CES MOTS SONT POUR TOI - CHAPITRE 13

Philippe Esteban

CHAPITRE 13

 

Tu sais Fanou, je ne suis pas fâché de rentrer chez moi après cette soirée… heu… difficile. Ceux qui ne m’aimaient pas auront maintenant de bonnes raisons de me détester. Moi, je ne me suis pas fait que des amis ; mais bon, ça m’a permis de remettre les pendules à l’heure, je ne le regrette pas. Ta veillée funèbre aura au moins servi à ça.

 

Au départ, je n’avais pas envie de mettre de musique. Et puis j’en ai eu marre du silence, alors j’ai allumé la radio pour écouter Zégut. Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a vite gonflé. En ce moment il passe toujours les mêmes titres, faut dire que quand il aime une chanson, il ne s’en lasse pas  facilement. Je fais une overdose de Richard Ashcroft depuis quelques jours, et il va presque arriver à me dégoûter du dernier Peter Gabriel…

Finalement je suis revenu à Nirvana… enfin pas à tout l’album en fait… Uniquement In Bloom et Come as you are.

Benjamin me suit de très près. Malgré la nuit j’aperçois presque son visage dans mon rétroviseur. Je lui fais signe de ne pas me coller autant, car si je freine brusquement, il n’aura pas le temps de réagir. Je roule avec les vitres avant entrouvertes ; ça fait rentrer l’air frais et dehors ça sent bon la marée.

 

Je range la voiture au garage en faisant attention de ne pas faire tomber la moto. C’est toujours un exercice périlleux, et plus particulièrement quand on n’est pas parfaitement calme. Benjamin a eu du mal à trouver une place pour se garer. Je l’attends dans le hall d’entrée et je lui prends la main dès qu’il arrive. Il y a eu trop de tension ce soir pour que nous nous parlions. En tout cas, moi je n’en suis pas capable. Je n’ai pas envie de commenter ce qui s’est passé tout à l’heure à la maison.

On rentre tous les deux dans l’ascenseur. Je ne peux pas m’empêcher de me regarder dans le miroir et de contempler mon visage fermé et inexpressif. On dirait que je suis en cire. Rien ne transpire de ce que je ressens, sauf peut-être un peu de colère… mais mes traits ne trahissent ni chagrin, ni tristesse. Les yeux de Benjamin sont encore rouges de larmes. Si tu savais comme je l’envie de pleurer. Je ne sais pas pourquoi je n’y arrive pas. Je ne pourrais même pas mettre ça sur le compte de la pudeur, car je suis prêt à me mettre à genoux pour le salut de quelques larmes. Je dois encore être sous le choc. La sensation d’effroi ne s’est pas encore dissipée. Ça viendra plus tard, je le sais. C’est toujours pendant la cérémonie religieuse que je commence à craquer de toute façon. Mais là, ça devrait être différent…

 

Je ne supporte plus ce silence pesant dans mon appartement. On dirait que je viens de rentrer dans un tombeau. Au fond du séjour, tout près de la baie vitrée, la lumière rouge du répondeur clignote toujours. Je me souviens qu’hier à la même heure Benjamin et toi m’avez appelé. J’étais tellement pris par mon roman que je n’ai pas daigné bouger de mon fauteuil pour décrocher. La dernière trace de toi ne sera qu’une voix sur le répondeur, ta blague de James Bond que tu m’as racontée tant de fois et qui me fait toujours autant rire, tes parodies et surtout ton rire qui me manque tellement…

J’imagine tes commentaires après une soirée comme celle-ci, tes remarques sur la couleur de cheveux d’Evelyne, tes vannes sur Eliane et André, tes imitations de l’accent pied-noir de Roland. Ça se serait sûrement passé comme ça.

 

D’autres personnes ont appelé depuis ce matin. Je n’ai pas cherché  à écouter tous mes messages, mais maintenant que je suis rentré, je vais pouvoir m’asseoir dans mon vilain fauteuil de cuir pour les entendre. D’abord il y a ta voix. Je repasse le message en entier, je le connais déjà par cœur. Je pourrais même te faire la version karaoké. Si tu savais comme ça fait mal de t’entendre et de me dire que ces mots sont les derniers que tu as prononcés pour moi. D’un seul coup, je me plie en deux de douleur. On dirait qu’on me transperce le ventre avec une lame. Je tombe à genoux devant le répondeur, tête baissée… Je ne peux plus respirer. Benjamin se précipite vers moi. Il entend la fin du message où tu annonces ta rupture avec Nadège. Je lis la surprise dans son regard …

 

-          Elle est au courant ? Tu lui as dit ?

