppe ! Tu tombes comme le fromage sur les macaronis, viens m'aider ! Me crie-t-elle

J'ai une immense admiration envers ce petit bout de femme, négocier la garde partagée avec le Malin, il faut le faire quand même !
Un weekend sur deux et la moitié des vacances, Julia est chez papa cornu, le reste du temps, elle suit des cours au lycée du coin et aide dans l'affaire familiale : Chez Gina, le meilleur resto italien de ce petit coin de la France, autoproclamé.

J'ai les mains pleines d'assiettes fumantes, quand soudain, les tables aux napperons rouges et blancs se mettent à trembler tandis que le sol se soulève, révélant ses profondeurs enflammées.
Dans un nuage de fumée nauséabonde, deux silhouettes émergent.

_ Mia bella ! S'exclame-t-elle, en serrant sa progéniture dans ses bras puis, la lâchant, elle enfonce un index rageur dans le torse de son ex conjoint : Idiota ! Combien de fois je t'ai dit de ne pas mettre tes pieds fourchus dans ma maison

Les yeux rougeoyants, le démon lève les bras dans un geste apaisant :

_ Je m'en vais, je m'en vais ! Et il lance à l'adresse de sa fille : N'oublie pas ce dont on a parlé mon cœur !

À ces mots il se fond dans le sol. Je darde aussitôt un regard soupçonneux vers ma protégée, actuellement occupée à s'empiffrer sous l'œil indulgent de sa mère

_ Mama, tes spaghettis elles sont d'enfer !

Gina tout en souriant a son enfant me lance :

- Ne reste donc pas planté là comme un spaghetti pas cuit Giuseppe, va servir, va !

Tout en m'affairant je plante mon regard dans celui de la « Bellassima », en espérant y lire un indice. J'en suis encore à me répéter le « N'oublie pas ce dont on a parlé mon cœur ! » de Lucifer, comme si lui, s'inquiéter de ce qu'était un cœur ! Quand le temps s'arrête brusquement sur cette scène, dans un fracassant chant angélique, le ciel, enfin le plafond s'ouvre. Il ne manquait plus qu'un Archange !

Il faut toujours qu'ils fassent une entrée tonitruante, des mises en scène stupéfiante avec son et lumière, au moins de l'autre côté, sous terre ils sont moins....
Bref.
Ils ont le toupet de nous sermonner et de nous faire faire des économies de bout de chandelle.
Pas de tour de passe-passe, les humains ça leur fait peur ! Etc. etc. Des hypocrites, oui !

Bon je m'attendais à cette visite, il faut bien se le dire, une mission comme celle-là...A moi. J'hésite d'ailleurs à le prendre comme un comme un compliment ou un piège c'est que je risque mes ailes, moi. Et franchement finir comme Icare, autant vous dire très peu pour moi.

Voici l'Archange, sans prendre la peine de se présenter il me lance :

- Le contact est pris ?

- A l'instant.

Qu'est-ce qu'il croit Meeeeeeeeeusieur, que je suis venu dans ce restaurant pour manger une pizza, même si j'en ai bien envie car elles ont vraiment l'air succulentes. Je me reprends :

- L'antéchrist vient de revenir de chez son père.

- Très bien, tu connais l'importance de cette mission. L'enfant du Diable, sur terre, c'est comme le loup dans la bergerie. Si une seule des brebis venait à manquer, tu pourras dire adieu à tes ailes. Je ne sais pas ce qui a pris au patron de te choisir, toi, me nargue-t-il

Je sens comme un reproche dans sa voix, bien sûr que le chef a bien fait de me choisir. Bon c'est vrai, je l'accorde, je suis un peu brouillon, mais toutes mes missions ont réussies... Avec plus ou moins de succès !

- Je suis aussi porteur d'une nouvelle, certain de nos espions nous ont rapporté que l'espiègle avait mandaté un de ses agents pour faire surveiller l'enfant.

Sur ces mots il me laisse et c'est à mon tour d'être figé, aucune magie là-dedans sinon celle de l'angoisse. J'ai comme un mauvais pressentiment...

Je reste comme une pizza surgelée alors que le temps retrouve un rythme normal autour de moi, même la voix de Gina me parvient feutrée. C'est alors que la porte d'entrée tinte et la matrone de s'exclamer :

- Ludmilla, Mia cara, vieni ! Presto ! Va te mettre en tenue, et file à la cuisine.

Oh non pas elle ! Je grimace en la regardant de bas en haut, de ses bottes à talons aiguilles, à sa mini jupe de cuir et son débardeur tout aussi mini. Tout en elle clame les ennuis et le sourire moqueur dont elle me gratifie fait remonter mon déjeuner le long de ma gorge.
Joseph ! S'exclame t-elle en courant vers moi, Mon chéri ! Elle me saute au cou et m'enlace dans une étreinte similaire à un étau. Je suffoque, le visage plaqué contre son imposante poitrine.
Ça y est je suis fichu, je peux dire Adieu à mes ailes...
La succube jette en arrière son épaisse chevelure noire méchée de rouge et pars rejoindre la mama tandis que je reste comme deux rond de flans, l'auréole vacillante.
J'ai beau être un ange, je ne suis pas naïf pour autant, je sais combien le mal peut être attrayant et combien la démone peut paraître cool au regard d'une ado, je ne fait clairement pas le poids à côté. Je baisse les yeux sur ma tenue, pull jacquard, chemise boutonnée jusqu'en haut, pantalon en tergal et mocassin vernis.
Je n'ai pas besoin de miroir pour savoir que pas une mèche de mes cheveux blonds ne dépasse...
Je perçois des rires, la garce a déjà séduit la mère, ce n'est qu'une question de temps avant que la fille soit aussi dans sa poche.
Je n'ai qu'un seul avantage c'est que l'Antéchrist n'a pas encore acquis ses pouvoirs et qu'elle ait aussi aveugle à notre monde que n'importe qu'elle humaine. À moins d'être en contact physique avec l'un d'entre nous, tout ce qui est débarquement archangélique ou bagarre de chiffonniers entre ange et démons gardiens lui passe au dessus de la tête.
Pas que cela m'aide beaucoup, je soupire intérieurement. J'ai toujours été nul en bagarre, Ludmilla va m'arracher les yeux avec ses longs ongles vernis de rouge avant que je n'ai le temps de dire ouf.

_Giuseppe !!!!

Je lève les yeux au ciel en quête d'un peu de soutien avant de filer vers la cuisine.