Ce personnage

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J'aimerai aujourd'hui vous présenter un personnage.

Un personnage qui a vu le jour dans cette génération d'après-guerre. Cette génération dont les parents étaient encore fortement marqués par les horreurs d'un conflit mondial. Les horreurs d'un extrémisme radical, terriblement vindicatif, terriblement meurtrier.

Ce personnage, qui lui, a eu la chance de naître et de grandir dans un monde en paix, a cependant été formaté par un environnement où le non respect des règles était intolérable, et sévèrement punis.

Ce personnage est un garçon. Et à ce titre, il se devait de suivre certains codes, certains préceptes : Un garçon se doit d'être fort. Il se doit de garder ses larmes, de cacher ses émotions. Un garçon se doit, non de donner le premier coup, mais d'assurer de donner le dernier. Tel devait se forger un garçon. Et tel ce personnage s'est forgé. A coups de règles sur les doigts, et de roustes au martinet. A coups de sermonts et d'humiliations. A coups de principes et de valeurs. A coups d'amour aussi, un peu, parfois.

C'est dans ce climat que ce personnage s'est construit, pris en tenaille entre un frère ainé au talent reconnu mais au caractère rebelle, et une sœur cadette exigeante, accaparant beaucoup de l'attention de leurs parents.

Bon gré mal gré, oscillant entre une stricte éducation jésuite et un besoin d'exprimer son identité propre, il traça sa route vers une voie qui lui ressemblait : la simplicité et l'honnêteté du monde de la terre et de l'agriculture.

Alors qu'il s'investissait plus ou moins assidument dans ses études, il fut distrait par la sœur d'un de ses meilleurs amis.

Ce personnage se mis alors en tête de mieux connaitre la jouvencelle, non sans paraitre parfois un peu insistant, sans que cette dernière ne semble pour autant se douter de quoi que ce soit.

Elle fini, malgré tout et surtout après un temps considérable, par capter les intentions de l'importun. Légèrement désabusée, elle décida qu'après tout, il ne semblait pas pire qu'un autre. Ainsi débuta l'aventure d'une vie, dans un dortoir pour filles, où il n'avait aucun droit de résider une nuit entière... Mais après tout, que valent quelques règles, face à l'amour.

Quelques années plus tard, ce personnage se vit, sans trop savoir comment, être le plus heureux des hommes, au bras de sa belle, toute de blanc vêtue. De beaux et turbulants enfants ne se firent pas attendre pour compléter le tableau de la petite famille modèle. Un ainé survolté et tête brulée, un cadet conquérant et vif comme un félin, et une dernière, cherchant à exister dans le sillage des deux tornades qui la précédaient, tentant vaille que vaille de les suivre, sans toujours recevoir l'attention espérée de leur part.

Ce personnage faisait son possible pour élever la chair de sa chair, enchainant les maladresses d'un jeune père, luttant contre ses angoisses et les échos de sa propre enfance, mais heureusement toujours fidèlement épaulé de son épouse, et porté par un amour sans faille pour sa famille.

Cependant, concilier une vie de famille comme la sienne, et un travail à responsabilités dans une grosse entreprise, n'était pas chose aisée. Etant clairement plus à l'aise dans son rôle de manager que dans celui de père de famille, il était facile de délaisser cette dernière pour cause de "déplacement professionnel" ou "d'épuisement de la semaine de boulot" une fois le weekend venu. Il tentait de se rattraper lors des quelques vacances qu'il pouvait s'octroyer, faisant toujours son possible pour proposer de vraies aventures à ses enfants, qui le voyaient encore, à l'époque, comme un héros.

La gestion familiale tenait tant bien que mal les premières années, trimballant femme et enfants à travers le pays, déménageant selon les besoins du Saint Travail. Mais l'adolescence de l'ainée pointa le bout de son nez, presque en même temps qu'un heureux évènement parfaitement imprévu.

Voilà ce personnage père d'une famille de maintenant quatre enfants. Le petit dernier a trouvé bon de pointer le bout de son nez sans crier gare, à une période où le grand menaçait d'abattre une à une toutes les règles établies.

Bien que ravi de cette nouvelle, il allait bientôt devoir faire face à un cataclysme : préserver des liens familiaux mis à mal par des secrets de famille révélés, faire le deuil de son frère ainé emporté par un chauffard, encaisser la violence de deux enfants le confrontant à son statut de simple être humain, faillible et imparfait, eux qui jusqu'à la veille encore le pensaient tout puissant, et accorder de l'attention à sa femme qui traversait sa propre crise existentielle et menaçait la stabilité de leur famille.

Le tout s'enchaîna si brutalement, si soudainement, si intensément, et sur une période si allongée... Il avait l'impression qu'il n'en verrait jamais le bout. Et pour couronner le tout, ce travail pour lequel il avait tant donné, continuait de lui en demander toujours plus, tel un insatiable vampire.

Mais ce personnage était un homme, et en tant que tel, il se devait d'être fort. Il se devait de garder la tête haute. Il se devait de réprimer ses plaintes. Il se devait de cacher ses larmes. Il se devait de donner le dernier coup.

Alors il a encaissé. Il a fait le dos rond. Il a absorbé la tempête.

Et puis un jour, un pan de sa vie lui laissait enfin le champs libre. La retraite était arrivée, et avec elle la possibilité d'user d'un temps libre considérable, selon ses envies. Tout à coup, il fut libre. Et tout aussi vite, il vit son foyer se vider. Cette maison, qui fut si agitée, voyait le dernier enfant s'évader. Ce petit dernier qui, hier encore, demandait d'une voie fluette à son père son "massigeou du soir".

Il était alors de nouveau en tête à tête avec la femme de sa vie, d'une douceur et d'une patience quasi infinie, qui continuait, après toutes ces années, à rire de ses blagues, même les plus douteuses. Celle qui lui renvoyait encore, après toutes ces années, son regard amoureux. Celle avec qui il avait tout traversé, tout affronté, tout surmonté. Même le cancer.

Aujourd'hui, ce personnage profite d'une vie paisible, non sans continuer d'affronter quelques tourments. Après tout, il reste un père. Et même un grand-père, à présent.

Ce personnage est, au bout du compte, terriblement humain. Il a une maladresse communicationnelle effroyable. Une maturité émotionnelle désastreuse. Il est bourré de convictions erronées dont il abreuve volontiers son entourage. Il a une capacité de remise en question discutable, et il est perclus de contradictions.

Mais c'est aussi quelqu'un de particulièrement droit et fidèle. Quelqu'un de profondément généreux, avec un humour, bien que parfois questionnable, généralement vif et percutant. Quelqu'un qui égaye son entourage de sa présence joviale et de son rire communicatif. Et surtout, quelqu'un qui a un amour infini pour sa famille, sur qui il a veillé du mieux qu'il a pu, tout au long de sa vie.

Il a endossé le rôle de fils, de mari, de père et même de grand-père. Il a été maladroit un nombre incalculable de fois. Il a n'a cessé de faire des erreurs. Il est profondément imparfait.

Mais il n'a jamais lâché, il a toujours tenu bon, il a toujours cherché le meilleur pour les personnes qu'il aime.

Il est, au bout du compte, simplement humain.

Ce personnage, c'est mon père. Et, malgré ses frasques, je suis fier de le dire : il est exemplaire.


Papa, merci pour tout.


Je t'aime.



Ton fils.



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