Je n’arrive pas à lui répondre par des mots, alors je secoue la tête pour lui dire « non ».

Je pourrais continuer et écouter les autres messages, mais je reste sur ta voix, encore une fois, puis une autre, puis une autre, puis une autre… dix fois de suite. Je m’ordonne de pleurer, mais bien entendu, rien ne vient. Je sens que je fais peur à Benjamin. Il serre ma main de plus en plus en plus fort et il me supplie d’arrêter. Il me faut un peu de temps pour me calmer et retrouver une respiration sereine et régulière. Il m’embrasse à pleine bouche, il me redit « je t’aime ».

J’avance maintenant la bande vers les autres messages. J’entends à nouveau celui que Benjamin m’a laissé hier en arrivant chez lui. Je me sens coupable de ne pas lui avoir répondu. Je lui demande pardon. Il ne comprend pas pourquoi.

La secrétaire du lycée a appelé pour savoir si je venais travailler demain. Elle est encore plus conne que ce que je pensais, celle-là. Il faudra que je passe pour donner un certificat de décès et demander une autorisation d’absence. J’avais complètement oublié que j’avais un boulot…

Arnaud a laissé un message lui aussi. On sent des sanglots dans sa voix. Ca m’énerve vraiment de voir que je suis le seul à ne pas pouvoir pleurer. Je ne devrais pas en vouloir aux autres d’avoir du chagrin, bien au contraire ; mais j’aimerais seulement pouvoir le partager avec eux, au lieu de me murer dans ce silence insupportable. Je l’écoute jusqu’au bout… De toute façon je devais l’appeler ce soir, car tu as émis le souhait qu’il écrive un texte pour la cérémonie religieuse. T’es quand même gonflé de lui imposer ça. Et connaissant sa sensibilité, j’imagine que ça ne va pas être facile pour lui. Je regarde l’heure sur l’horloge du magnétoscope : il n’est pas encore 22 heures. Il ne doit pas être couché. Je compose son numéro. Deux sonneries et il décroche.

 

-          Allô, Arnaud ?

-          Oui, c’est moi…

-          C’est Raphaël…

-          Oui, je sais… Je t’ai quand même reconnu et puis ton numéro s’est affiché …

-          Damned ! Je suis démasqué…

-          Ouais tout à fait… Bon alors, comment ça va ? Tu tiens le choc ?

-          C’est vraiment trop dur, mon grand. En plus, j’ai envie de pleurer et j’y arrive pas…

-          Ça, je connais. Ça m’a fait pareil quand mon père est mort. En fait, c’est plus le regard des autres qui te gêne dans ce cas-là… Mais t’inquiète pas, tu vas arriver à pleurer… J’ai eu ta mère cet après-midi. Elle m’a appelé au boulot. Elle m’a vaguement raconté ce qui s’est passé… Je t’avoue que j’ai du mal à y croire. Ton frère… Putain, ça me laisse sans voix… C’est comme si je venais de perdre le mien aussi. Il était tellement… Tu m’excuses, mais je ne trouve pas les mots…

-          C’est pas grave, tu sais ...

-          Ta mère m’a dit que tu en savais plus sur la mort de Stéphane …

-          Oui le médecin légiste m’a tout expliqué …

-          Ça te gêne si je te demande ce qui s’est passé ? Tu sais, je le prendrai pas mal si tu ne veux pas en parler…

-          Non, non, y a pas de soucis. Mais bon, je te donne la version dite  « officieuse », OK ? Mes parents ne sont pas au courant des causes réelles de la mort de Stéphane.

-          Pourquoi ?  Il n’est pas mort naturellement ? Il s’est suicidé ?

-          Non… Rien de tout ça, mais Stéphane était malade. Il avait un anévrisme au cerveau et il était suivi par un spécialiste au service neurologique à l’hôpital. Mais ça, je ne tiens pas à ce que mes parents l’apprennent. Pour eux, on va en rester à la version que ma mère t’a donnée : hémorragie cérébrale. De toute façon, c’est ce qui a fini par le tuer … Mais comme Stéphane ne m’avait pas prévenu de sa maladie, je préfère laisser mes parents dans l’ignorance. En tout cas pour l’instant…

-          Fanou était malade ? Putain, je suis scié…  Tu peux me faire confiance,  je ne dirai rien…

-          Oui c’est vrai, tu es une tombe… si tu me permets l’expression…

-          Oui, comme tu dis… Tu fais de l’humour noir, ça veut dire que ça ne va pas du tout, hein ?

