Ce soir il neige sur ma ville, et moi je n'ai plus ce sourire.
ferenk
Il neige par secousses violentes, rien de cotonneux. Tout tombe dans un silence assourdissant, une nuée blanche agressive qui me tient loin de tout. Ce n'est plus cette douceur qui, candidement, me collait le nez à la fenêtre (et laissait toujours cette petite trace ineffaçable, que l'on étale de l'index d'un mouvement continu et tenace de haut en bas). Petit ingénu que j'étais, moi et mon gros nez collé à la fenêtre. J'étais à l'intérieur de la boule à neige, enfin quelqu'un dans ma péninsule, qui se revêt si peu de son manteau blanc, s'était décidé à nous retourner pour faire tomber tout ces cristaux.
Excité, inventant le krump avant l'heure, je me jetais sur mes habits d'hiver, accumulait les couches sous l'oeil sécuritaire de maman, qui faisait bien trop tarder le moment fatidique où j'entendrais les premiers craquements sous mes moon-boots. Je voulais entrer dans un processus créatif de gros bonhomme froid et stoïque, trônant fièrement au milieu du jardin. Un flou artistique fait de rondeur, 3 amas posés l'un sur l'autre, plutôt rond, diamètre décroissant de haut en bas. D'un geste souple et entraîné, sachant pertinemment que je n'avais qu'une chance et donc résolu à ne pas la laisser passer, les yeux fixés sur l'objectif, je me lançais dans un planter de carotte. Comme si c'était le seul légume pouvant représenter un nez... Qui a un nez droit et orange franchement? Qui a imposé ce langage international? Tant qu'à faire dans le burlesque, la forme convexe d'une courgette donnerait un côté comique à la chose, surtout que les normes de l'Union Européenne se sont enfin décidées il y a peu à redonner toutes leurs courbures angulaires à nos cucurbitacées.
Je voulais aussi batailler durement. Tout d'abord, processus défensif, je créais un mur infranchissable, gérant mes stocks de munitions givrées tel un général stratège réfléchissant à l'importance de chacune de ses décisions. Quand le danger se découvrait, je me saisissais d'une de mes sphères, j'armais mon bras, et de toutes mes forces je lançais ma boule de neige droit devant. D'une moufle rageuse qui fendait l'air glacial, je savourais ma victoire, devant le visage rougi et mouillé par la glace de mon adversaire, qui sous la violence avait lâché son piteux conglomérat de neige par terre. Moins adepte des sensations fortes, je m'autorisais de temps à autre quelques descentes de luges et tentais des glissades à vitesse réduite, contrôlant toujours mon centre de gravité. Si la confiance grandissait en moi, je me voyais en Lucky Luke ou d'Artagnan, m'improvisant Philippe Candeloro, sans toutefois tenter des jeux de jambes.
J'avais bien mérité mon chocolat chaud et mon bain. Le soir, je ne redescendais pas le store du velux, espérant encore et encore de la neige, les centimètres comptant pour des mètres. Je rêvais de montagnes enneigées, de chamois, de tigres blancs, de ballons de foot orange et de bave sur le coin des lèvres quand je devrais me rendre en ski de fond chez ma grand-mère. Mais c'était toujours mollement que je tournais ma cuillère dans mon bol de flocons d'avoine le lendemain matin, la neige s'était battue pour rester, mais je savais bien qu'elle tombait des nuages, et il n'y avait pas un nuage à l'horizon. Juste un soleil impitoyable. Et je pestais contre cette Bretagne, où la neige ne s'invitait qu'une fois par an, et où l'été il fallait se dire que l'eau froide, c'est bon pour la santé.
Ce plaisir de voir la neige tomber existait encore l'année dernière, nostalgique et apaisant à la fois. Recherchant encore le côté ludique. Je suis peut être devenu vieux et con cette année, tiens. Je pense au pratique, et il faut bien le dire, la neige c'est pas pratique. Ca vous bloque, ça fait mal aux plantes du jardin, ça vous fait donner des coups de fil à Bibus, c’est atrocement froid et ça vous met le cul par terre au moindre pas mal mené. Mais je crois bien que plus que tout, voir de la fenêtre de ma chambre la neige tomber, ça me rappelle que cette distance entre toi et moi, elle s'agrandit encore plus, si ce putain de temps s'arrête pas.
Drole et agreable
· Il y a plus de 14 ans ·Remi Campana