CES MOTS SONT POUR TOI - CHAPITRE 15
Philippe Esteban
CHAPITRE 15
Nadège vient d’arriver à la chambre funéraire. Je la vois, assis derrière le volant, en attendant de démarrer la voiture. Je me suis tassé sur mon siège, je n’ai vraiment pas envie de lui parler, ni maintenant, ni jamais. Elle a certainement de la peine, mais pour être franc avec toi, sa peine ne m’intéresse pas du tout. J’espère seulement qu’elle souffre atrocement.
C’est tout le bien que je lui souhaite…
J’aurais pu avoir de la compassion pour elle, si je l’avais un tant soit peu appréciée ; mais c’est loin d’être le cas. Je ne t’ai jamais caché que je n’avais jamais pu la supporter, et ce n’est pas avec ce qui arrive que les choses vont s’arranger.
Et tant que j’y suis, je peux te dire que je ne suis pas étranger à votre rupture. J’ai tout fait pour que tu la quittes. Ça a pris du temps, mais je suis quand même arrivé à mes fins. Je ne suis pas forcément fier du procédé, je dois l’admettre… Mais aux grands maux, les grands remèdes. Et je sais que tu aurais fait pareil si tu avais trouvé qu’un de mes mecs devenait dangereux pour moi.
De toute façon, Nadège n’a jamais rien compris aux règles du jeu entre nous. Elle a voulu chercher à nous éloigner l’un de l’autre, et je ne l’ai pas laissée faire. C’est aussi simple que ça. Et puis, tous ceux ou toutes celles qui ont essayé de s’immiscer entre nous ou de prendre la place de l’autre, nous les avons vite éliminés. Certains ont très vite assimilé qu’il n’avaient absolument rien à craindre d’éventuels rivaux ou rivales, mais que le plus dangereux ennemi pour la survie de nos couples c’était toi… ou moi.
Nadège n’a pas été la première à se faire lourder parce qu’elle ne me plaisait pas, elle aura seulement le privilège d’être la dernière. J’avoue que le fait de lui accorder une place d’honneur dans notre liste de longues victimes me contrarie un peu. Remarque t’as aussi dézingué pas mal de mes petits copains… Echange de bons procédés.
Benjamin a eu l’intelligence de ne jamais chercher à se mettre entre nous, c’est d’ailleurs pour ça que notre liaison dure depuis aussi longtemps. Il est aussi indépendant que moi, ce qui nous aide beaucou,. Je sais qu’au départ, tu avais vu d’un assez mauvais œil la tournure que prenait ma relation avec lui. Mais comme Benjamin n’a jamais remis en cause les fondements mêmes de notre complicité, la pilule passait mieux.
Tu sais, je n’ai pas oublié cette soirée du mois de Novembre, où tu étais passé à la maison, comme tous les jeudis soirs. C’était notre rituel depuis des années. La soirée entre frères, à fumer, à boire un peu, à se raconter des conneries, à se lâcher un peu avant le week-end. Cette nuit-là, tu avais quitté le bureau plus tard que prévu, et tu étais arrivé chez moi un peu bourré. Ça t’avait valu une bonne engueulade de ma part : quand le petit frère se conduit comme un crétin, c’est normal que le grand recadre les choses.
Tu avais continué à boire et le joint n’avait rien arrangé : je t’avais rarement vu aussi désinhibé. Pour être honnête, tu m’as même fait un peu peur ce soir là.
T’en voulais à Benjamin, et je ne sais pas pourquoi. En fait, je crois que tu étais jaloux. Tu vivais assez mal le fait qu’il était en train de prendre une place de plus en plus importante dans ma vie, et ça au détriment de la tienne. Je peux comprendre cette réaction, c’était de la peur, et j’ai souvent ressenti la même chose quand je voyais une de tes liaisons devenir plus sérieuse, et forcément dangereuse pour nous deux.
Tu craignais que je t’abandonne, tu m’as reproché les week-ends qu’on ne passait plus ensemble. Et puis tu as continué à me dire que tu n’aimais pas que je te parle de lui et de moi, de ce qu’on faisait quand tu n’étais pas là. Tu me disais que tu étais heureux le jeudi quand on se voyait, mais que dès que tu repartais le lendemain, tu passais une mauvaise journée, à penser à Benjamin.