-           Voilà ce que c’est d’avoir des amis fidèles… On ne peut rien leur cacher… C’est vrai que ça ne va pas, mais c’est normal après tout. C’est que le premier soir. Je suis encore sous le choc…  Enfin passons… Au fait, je suis désolé que ma mère ne vous ait pas autorisés à venir ce soir…. Enfin c’est plus compliqué que ça. C’est le père de JB qui a foutu sa merde, comme d’hab’… Bref, je te raconterai ça demain.

-          T’inquiète. Je comprends bien que vous ayez eu envie de vous retrouver en famille le premier soir…

-          Tu sais Arnaud, il y a famille et famille… Je fais la différence entre celle du sang et celle du cœur. Ce soir, c’est celle du sang qui est venue, j’aurais préféré voir celle du cœur. Et je suis sûr que Fanou aussi. Toi tu fais partie de la famille du cœur et c’est ce qui est le plus important…

-          Merci Raphaël… Ça me touche ce que tu me dis.

-          Bon, Je ne t’appelais pas uniquement pour ça… J’ai quelque chose à te demander, et franchement ce n’est pas évident…

-          Ah bon ?

-          Voilà, Stéphane a laissé une sorte de testament ; enfin, c’est plutôt une liste de ses dernières volontés, et il voulait que tu écrives un texte pour la cérémonie à l’église.

-          Waouh… Un texte ? Ça c’est du Stéphane tout craché…

-          Oui, je dois t’avouer que pour moi c’est une idée à la con… Mais je te la soumets quand même… Si tu ne te sens pas de le faire, pas de problème. J’écrirai le texte moi-même et tu le liras à l’église.

-          Non non, Raphaël… Je vais le faire. Je dois bien ça à ton frère… Mais il faut que je parle de quoi dans ce texte ?

-          Oui c’est vrai… j’oubliais…  Il y a aussi un cahier des charges… Stéphane aimerait que tu parles de l’amitié… C’est vague, je sais…

-          L’amitié ? Il va y avoir matière à écrire. Je dois te faire ça pour quand ?

-          Essaie pour demain soir, sinon je m’arrangerai avec le prêtre. Mais ne te sens pas obligé de passer la nuit à écrire. Du moment qu’il est prêt pour vendredi, c’est l’essentiel. Je vais devoir te laisser, car il faut que j’appelle JB dans la foulée… Lui, il a hérité du texte sur la famille !

-          D’accord, pas de problème mon grand. Je t’embrasse très fort. Je pense beaucoup à toi en ce moment… Je sais ce que Stéphane représentait pour toi…

-          Oui… Comme tu dis… Bon Arnaud, je t’embrasse aussi. Merci d’avance pour le texte et on se voit demain chez mes parents. Bonne nuit.

-          Bonne nuit Raphaël. A demain… T’embrasseras Benjamin pour moi.

-          C’est d’accord… Je vais le faire tout de suite. Allez, bye…

Je raccroche, et quand je relève la tête pour chercher du regard Benjamin, je le trouve endormi sur le canapé. Il est beau, il me touche et je l’aime. Une bouffée d’amour me submerge, aussi forte que les bouffées de chagrin qui me saisissent depuis ce matin. Je reste quelques minutes à regarder son sommeil paisible. Même si j’ai  encore un appel à passer  ce soir avant d’aller dormir.

 

-          Bonsoir Bertrand. Ça va depuis tout à l’heure ?

-          Oui, je te remercie. J’ai pris un calmant et j’allais me coucher. J’imagine que tu veux parler à ton cousin ?

-          Oui c’est ça… On ne peut rien te cacher.

-          Bon je te le passe. Et merci d’avoir pris ma défense ce soir. C’était courageux.

-          Mais de rien, ça faisait longtemps que j’avais envie de remettre mon oncle à sa place.

-          C’est sûr que tu l’as bien remis à sa place… Enfin, c’est pas le plus important… JB ? Raphaël au téléphone ! … Bon il arrive. Je te laisse. A bientôt.

-          Bonne nuit Bertrand…

-          Ciel ! Mon cousin !

-          Oui, je crois bien… Alors t’es bien rentré ?

-          Hmm hmm, très bien rentré, et toi ? T’as pas écrasé trop de petites vieilles sur la route ?

-          Non, non.  Je sais me tenir … parfois.  Ben sinon c’est sûr que je suis un peu secoué quand même… J’ai connu des jours meilleurs dans ma vie…

-          Tu sais te tenir… c’est vite dit ! T’as quand même mis un beau bordel. Je soupçonne même ton frère d’avoir tiré les ficelles de l’au-delà. Si en plus il s’amuse à jouer les esprits malins, on n’a pas fini…

-          C’est marrant, je pense exactement la même chose. J’ai eu Arnaud il y a cinq minutes, il m’a dit que je maniais un certain humour  noir ce soir… et que c’était symptomatique. Est-ce que je dois déduire que t’es dans le même état que moi ?

