Catastrophiques envolées

Guillaume Bailly

Félicitations à tous les participants à la clôture du jour.
Que font les croque-morts en cas de catastrophe ? Ils réagissent avec courage, abnégation et sang-froid, dans la mesure de leurs moyens.
Voici leur histoire.
L'appel tomba du poste de police de la rue Colbert à 19 H 45. Réquisition. C'était dans un champ de Guipavas, l'aéroport international de Brest.
La fille du standard de la police, jeune sans doute, n'avait pas plus de précisions. Un crash d'avion près de Guipavas. C'était la panique, il fallait que les pompes funèbres interviennent. Puis la communication fut coupée.
"Sans doute une perturbation electromagnétique causée par la carcasse de l'appareil", songea l'assistant qui avait reçu l'appel le plus perturbant de sa vie. Il appela donc son collégue de permanence, l'ambulancier, qui s'installait avec un café dans son fauteuil, en prévision du journal de 20 heures. Celui-ci était loin de se douter que, dans très exactement deux minutes et dix sept secondes, son coeur allait manquer un battement, son mug South Park allait choir sur le sol, brisant son anse et répandant son contenu sur le parquet, que son fauteuil serait violemment propulsé contre le mur lorsqu'il s'en reléverait trop brutalement, et qu'il manquerait de renverser un petit meuble en glissant dans le café récemment répandu, au moment ou une voix familière lui annoncerait un crash d'avion à Brest-Guipavas.
C'est en pilotage automatique qu'il rejoindrait son collégue, sur les chapeaux de roues, et que tous les deux, dans l'ambulance , traverseraient Brest, en cette heure délicate ou le jour et la nuit se rencontrent et s'échangent de mystérieuses paroles que le zeph' emportera à l'horizon avec la chaleur de la journée. Et ainsi fut fait.
L'ambulance funèraire traversait la ville à une vitesse prohibée, avec deux croques-morts à bord.
Le premier, front plissé par la concentration, s'efforcait de penser à la route, uniquement la route, qui défilait sous lui à une vitesse indicible, et aux feux rouges qu'il ignorait, et aux ronds points qu'il traversait à fond de train. Il chassait de son esprit les flammes, les corps brisés, déchiquetés, carbonisés, les membres amputés qui jonchaient le sol, la nuit qui clignotait en bleu gyrophares, les hommes désemparés qui courraient en tout sens à la recherche d'un espoir, d'un signe de vie, à l'arrière plan, la carcasse gigantesque de l'appareil transformé en cercueil, et au premier plan, posé sur la pelouse arrosée de kérozéne, un doudou, qui avait appartenu au plus jeune des passagers, victime expiatoire de la folie des hommes dans leur course inexorable au progrès et à la conquéte des cieux malgré la leçon donnée par les Dieux à Icare, enfant qui emporterait avec lui les dernières traces d'innocences de tous ceux qui serait présents sur les lieux, tant est si peu qu'il leur en fusse resté.
Il sentait couler sur son visage les larmes et la sueur. Un avion s'était écrasé à Guipavas.
Le second appelait, appelait sans relâche. D'abord son chef, le directeur de région Bretagne Nord, qui à son tour alait appeler tous ses bureaux, pour mettre les équipes en alerte. Les gars de repos seraient rappelés, les familles renvoyées chez les concurrents confrères, tout le matériel disponible serait en route dans quelques instants pour Brest Guipavas. Il appelait ensuite les autres chefs d'autres régions, pour obtenire le même chose. A chacun, il décrivait les flammes, les corps brisés, déchiquetés, carbonisés, les membres amputés qui jonchaient le sol, la nuit qui clignotait en bleu gyrophares, les hommes désemparés qui courraient en tout sens à la recherche d'un espoir, d'un signe de vie, à l'arrière plan, la carcasse gigantesque de l'appareil transformé en cercueil, et au premier plan, posé sur la pelouse arrosée de kérozéne, un doudou, qui avait appartenu au plus jeune des passagers, victime expiatoire de la folie des hommes dans leur course inexorable au progrès et à la conquéte des cieux malgré la leçon donnée par les Dieux à Icare, enfant qui emporterait avec lui les dernières traces d'innocences de tous ceux qui serait présents sur les lieux, tant est si peu qu'il leur en fusse resté.
Il sentait couler sur son visage les larmes et la sueur. Un avion s'était écrasé à Guipavas.
Et Brest défilait, indifférente, les dernières lueurs du jour affleurant son architecture austère de ville d'après guerre, dont la beauté n'apparaissait pas à l'oeuil, mais au coeur des Brestoises et des Brestois qui se donnaient la peine de regarder leur ville autrement que commme une suite de rues. L'air marin caressait leurs narines, portant toutes les effluves du monde, portées la par les océans, mais le monde resterait indifférent au drame vers lequel ils se précipitaint. Rue Jean Jaurés. Place de Strasbourg. Puis la rue de Paris. Enfin, ils se trouvèrent à Coataudon-Tourbian, ils bifurquèrent vers l'aéroport, et enfin, suivant es indicatins, ils virent les estafettes garées sur le bord d'un petit chemin de campagne. Avec eux, quelques pompiers. Sans doute le barrage.
"Bonsoir, messieurs. Vous avez fait vite !
- Aussi vite qu'on a pu. C'est ou ?
- C'est la".
Le flic montrait un champ, caché par un talus.
"Ok, les renforts sont en route. Les pompiers vont ouvrir une voie ? Ou est-ce qu'on va faire la chapelle ardente ?
- La quoi ?
- La chapelle ardente ! ... (Un blanc se fit. Monsieur le Doute fit voir le haut de son crâne) Vous savez, pour les victimes !
- Les vic... Euh, dites, les gars, on vous a dit quoi, exactement ?
- Ben qu'un avion s'était crashé. C'est pas ça ?
- Si, c'est rigoureusement exact. Un Cessna 172 M, je crois. Quatre places. Mais il n'y avait que le pilote à bord. Il a fait un infarctus et a raté son atterrissage en catastrophe... Hé ! dites, ça va, les gars ? Vous êtes tout pâles..."

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