Cendres...in

flodeau



Parfois, quand je pense à elle, qui m'a donné tant de cauchemars, parfois, quand je la croise…Pour comprendre cette histoire, il faut remonter à quelques années et sur cette première rencontre que je sais si d'importance, parce qu'elle va déterminer les prochaines qui dureront certainement encore quatre ans et que quatre ans c'est peu… parce qu'elle a déjà seize ans… et qu'il est déjà bien tard, pour commencer à porter secours à une jeune de cet âge- là, oui, bien tard et même peut-être, trop tard….

Cette première rencontre s'est effectuée en forme de parachutage inopiné ! Je venais de débarquer dans le service depuis pas deux minutes, que mon collègue, avec sa tête de Bruce Willis (vaut mieux d'ailleurs que je le vois avec celle-là, quand c'est celle du « grand chauve à col roulé », c'est pas bon signe !!) me sautait dessus pour me dire qu'il y avait une urgence à traiter, qu'il ne pouvait pas y aller… (On ne manque jamais de travail dans ce service !!!) Et donc, me résume la situation : Melle et un autre de nos jeunes (quoique, je ne sais pas si on peut dire vraiment que l'on s'occupait de lui, car lui sûr, trop tard… un électron libre ! Je me rappelle même qu'une fois, j'avais déliré pendant une heure avec son agent de probation…apparemment tout le monde savait en ville où il était…sauf elle… ! fou-rire dé compensatoire digne de canal plus…faut dire que le monde dans lequel on vit, c'est un sacré foutoir !) avaient été pris en « flag », d'avoir piqué dans la caisse d'une station touristique de montagne dans laquelle on les avait mis en stage ! (mais, surtout lui, elle, n'avait fait qu'accompagner !! D'où d'ailleurs… l'agent de probation cité plus haut !) Lui, repartait directement à la case prison, et elle, il fallait la récupérer et la ramener à la maison d'enfant (autre case prison ?!)… Je suis donc partie ce matin-là, le sourire aux lèvres, j'avais apparemment tiré le jackpot, une ballade enchanteresse, sous le soleil d'été, dans le Haut-Jura (faut dire que l'hiver, sans la neige…ce serait plutôt une VDPD, Version Désolation Propice à la Dépression !!) et la découverte de cette jeune inconnue, qui, si ce que l'en m'avait dit son référent était vrai, ne cessait d'éveiller ma curiosité… (Sauf que je me suis dit aussi… si jamais il me refile la référence un jour, je n'aurai pas fini de souffrir…VDVDVPD !! Vanité Des Vanités ! de toujours croire qu'on peut les sauver tous…Concept à enterrer promptement à l'âge de quinze ans avec les pokémons ! Oui mais alors, me diriez-vous, pourquoi se lever travailler sans y croire encore ?!!) C'est donc la peau chauffée de soleil odorant, les yeux rieurs aux paysages féériques, les neurones d'Eve stimulés par des radios sympathiques que j'ai fait mon arrivée à la station d'été…

Elle était là, devant la porte, elle m'attendait, dans ses vêtements dépareillés, elle n'avait plus qu'une tong au pied…de ma portière à peine entrouverte, son allure de petite fille, coupe au carrée (A la Chantale Goya !), lunettes mangeuses de regard et voix acidulée et si haut perchée… (« Ugly Betty » et « Cosette »…ouaouh le mélange !!! C'est sûr, je vais craquer !!!) Elle m'engueule, sans gueuler, parce qu'elle ne saura jamais faire cela, m'explique qu'il n'y a plus personne dans le centre depuis des heures…tous partis, la laissant abandonnée sans deux chaussures devant la porte ! Elle n'a pas retrouvé toutes ses affaires (chose d'ailleurs, qu'elle ne saura jamais faire !!) et sa paire de tongs à lâchée, pas moyen de la réparer… ses doigts blancs alliés… aux miens…rien de plus…Elle repartira sur un pied ! Et le comble, c'est que moi aussi ! En remontant dans la Clio, une douleur extrême me saisis dans le creux tendre de ma voûte plantaire gauche…Aïe ! Un clou vient de s'implanter méchamment comme un signe divin prémonitoire ! (oh que oui, c'en était un, mais de la sombre universalité barbare de la chrétienté…pour que de la violence naisse la renaissance…il n'y a qu'un clou !), Une heure et demi de voyage plus tard, comme une échappée d'éternité… Elle a le regard de ses enfants perdus qui cherchent leur mère comme ultime recours, la parole de ses portes-mémoires précoces qui dans l'histoire de leur univers en savent trop, tellement de mal, avec un angélisme qui se love dans votre cœur comme une aberration !!! (Ou là-là, c'est sûr, je vais reprendre sa référence…de toute façon, c'est certain, le collègue n'en peut plus et…elle n'a plus que toi…) Sauf que, elle, elle est comme cela, une petite fille, pas si bête, sans un sou de méchanceté et de malhonnêteté, noyée dans une vie familiale vaudevillesque qui la rend complètement cinglée… et c'est « la best of » de toute sa famille, sa mère la Thénardier ne fait qu'enfants pour vivre, assez souvent entre deux alcooliques violents en sursis,(C'est avec cette recette efficace, d'ailleurs, qu'elle a pu divorcer deux fois et se fournir aux gagnes pain des avocats !) faut dire que la « mère » est une épave flottant dans un quartier résidentiel, avec soit disant, à deux pas, son éduc' qui la Sauvegarde (les services sociaux et leurs incongruités…)Son père, il est pas là…et malheur quand il y est, qualifié aux jeux olympiques de la connerie ! Son moyen frère, il a choisi l'option voyou et il s'en sort plutôt mal, (Il a mis à son jeune âge, trop de colle dans ses trous de nez et il a plus l'eau et le gaz à tous les étages !)Sa grand-mère, elle est sénile mais un peu arche de Noé quand même, quand y'a des coups difficiles, mais faut pas que cela dure trop longtemps ! Son petit frère, c'est devenu son fils,(Si horrible chose à faire vivre à son enfant !!!) parce que sa « maman l'aimerais quand elle s'occupait de son p'tit frère !!! »

