Carton pâte

loua

Vous le connaissez tous, ce couple irritant de perfection. Et vous l'avez remarquée, l'écorchure dans leur sourire ?

La faille apparaît sur la photo de mariage qui trône presque comme une obligation sur la cheminée. Comme si sans elle ils ne pouvaient pas être le couple idéal qu'ils aimeraient être.

Elle sourit, comme toutes les mariées, à pleines dents. Il est plus réservé. Il l'entoure de ses bras dans son costume brun, elle est éblouissante dans sa robe crème. Parce que c'était ce qu'on attendait d'eux ce jour-là en particulier.

Quand ils vous invitent, ils le font dans les formes. Menu trois services et argenterie fraîchement nettoyée. Le salon sent encore l'aspirateur qu'on vient de passer, la cuisine les bons petits plats longtemps mijotés suivant la recette de grand-mère. La chienne a été mise à la niche, de temps en temps elle vient appuyer sa grosse tête contre la vitre de la porte-fenêtre. C'est lui qui ouvre la porte, réceptionne la bouteille de vin en s'extasiant, récupère les manteaux et invite à passer au salon pour l'apéro. Elle s'excuse d'être encore en cuisine et vient dire bonjour en ôtant son tablier.

Mais le cadre est fendu. Discrètement. Ils ont tenté de le réparer, avec de la colle, de la patience, beaucoup de maladresse.

Au dessert ils vous racontent leur dernier voyage, quelque part en Afrique. C'est elle qui en parle, dans ses yeux on voit briller une petite étincelle, elle tousse, s'évente en riant, s'excuse de tant d'enthousiasme. Il la regarde fixement, de biais, en attente. Il la surveille.

Vous déplorez qu'il travaille bien trop, que ce n'est pas raisonnable, qu'à son âge il devrait profiter un peu plus, que sa carrière n'est plus en jeu pour quelques heures sup'. Elle répond à sa place qu'il a toujours été un amoureux de son boulot. Il baisse le nez dans son verre, s'extasie une énième fois sur la qualité de la piquette que vous avez amenée. C'est qu'ils font du bon vin, en Californie, hein ?

Le verre du cadre est ébréché, la poussière s'infiltre, noircit les sourires trop blancs. Ils regardent leur beau souvenir s'effilocher sans rien pouvoir y faire. Parce qu'il a toujours été trop tard.

Sur le pas de la porte vous remerciez encore une fois vos hôtes pour le délicieux repas et l'agréable soirée. Il est tard, comme toujours. Le dernier café a été un peu expédié quand l'horloge vous a ramenés à l'ordre. La prochaine fois, c'est vous qui régalerez. En essayant que tout soit aussi parfait.

Vous n'aurez peut-être pas remarqué la photo sur la cheminée et ses coins jaunis et écorchés. Les regards perçants, les moues en coin, les doigts qui se crispent sur la fourchette.

Dès qu'elle le pourra, elle repartira en Afrique, sans lui. Il retourna se noyer dans le travail.

Ils continueront de faire semblant.

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