Alors, tu t’es mis à pleurer, vraiment comme un gosse. Ça faisait des années que je ne t’avais pas vu dans un état pareil. Tu t’es blotti contre moi, j’avais l’impression de retomber dans l’enfance, ça aurait pu être agréable si tu n’avais pas été aussi triste. Du Fanou fort et viril il ne restait rien, à la place, je te retrouvais fragile et vulnérable. Ce qu’il y avait de bien avec toi, c’est que tu ne faisais jamais dans la demi-mesure…
D’ordinaire, tu couchais toujours sur le clic-clac du bureau, mais là, tu avais insisté pour dormir avec moi, dans mon lit. Comme t’étais parti pour un voyage en petite enfance, et vu ton état, j’ai accepté, alors que j’en avais aucune envie. Tu m’as raconté une énième fois que quand tu étais petit, tu te levais la nuit pour me retrouver dans ma chambre parce que tu avais peur de dormir seul. Que dire devant un tel argument de défense imparable ?
Quand on s’est couchés, tu t’es laissé aller à des confidences presque en forme de confessions : tu ne voulais pas te marier, ni même avoir des enfants. Je me souviens t’avoir répondu que maman et papa allaient sauter de joie quand ils apprendraient la nouvelle, car déjà avec moi, ils avaient perdu un espoir d’être grands-parents. Bien entendu, je garderai secrètes les paroles de cette nuit de novembre, je ne veux pas augmenter leur peine.
A t’entendre, j’avais l’impression que tu refusais de grandir, c’était peut-être de ma faute aussi. C’est quand même pas normal qu’un petit frère insiste pour ne pas se séparer du grand. J’ai trouvé très curieuse ta façon d’envisager l’avenir. Je crois que tu avais mal pris la remarque que je t’avais faite à ce moment-là. Je me souviens exactement des mots que j’avais prononcés : Fanou, fais attention. Je ne suis que ton frère, ne fais pas de moi ce que je ne suis pas. Tu t’es retourné en grognant un peu, et tu t’es endormi peu de temps après.
Je suis allé me coucher dans le bureau, je ne sais pas pourquoi, mais après ce que tu venais de me dire, je n’avais pas du tout envie d’avoir ne serait-ce que le moindre contact physique avec toi.
Lâchement, on avait préféré oublier cette nuit et ne plus jamais en reparler.
Deux semaines après, tu la rencontrais. C’était pendant un vernissage dans la galerie de Benjamin. Au départ, tu ne voulais pas venir. Je regrette amèrement d’avoir insisté… surtout si j’avais su ce qui allait arriver. Elle était déjà là quand nous sommes entrés, avec sa sœur Annick. J’aurais dû me méfier, j’ai manqué de clairvoyance et de vigilance. Avant même que je lui parle, je ne l’aimais pas. J’ai beau être branché par les mecs, j’ai aussi un idéal féminin, et Nadège est loin de s’en rapprocher. Je n’ai jamais pu supporter son côté bo-bo, tant sur le fond que sur la forme. Le look à la Elodie Bouchez, c’est pas pour moi.
Mais franchement Fanou, dis-le moi maintenant que t’es sorti avec elle pour m’emmerder. C’est pas possible que tu aies pu trouver cette fille belle et attirante. Elle avait son espèce de robe en laine à rayures marron, vert et orange. Et puis, bien entendu, son éternelle paire de collants, au coloris et aux motifs uniques. Toujours dans les tons marron… Je ne sais pas ce que j’ai détesté le plus chez elle, les vêtements ou la coiffure… Parce que la coupe à la garçonne avec la barrette Barbie rose pour tenir la frange, je n’ai jamais pu m’y faire. Alors, dès qu’elle a ouvert la bouche, j’ai failli éclater de rire. J’étais à deux doigts de lui tailler le portrait quand j’ai tourné la tête vers toi, et là j’ai reconnu ce regard que je n’ai jamais aimé. A chaque fois que cette espèce de lueur démente brillait dans tes yeux, cela se terminait en catastrophe… Nadège en était une de plus.
