CARTE PRO

vanessa

Carte pro

Enfin décidée à poser un congé sans solde pour accomplir ces myriades de tâches administratives qu’on remet toujours au lendemain, vendredi 13 mai, lendemain de jour férié, je me rends au bureau de poste des Cinq avenues à Marseille. J’ai acquis une carte pro pour gagner du temps, je vais directement au guichet idoine. Je patiente quelques minutes devant le guichet pro, ouvert mais vide. Impatiente,  je gesticule, je m’énerve.

MOI  (tout bas)

Ah, enfin, le voilà !

(À voix haute)

Bonjour, c’est pour une lettre recommandée avec accusé de réception.

L’homme, la quarantaine, type méridional, me tend alors le document que je remplis rapidement, pressée. Lorsque j’ai fini, je relève la tête : il a disparu. Je me retourne à la recherche du guichetier afin de payer ma commande. Je le cherche du regard, à droite, à gauche. Je vitupère, comme à mon habitude : à Marseille depuis dix ans j’ai en effet acquis les réflexes locaux. Une employée passe et je l’interpelle.

MOI

Mademoiselle, c’est pas possible, je vais attendre encore longtemps comme ça ?

L’EMPLOYEE

Je ne sais pas où il est parti… (elle fait le tour du guichet ) Attendez, je vais voir si je peux vous aider.

MOI

C’est juste pour une lettre.

L’EMPLOYEE

Désolée, je peux pas vous encaisser, c’est lui qui a la caisse. Vous êtes obligée d’attendre.

MOI (ronchonnant)

Ah voilà, c’est bien la peine d’avoir une carte pro si c’est pour attendre des heures.

Je ronge mon frein, quand soudain le fautif réapparaît par la porte principale de la poste.

MOI

Ah vous voilà ! Mais vous passez votre vie à vous promener ?

L’homme est surexcité, gesticule dans tout les sens, ses joues sont rougies par l’émotion. Il parle fort avec un accent du sud. 

L’HOMME

Désolé c’est ma copine, elle est hôtesse de l’air, ça fait super longtemps que je l’avais pas vue. Je suis juste sorti lui faire un bisou, elle arrive à peine !

MOI (radoucie, soudain curieuse)

Hôtesse de l’air ? C’est passionnant !

L’HOMME (tout en décollant les feuillets du bulletin d’envoi)

Elle arrive de  Hong Kong.

MOI

 La classe ! Dîtes-moi, vous avez l’air à fond ? Ça va être la fête ce soir !

L’HOMME (clin d’œil)

La fête du slip, vous voulez dire !

Je pouffe de rire et, amusée par le spectacle que nous offrons aux autres clients, je me décide à jouer le jeu de l’interview intimiste à la fois naïve et curieuse.

MOI

C’est beau, l’amour !

L’HOMME

Ah ! oui, ça me va et ça me vient, on s’engueule souvent !

MOI

Quel dommage !

L’HOMME   (tout en validant ma lettre)

On a une grande différence d’âge… Elle est toute jeune vous savez.

MOI

Ah oui ?

L’HOMME 

… Et elle veut un minot ! 

MOI

Ça… c’est classique… Pas facile, dans cette situation…

L’HOMME

Non, mais je crois que je vais lui faire, vous savez…

MOI (émue)

Formidable ! C’est une belle preuve d’amour !

L’HOMME

Oh mais attendez ma p’tite dame, j’en ai déjà deux !

MOI (péremptoire)

Ah, oui les familles recomposées, pas simple, en effet ! Mais une femme doit connaître la joie de la maternité, vous ne pouvez pas lui refuser ça ! Bon… Je sais les enfants ça change tout mais le risque, si vous ne lui faites pas un enfant c’est qu’elle aille voir ailleurs, après.

L’HOMME

Oh non, elle a déjà un minot ! Et puis putain, je vous dis pas le bordel à nous deux ; ça nous en fait trois, oh ! hé ça marque-mal, pardi ! 

MOI

Oh bien vous êtes encore jeune.  Lâchez-vous !

L’HOMME

Oui,   je crois que je vais craquer ! Je l’aime trop. Bon, c’est pas tout ça, personne suivante !

MOI

Bon… Bein bonne soirée, bon week-end !

L’HOMME

Ah ah ah …

Signaler ce texte