-          Je ris pour ne pas pleurer… C’est une bonne philosophie, non ?  Surtout ce soir. Si je me mets à penser à tout ce que j’ai vécu avec ton frère et toi, j’en suis quitte pour une dépression à vie et au moins deux séances hebdomadaires de divan pendant au moins quinze ans… Le choix est vite fait… Et puis avec le spectacle de ce soir, il y a plutôt matière à rigoler, non ? Ton frère aurait adoré… Je ne suis pas certain, en revanche, que mon paternel soit en train de sauter de joie en ce moment. Y en a une qui doit se faire sérieusement remonter les bretelles.

-          Oui, je m’en doute aussi… J’y suis quand même allé un peu fort. Désolé. C’est quand même ton père et je n’aurais pas dû lui parler comme ça.

-          Faut pas être désolé. Hormis le fait que cet enculé m’a donné la vie, je ne lui dois rien. T’as eu raison de lui dire ses quatre vérités. Même si je doute qu’il se remette en question après ça. Ça va être ton tour maintenant de passer pour le méchant … Tu sais très bien qu’il n’a jamais tort…

-          Ouais, enfin… C’est pas uniquement pour ça que je t’appelais.

-          Ah bon ? Quel mauvais coup tu nous prépares encore ?

-          Aucun, rassure-toi… J’aurais juste un service à te demander… mais t’es pas obligé d’accepter.

-          Demande toujours… Tant qu’il ne s’agit pas d’aller embrasser le gros cul d’Angélique…

-          Là JB, t’es gore… Non ça n’a vraiment rien à voir. Bon, tu connais les idées tordues de mon frère…

-          Oh que oui, paix à son âme…

-          Voilà, il n’a rien trouvé de mieux que de laisser une liste de dernières volontés au cas où…

-          Je ne sais pas pourquoi, mais je crains le pire. Et en quoi ça me concerne ?

-          Stéphane voudrait que tu écrives un texte pour la cérémonie religieuse.

-          Oh l’enfoiré ! Et sur quoi faut-il que j’écrive ?

-          Surtout tu ne ris pas… Il veut que tu parles de la … famille…

-          Vaste sujet. Faut-il qu’il fût mon conscrit, mon cousin et mon camarade de classe pour que j’accepte. C’est bon… Tu l’auras ton texte. Je dois le faire pour quand ?

-          Au mieux pour demain soir, au pire… vendredi pour la cérémonie.

-          Ça va me faire court pour demain, mais tu l’auras pour vendredi, c’est promis. C’est pas tout Raphaël, je vais aller me coucher. J’ai pris un Valium, il commence à faire effet. Je t’embrasse très fort, et si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là…

-          Merci JB. J’oublierai pas. Je vais pas tarder à y aller aussi. Benjamin s’est endormi sur le canapé… Bon à demain, OK ? Bonne nuit.

Je retire mes chaussures et mon pantalon. Je reste en boxer, avec ma chemise et mes chaussettes. Je n’ai pas sommeil, alors que je tombe de fatigue. J’attendrai un peu pour prendre un somnifère. Je retourne dans mon bureau pour aller chercher du papier et ma trousse. Je reviens dans le séjour et je m’assois par terre sur la moquette pour écrire le texte que tu m’as demandé. A brûle-pourpoint ce n’est pas évident de parler de toi après une telle journée. Les seules images qui me viennent à l’esprit sont celles de la chambre funéraire. Je griffonne quelques lignes, c’est affreusement mauvais. Je me perds dans des mots vides, histoire de combler mon manque d’inspiration. De toute façon, ça va me servir à rien de me forcer. Je ne vais arriver qu’à m’énerver et au point où j’en suis déjà, je ne préfère pas.

Je m’avance vers la chaîne hi-fi et je branche le casque pour ne pas réveiller Benjamin. Je sors le Best Of de Tom Petty… J’ai vu que tu avais un album de lui dans ton chargeur… Je me sens d’humeur à écouter un petit Last Dance to Mary Jane, et après j’irai me coucher.

Je m’assois par terre,  face à Benjamin. Il dort toujours comme un enfant. Il s’est couché sur le côté, la force de son corps et la fragilité de son visage m’émeuvent. J’ai envie de le serrer dans mes bras pour qu’il ne se réveille pas, pour le protéger de la nuit.

