Ce soir, Pierre sera mort.

Mathoodlia

La solitude retrouve l'amour. La détresse reprend espoir. Estefania rejoint Pierre.

Pierre se dirigea vers la cheminée pour y déposer les quelques branches ramassées le matin même. Cet hiver particulièrement froid piquait les joues roses du garçon qui se considérait déjà comme un adulte. Pierre avait dix sept ans, pas plus. Il habitait dans une grande cabane au fond d'un bois peu fort connu. Souvent, il s'imaginait au coeur du désert d'Atacama, ce désert d'abri coincé entre la fosse océanique et la Cordillères des Andes. L'inoccupé, pensait-il, a la pouvoir particulier de rendre tout unique. Chaque élément vivant de façon autonome, chaque élément participant à la solitude des autres. Ce soir, Pierre sera mort. À dix sept ans, alors qu'il aura passé la vie à imaginer le grain de sel, le « soupir des champs » du désert d'Atacama, la disparition s'éprendra de lui. 

La cheminée était dans un coin de la pièce principale. Elle était sale. La mince flamme qui surplombait les pierres et les branches consumées éclairait la baraque du mieux qu'elle pouvait. Le problème avec l'hiver, c'est que la vie devient vite sombre.

Il s'était levé de bonne heure, comme par habitude. Le mécanisme du matin se mettait alors en route: il mange du pain, se passe un linge humecté sur le visage, met son pull de laine rouge, un pantalon troué aux genoux, un bonnet trop grand, et des gants encore humides de la veille. Il est sorti de sa cabane, comme soulagé, et est allé cherché les branches pour s'éclairer. Pierre est rentré et s'est assis, pendant des heures, jusqu'à ce que le soleil prenne le courage de se coucher. Pierre survivait dans ses pensées.

Il avait pris l'habitude de froncer les sourcils et ainsi des petites rides creusait encore son visage maigre. Les cernes, les yeux vides, les os apparents. Pierre avait l'air d'un vieillard, jeunesse oubliée. Pierre n'était pas un enfant « bien né », on lui fit croire que la vie se fait sans aimer.

À vingt heures du soir, des lumières perçantes ont entouré la baraque, celui qui y était aurait pu croire à l'un de ces phénomènes paranormaux que l'on voit à la télévision. Pierre, qui somnolait sur un matelas mince, ne s'en aperçut pas. Quelqu'un est rentré, c'était une femme. Elle était jeune, bien apprêtée, élancée et paraissait douce, elle était tout ce que l'on demande à une jeune fille d'aujourd'hui. Et elle resta, sur le seuil de la baraque, immobile, elle aussi. Pendant des heures, elle a observé la décadence du jeune vieillard. Pendant des heures, on ne pouvait entendre que le silence pesant et les larmes de la jeune femme. Pierre s'est réveillé, enfin. Et a rencontré des yeux azurs qui n'étaient pas inconnus. Il n'a pas su parler, il n'avait pas parlé depuis au moins deux ans.

C'était Estefania. Sa peau caramel faisait ressortir ses yeux bleus cachés par ses cheveux noirs. Pierre avait connu Estefania à l'aube de sa vie, elle était plus jeune que lui. Estefania venait du Chili et avait été éduqué par une de ces bonnes familles françaises, disait-on. En réalité, les parents adoptifs faisaient parti de ces riches dépressifs. Pleins d'argents mais dépourvus d'âmes. Pierre et Estefania avaient vécu leurs infortunes à deux puis il est parti, la laissant vivre seule sa solitude.

Estefania s'est avancée et a enlacé Pierre, comme elle avait l'habitude de le faire. Pierre a pleuré. Puis il se sont endormis ensemble. Ce soir là, Pierre est mort.

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