Et pendant quatre années, j'ai couru après elle, faut dire qu'elle donnait son corps comme une poignée de mains, (championne toutes catégories de l'analyse de sang mensuelle…apparemment immunisée naturellement contre le SIDA et la grossesse, préférait plus encore l'aiguille que l'aiguillon !!!) Je l'ai récupérée dans tous les bas-fonds de la ville, tous les tordus, les pervers…lui passaient dessus et la coinçaient dans des situations à « birschmutzer du bulbe » !!! Et j'arrivais chaque fois, en espérant toujours la retrouver, au minimum en vie et au maximum avec son allure de petite fille intacte, malgré toutes les misères qu'elle s'était infligées…

Elle en réchappait toujours par miracle… Et je l'espérais tant le miracle dans sa tête et son cœur réunis (Et dieu sait que ce n'est pas facile d'y croire dans des cas comme cela…)  Parce qu'il faudrait bien qu'elle y croit un jour : sa mère à elle, ce ne sera jamais sa maman à elle…parce qu'elle, elle n'est pas grand-chose d'autre qu'une bonne et une nounou gratuite et qui rapporte en plus !!!... Mais elle, elle n'est jamais arrivée complètement à écouter autre chose que la « mère ». Et puis un jour elle a eu vingt ans… Je me suis dit en la regardant partir, la mort dans l'âme, que cela finirait mal…

Et puis pendant une année, je n'ai plus eu de nouvelles d'elle…jusqu'à ce lundi matin-là… Elle me téléphona du Doubs, elle était allée à l'hôpital pour une brûlure de plastique fondu (qu'elle s'était fait on ne sait pas trop comment d'ailleurs) ce WE  et en ressortait… avec un polichinelle dans le tiroir !!! Elle ne savait pas qui était le géniteur, elle n'était pas trop embêtée avec ce détail, ni de ne pas avoir de travail… c'était son billet de retour vers son amour : La « mère » ! Faut dire que la « Thénardier » était devenue trop vieille et abimée pour procréer… et c'était bientôt Noël !!! (Dire qu'elle avait réussi à s'échapper quelques mois d'entre les fils de l'araignée… même via l'errance, il y avait peut-être là sa chance…mais non, ne pas croire au père-noël… elle avait trop besoin de sa torture maternelle !!!)

Alors, elle est revenue vivre parmi les cafards… Devant la sordide projection d'un bébé jeté dans une poubelle ou d'elle agonisante en pleine nuit sur son tapis... une « équipe de sauvetage » s'est constituée et l'a accompagnée sans relâche de près et de loin pendant huit mois !

A 22 heures et quelque, ce samedi d'été, le téléphone a sonné, c'était la maternité… c'était mon tour « de garde » ce week-end-là, fallait y aller !!! Parachutage plus tout à fait inopiné ! Je suis donc partie ce soir-là, sachant pas trop si je devais avoir le sourire aux lèvres, parce que le jackpot me semblait pipé, une naissance enchanteresse par une douce nuit d'été (?) et la découverte d'une elle qui va devenir… maman ? Lorsque je suis arrivée, je l'ai reconnu tout de suite, avec son allure de petite fille, elle est si seule et je lui tiens la main, parce qu'elle ne comprend rien de ce qui lui arrive (Huit mois de préparation par des professionnels… et elle ne sait plus ce qui est en train de se passer ???!!!), elle a des contractions par les reins et elle ne sent rien, son copain de la semaine lui a mis un œil au beurre noir, mais c'est pas grave, il reviendra demain… Les heures défilent, avec des bruits de machine insupportables, parce qu'il y a des complications bien sûr… Je dois garder un masque à oxygène sur son nez, je ne m'entends même plus penser… Le cordon autour du cou, le nouveau -né va s'étouffer, il faut pousser… Elle ne veut pas, les forceps la terrorisent (Moi aussi d'ailleurs… impressionnantes spatules !!!). Alors cette fois-ci, c'est moi qui l'engueule, parce que le bébé attend devant la porte depuis trop longtemps… Je la menace, on va lui ouvrir le ventre… déclenche enfin la délivrance !!!

C'est une petite merveille, ce petit garçon, mais il n'a pas hâte de pousser son premier cri, elle ne lui jette même pas un regard !!! Dans le calme et la pénombre retrouvés, elle me regarde avec ses grands yeux d'enfant perdu, elle retient à peine, du bout d'un bras, ce minuscule étranger qui sait déjà si bien qu'il doit se taire et se faire oublier… dans un silence d'amour absolu….

Parfois quand je pense à elle, lorsque je la croise avec son petit frère, bien sûr… Je pense à ce cauchemar particulier et me dis qu'un jour peut-être, un jeune garçon, loin des Thénardier, viendra me demander : qui était-elle …

  • Le chauve n'est qu'à un poil de se rouler la mécanique....mais chuuut... ça glisse au pays des merveilles ;0))

    · Il y a plus de 3 ans ·
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    flodeau

  • "le grand chauve à col roulé" me renvoie à une image que je préfère ne pas dévoiler.
    le VDPD est un symptôme psychiatrique retenu dans la DSM VI . :o))

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Quel avenir trouble pour une tête à col serré et une serre à fol ensablée du cactus ;0))

      · Il y a plus de 3 ans ·
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      flodeau

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