A un moment, j’ai cru que tu me faisais une blague pour me faire marcher. Mais quand je t’ai vu l’embrasser à la fin de la soirée et repartir avec elle, je me suis senti physiquement très mal. C’était à mon tour d’être jaloux et inquiet. La situation venait de se retourner, mais cette fois, à mon désavantage, et j’ai estimé qu’il était de mon devoir de grand frère de te mettre en garde et de t’ouvrir les yeux. Le jeu de massacre a commencé très vite, dès le lendemain, je crois. Nadège a tout de suite compris que je ne la sentais pas et avec sa perversité retorse et manipulatrice de juge d’instruction a cherché à m’éloigner de toi. Elle doit le regretter amèrement je pense ; en tout cas, je le souhaite.
Et puis, tu as quand même commencé à sentir le danger. Il t’a fallu un peu de temps… presque six mois, mais mieux valait tard que jamais. Dès que tu as acheté la maison, elle a voulu mettre son empreinte sur tout : la déco, le choix des peintures au mur, les meubles à changer… Grossière erreur de sa part. Si j’avais été bon camarade, je lui aurais conseillé de se modérer, mais tu me connais, je suis au départ un très gentil garçon, mais quand je n’aime pas quelqu’un ou quelque chose, je ne fais aucun compromis.
En une phrase, elle a signé son arrêt de mort, et je pense qu’elle croyait bien faire, mais finalement, elle n’a pas mesuré la portée de ce qu’elle disait…
Là encore, je garde un souvenir bien précis de cette journée : on préparait la crémaillère et autant dire qu’après ça, tu n’as pas beaucoup souri pendant la soirée…
Je l’entends encore …
- De toute fachon, chette maison n’est que provichoire, car elle est trop petite pour nous deux. Il n’y a que deux chambres, et che ne veux pas que nos enfants partagent la même…
A ce moment-là, j’ai vraiment senti de la peur dans tes yeux. Ton visage s’est fermé, tes traits se sont crispés et tu lui as répondu très sèchement…
- Je n’ai pas acheté cette maison pour qu’elle héberge un foyer et des enfants. Je te l’ai déjà dit, je ne me marierai pas et je ne veux pas d’enfants. Quant à l’autre chambre, c’est celle de mon frère et ça le restera. Ce n’est même pas une chambre d’amis. Personne d’autre que Raphaël et Benjamin n’y dormira. Et tu vois, comme c’est la crémaillère, je vais même lui donner un trousseau de clés, comme ça il pourra venir quand il voudra.
Je sentais une réelle tension entre vous deux pendant la soirée. D’ailleurs, personne ne s’était vraiment éternisé, et on avait presque frôlé un autre incident diplomatique quand tu avais ouvert le cadeau qu’elle t’avait fait. Tu n’avais même pas cherché à cacher que tu ne l’aimais pas.
Le lendemain tu m’avais appelé. Il n’y avait plus aucune sérénité dans ta voix, tu semblais complètement affolé. Vous aviez passé la nuit à vous engueuler. T’étais parti à moto te balader en bord de mer, t’avais même failli venir à la maison.
Les projets d’avenir de Nadège te faisaient peur, ils ne correspondaient pas à ton idéal de vie. Le ver était entré dans la pomme… Je me suis chargé de le faire grossir.
Avec tes trente ans, j’ai saisi l’opportunité de nous débarrasser d’elle pour toujours. Elle avait tenu à nous accompagner, Benjamin et moi pour faire des courses au centre commercial. J’avais déjà acheté ton cadeau depuis longtemps, mais pour la forme, j’avais pris deux passes pour les Vieilles Charrues… en plus y avait REM cette année-là.
Quand je l’ai vue passer à la caisse avec les CD de Carla Bruni et de Vincent Delerm, j’en ai presque béni le ciel. A croire qu’une force supérieure venait à notre secours. Déjà sur le choix, elle ne pouvait pas plus mal tomber, et puis offrir deux CD à son mec pour ses trente ans, ça fait un peu rat quand même. J’avais hâte de voir ta tête quand tu ouvrirais le paquet.