La chanson vient de finir. Je la repasse une seconde fois. Mes jambes commencent à s’engourdir à force d’être resté en tailleur. Je me lève pour aller dans la salle de bains me brosser les dents. Je retire ma chemise : elle sent le tabac froid, le parfum éventé de CK One, le déodorant, et ma propre odeur corporelle… Je ne la laverai pas, tout comme le reste des vêtements que j’ai portés aujourd’hui. J’avale un Stilnox. Je ne suis pas sûr que ce soit très efficace de toute façon.

Je rentre dans ma chambre et je retire ta housse de vêtements du lit. Je laisse la fenêtre ouverte pour la nuit. Si Benjamin a froid, il se lèvera pour la fermer. Avant de retourner dans le salon pour aller le chercher, je passe mon short et mon tee-shirt de nuit.

 

Benjamin dort toujours. Je m’agenouille devant lui et je le porte dans mes bras jusque sur le lit. Je retire ses chaussures et ses chaussettes. C’est plus délicat quand j’arrive au pantalon et à la chemise. Il se laisse dévêtir docilement, malgré toutefois, quelques petits grognements endormis. Je lui laisse son boxer et son maillot pour la nuit.

J’ai réglé le radio-réveil pour 8 heures demain matin. J’espère que ce ne sera pas trop tard pour lui. Il se repositionne en chien de fusil. Pendant un moment, je plaque ma poitrine contre son dos et je sens sa chaleur contre la mienne. Son cœur bat de moins en moins vite. Son sommeil est calme et paisible. J’aimerais pouvoir voir son visage avant de m’endormir. Je me contente d’embrasser sa nuque et de mordiller un peu le lobe de son oreille. Je sais qu’il adore ça.

Je sens la fraîcheur dans la nuit s’instiller dans la pièce, l’odeur de la marée m’accompagne toujours. La température reste quand même supportable et je vais garder la fenêtre ouverte je pense.

Je m’allonge sur le dos, les pieds sur ma couette. Je viens de croiser mes mains sur mon torse, comme on fait aux morts au moment de les mettre dans le cercueil. Et là, je crois que je vais fermer les yeux.

 

 

 

 

 

 

Le froid m’a une nouvelle fois réveillé, c’est curieux comme je l’ai toujours associé à toi.

Dès que je ferme les yeux, je te vois dans cette housse mortuaire, allongé sur le chariot tout juste sorti de la chambre froide… Es-tu ce soir dans un de ces casiers comme on voit dans les films ? Je ne devrais pas me poser toutes ces questions, ça sert à rien, c’est inutile…

 

Et puis merde, à qui d’autre pourrais-je parler ? Dis-moi Fanou, c’est quoi être mort ? Comment ça fait quand le cœur s’arrête de battre ? Qu’est-ce qu’on ressent au moment du dernier afflux de sang dans les tempes ? On pense à quoi au moment où tout se fige ? Où on devient tout froid ? Où la sève s’arrête de circuler ? Est-ce que tu as vu ta vie défiler devant tes yeux ? Est-ce que ça fait mal de mourir ?

 

Je ne peux pas m’empêcher de penser que tu as froid… Tu te souviens quand on allait à la piscine avec l’école ? Chaque semaine, je devais te sécher. Tu tapais des pieds par terre parce que tu grelottais sous ta serviette humide. Tu me regardais toujours avec le même air, et tu claquais des dents… Tu avais beau te faire traiter de bébé, tu recommençais ton cirque tous les mardis. A croire que tu t’en foutais des remarques des instits et de tes copains de classe.

 

-          Ben alors Stéphane, faut apprendre à se débrouiller tout seul… Il ne sera pas toujours là pour s’occuper de toi ton frère.

Ils pouvaient toujours parler, tu haussais les épaules et tu me souriais, comme pour me dire que t’en avais rien à foutre de leurs conneries. Ils ne comprennent rien, et Raphaël, ben tu seras toujours là… La preuve, c’est encore moi demain qui vais t’habiller.

 

Le mieux que tu m’aies fait, c’était pendant un week-end de camping à Crozon. Je venais d’avoir mon permis et papa m’avait prêté sa voiture. T’avais voulu jouer au plus malin en ne prenant qu’une couverture pour dormir… Pas de sac de couchage, pas de tapis de sol… rien d’autre qu’une couverture. Tout ça parce que tu l’avais lu une fois dans le Club des 5.

Bien entendu, tu m’as réveillé en pleine nuit parce que tu étais gelé. On avait fini tous les deux dans mon sac de couchage. Je t’avais frictionné pendant un moment et tu t’étais endormi comme un bébé. Et moi, j’en ai été quitte pour une nuit blanche. Mais comment j’aurais pu t’en vouloir ? Je t’ai toujours tout pardonné… Et puis tu n’avais que 15 ans…

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