Ceci n'est pas une histoire de coeur
zac-emen
Je rentrais chez moi en train après une journée épuisante. Sur le quai, je rencontre une fille, appelons-là Jolie Cœur. On manqua de se cogner en allant tous les deux dans des directions contraires, et c'est là que mes pauvres yeux croisent sa silhouette de princesse. Elle a le teint blanc, de belles lèvres d'actrice, une taille de guêpe sous sa veste verte et son pantalon en velours.
Elle monte dans le même train que moi. Je la suis et m'assois à quelques rangs d'elle, ni trop prêt, ni trop loin. Je l'observe à loisir dans son coin d'ombre tout le trajet. Mais Jolie Cœur ne me lance pas un seul regard. Elle observe la route et joue avec ses cheveux, se plaçant une mèche derrière son oreille avant de la retirer aussitôt. A Versailles, le fantôme à côté d'elle se lève et descend. Je prends immédiatement sa place, ne voulant laisser personne profiter de la vision qu'elle offre. Me voici à un mètre d'elle, respirant son parfum et le même air qu'elle. Elle ne me bénie pourtant d'AUCUN regard. Que faire pour t'intéresser, Jolie Cœur ? Je pourrais embrasser tes deux lèvres, là, tout de suite. Le sens-tu ? L'imagine-tu seulement, Jolie Cœur ? En vraie statue grecque d'Athéna, tu tiens maintenant tes bras croisés sur ton sac, posé sur tes genoux faisant le signe universel de fermeture au monde. Tu n'imagines probablement pas rencontrer ton prince charmant dans ce train dégueulasse.
Tandis que j'observe les courbes infinis de tes cheveux bouclés, ta voisine de derrière, celle que je n'avais pas remarqué et qui me fait face, ne me lâche pas du regard. Elle a compris, elle, l'effet que tu me faisais. Me contempler te contemplant a éveillé chez elle un désir qui ne s'explique pas. Elle est moins belle que toi, Jolie Cœur. Elle n'appartient pas à la race des déesses, mais peut être est-elle mieux que toi ? Peut être aime t-elle avec plus de passion ? Ses cheveux châtains attachés en queue de cheval, ses lunettes rondes, la robe légère qu'elle porte malgré le temps frais. Je lis à travers ses lignes.avec facilité car elle ne cache rien. Le soleil brille sur sa peau, elle ferme les yeux tandis que je l'observe, et quand elle les rouvre, elle me démasque et lit, elle aussi, toutes mes émotions. Là voilà d'ailleurs qui me sourit, un sourire faiblement appuyé, timide et génialement audacieux.
Mon sang ne fait qu'un tour et me voilà pris à rêver de l'aimer et de l'emmener sur les routes d'Espagne, lui faire voir les beautés qui se cachent derrière les pierres et les montagnes de la Sierra. Nous irions jusqu'au détroit de Gibraltar contempler mers, océans et continents jusqu'à pleurer d'émotions, jusqu'à l'ivresse, jusqu'à ce que le souffle du vent nous ramène à notre point de départ.. Désolé Jolie Cœur, me voilà amoureux d'un sourire mille fois plus charmant que ton expression sobre et inutile. Bonne chance à toi et à tes multiples princes que viendront ou ne viendront jamais. J'ai trouvé ma Belle, j'ai trouvé les lèvres que j'embrasserai.
On arrive à Montparnasse. Je la rejoins sur le quai et lui prend le bras. Elle se retourne, surprise, affolée mais conquise, et je lui demande : “Excusez-moi, êtes-vous déjà allée en Espagne ?"