Tu avais prévu de faire une grande fête plus tard pendant l’été, où tu aurais invité tes amis et un peu de famille, histoire de…
Mais le samedi de ton anniversaire, nous étions tous les quatre, et on avait pris un verre chez toi avant d’aller au resto. J’avais ouvert le feu en te donnant mes cadeaux…
- Ah le bon frère que voilà ! Alors un passe de trois jours pour les Charrues… et un week-end à Prague ? Pour deux en plus ? Yipee ! Depuis le temps qu’on veut y aller là-bas ! Ça va être géant !
- Faut que che regarde chi che peux me libérer à chette date, chéri… Mais ch’ai hâte d’y être…
- Heu, Nadège, t’as pas l’air de saisir. C’est pas avec toi que je vais aller à Prague, mais avec mon frère. Sinon il n’aurait pris qu’un billet, pas deux…
- Ah bon… ben vous n’avez qu’à y aller tous les deux, che resterais avec Benchamin.
- Désolé Nadège, mais Benjamin vient aussi… Comme c’est son anniversaire dans trois semaines, je lui offre également le voyage pour Prague. Tu resteras avec tes sœurs, ça va être sympa. Nous on se fera un week-end entre mecs.
- Allez Nadège, fais pas la gueule, je t’enverrai une carte postale… Ce qu’elle est susceptible quand elle s’y met. Bon, j’ai vu que tu avais un paquet derrière ton dos, montre-moi ce que c’est… Hmm Hmm, Virgin Mégastore… Ça sent le CD, ça.
Et là tu as ouvert le paquet …
- Vincent Delerm ?! Carla Bruni ?! Ha ha ha … La bonne blague… Bon, allez on redevient sérieux là, il est où le vrai cadeau ?
- Mais Chtéphane, ch’est ton cadeau.
- Tu te fous de ma gueule j’espère, Nadège ?
- Non… pourquoi ?
- Pourquoi ? Tu ne vas pas quand même pas me dire que tu m’as offert ces deux merdes pour mes 30 ans ? Je te rappelle que j’ai été chanteur pendant des années dans un groupe de rock et que ces deux choses sont une insulte que tu fais à mes oreilles… T’as vu ça Raphaël ? Bruni et Delerm ! N’importe quoi.
- Chtéphane, tu arrêtes. Tu es grochier là !
- A ta place j’aurais aussi rajouté Bénabar, ça aurait complété la collection ! T’as pas non plus un livre de Christine Angot ou de Marc Lévy pendant qu’on y est ?! Putain, y a vraiment que mon frère et son mec qui sont capables de m’offrir des trucs que j’aime. Bougez pas les gars je reviens…
Tu es parti dans ta chambre. On a entendu le bruit des portes coulissantes de ton placard et des objets que tu sortais. Nadège ne comprenait pas ce qui se passait. Elle cherchait de l’aide du regard, en vain. Tu es revenu avec une grosse paire de pantoufles fourrées et des vêtements que je n’avais jamais vus auparavant.
- Voilà les cadeaux qu’elle m’a faits depuis qu’on sort ensemble… D’abord pour Noël, ces superbes pantoufles, que je ne mettrai jamais, même sous la torture. T’as vu Raphaël, comme elles sont belles ? Et j’oubliais le magnifique livre sur la chasse à cour. Si je manque de papier pour allumer le barbecue cet été, je saurai quoi prendre. Mais attends, t’as pas tout vu… Pour la Saint Valentin, regarde ce sublime lot de pulls qu’elle m’a offerts… C’est pas beau, ça ? Que du marron et de l’acrylique ! Même pour une soirée seventies sous acide je ne porterais pas de telles horreurs ! Quand j’étais gamin, je pleurais pour ne pas mettre ce genre de fringues, c’est pas à trente ans que je vais changer ! Ecoute-moi Nadège, je vais te dire un truc et je ne te le dirai qu’une seule fois : tu ne feras jamais de moi une espèce de bourgeois branché comme tu t’obstines à vouloir le faire. Personne, je dis bien personne n’a pu me faire changer, et c’est sûrement pas toi qui réussira…
Si j’ai envie de mettre un vieux jean troué et mon perfecto pour sortir, je le ferai, et si t’es pas contente, si ça te fait honte, ben tu changes de mec. D’ailleurs ce soir je vais remettre mes fringues d’ado, vu que j’ai la chance de rentrer encore dedans et en plus je vais ressortir mes vieilles bottes de moto pourries et le sweat-shirt de Def Leppard que tu détestes tant.
