Censurat

Alice Pervilhac

Je met ma frontale et vérifie que mon beretta est chargé. La connexion a brusquement été coupée et depuis, toutes mes tentatives pour joindre le serveur ont échoué.

La censure, ces dernières années, a été de plus en plus présente. Alors que les artistes indépendants, inconnus, innovants, se multipliaient, les moyens d’expression libres se faisaient de plus en plus rare.

Le net est l’un de ces derniers eldorados, trop vaste, trop multiple, trop riche pour être contrôlé ; facilement façonnable par qui s’y connaît en informatique. Il est, pour nous, hors-la-loi, le média le plus sûr pour faire passer nos messages « subversifs ». Nous l’avons fait nôtre et la milice a bien du mal à nous empêcher de clamer nos revendications et nos critiques.

Ils ont fini par s’apercevoir qu’il ne pourraient jamais contrôler la Toile elle-même. Il ont pourchassés, persécutés, assassinés les intellectuels en tous genres, y compris les techniciens du virtuels. Les rares d’entre eux qui sont encore en vie sont de notre côté. Petit à petit, ils nous forment, nous apprennent à nous protéger, à préserver nos œuvres.

Alors maintenant, ce sont les voies d’accès à notre paradis qui nous sont enlevées. Les Rats de la Milice sont devenus notre nouveau cauchemar.

Qui sait quelles manipulations génétiques, quelles actes contre nature ont été commis au fin fond de leurs laboratoires totalitaires. Le résultat est là : les anciens fantômes des égouts de Paris sont aujourd’hui les damnés de nos caves.

Les réseaux électriques en sont infestés, si bien que très souvent, nous n’avons plus de lumière. Les pontes du gouvernement s’en foutent pas mal – eux, ils ne sont pas menacés. Et puis, qui pense à s’éclairer ou à se nourrir n’a plus de temps pour la critique.

Je sais qu’il y en a un, là, dans ma cave. Il faut que je descende, que je le trouve, que je l’abatte. Et vite. Car il porte une balise infrarouge, l’une de celles qui s’activent dès qu’une connexion est détectée.

D’ici une dizaine de minutes – maximum – je serais bonne pour les Chambres de Désinfection, comme ils les appellent. Nettoyage de cerveau et bourrage de crâne. C’est ce que l’on en sait, mais je crois que nous ignorons le pire.

Et ça vaut sûrement mieux, parce que sans cela, nous n’oserions pas nous dresser contre leur gouvernement de la terreur.

Je descend les marches une à une, l’arme dans ma main qui tremble. Il est facile d’être courageuse tant que la menace reste abstraite. Ca devient plus dur lorsqu’elle est là, présente, attendant le face-à-face.

Je m’arrête devant la porte de ma cave, cruellement consciente que chacune de mes secondes d’hésitation sert la cause de mes persécuteurs, que chaque instant laisse s’approcher le danger un peu plus près de mes projets.

Finalement, je respire profondément, me préparant à entrer dans la pièce sombre où se terre l’instrument de la dictature. Je donne un coup de pied dans la porte, de toute la puissance de ma jambe ; je braque le beretta face à moi, prête à atomiser le Censurat.

Au moment où je le vois, je sens également le liquide chaud qui coule de mon front. Mes réactions ont un temps de retard, et j’ai du mal à comprendre ce que signifie la couronne sur l’uniforme noir de l’homme qui me fait face. Juste avant de mourir, je me rappelle.

La Milice…

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