Maintenant, tu vas me suivre dans mon bureau… Raphaël et Benjamin, venez aussi, comme ça vous serez témoins. Bon Nadège, regarde attentivement les disques qui se trouvent sur les étagères, et tu vas me dire s’il y a un indice qui t’a permis de deviner que je pourrais avoir envie d’avoir Delerm et Bruni dans ma discothèque ?
- Arrête Chtéphane ! Che commence à en avoir marre de tes conneries ! Cha ne me fait pas rire du tout ? Tu cherches quoi ? A m’humilier devant ton frère et son copain ?
- Pour l’instant tu réponds à ma question… Alors ? T’as regardé ? Delerm ? Bruni ? Bon on est d’accord… Ils n’ont pas leur place ici… En passant ma chérie, niveau humiliations, tu es loin d’être la mieux placée pour parler.
- Ta gueule Chtéphane ! Donne-moi ches dichques, che vais aller les changer dès lundi…
- Ah mais non, il n’en est pas question. Je les garde et je vais les ranger avec leurs « frères » sur l’étagère des disques de merde qu’on m’a offerts au fil des anniversaires et des Noëls. Tu vois, je ne vais même pas les enlever de leur emballage. Et puis ne t’avise pas de m’offrir autre chose pour compenser, car je peux te jurer que je te les foutrais dans la gueule ! Et tu me redis plus jamais de la fermer … surtout devant mon frère !
- Ch’est dégueulasse che que tu me fais ! En plus quand che les ai achetés ches disques, ch’étais avec ton frère, et il ne m’a même pas dit que cha ne te ferait pas plaisir !
- Oh là, Nadège, fais bien gaffe à ce que tu vas dire… Et d’une c’est pas à mon frère de te faire la liste de ce que j’aime ou pas. Quand je dois faire un cadeau à quelqu’un je fais en sorte de bien connaître ses goûts en l’observant. Visiblement, tu ne m’observes pas beaucoup. Curieux pour une juge d’instruction, non ? Ca m’étonne pas que ça merde autant dans la justice française… Et de deux, si je t’entends dire quoi que ce soit de mal sur mon frère devant moi, et si je sais que tu daubes sur lui dans mon dos, je te garantis que je ne te laisserai pas deux secondes pour dégager de ma vie. Est-ce que j’ai été clair ? Mon frangin tu n’y touches pas, ni maintenant, ni jamais. Alors ne viens pas me dire que c’est de sa faute si tu t’es plantée sur le choix de mes cadeaux. Tu es la seule responsable là-dedans… Tu n’as aucune circonstance atténuante pour reprendre ton putain de jargon professionnel.
Comme pour la crémaillère, la soirée au resto fut vraiment sinistre. J’assistais, non sans un certain plaisir, à la disgrâce de Nadège. Tu ne lui as pas adressé une seule fois la parole de tout le repas, ton indifférence envers elle en était même gênante, bien que jouissive pour moi.
Elle l’avait bien cherché … et je crois qu’elle avait parfaitement compris que je n’étais pas innocent à sa mise à l’écart.
Si elle n’avait pas commis la deuxième erreur de me mettre en cause, tu n’aurais sans doute pas pris la décision de rompre avec elle… Comme les autres avant elle, elle a essayé d’entrer par la force dans notre monde, et comme les autres avant elle, elle a été virée. Il y a des endroits intimes où l’accès est interdit, même aux plus proches.
Je reste tassé sur mon siège, à la regarder descendre l’escalier pour rentrer dans la chambre funéraire. J’avoue que ça m’emmerde de savoir qu’elle va venir se recueillir devant toi dans quelques minutes. Je n’ai pas trouvé le moyen de l’en empêcher.
J’ai toujours aussi peu de compassion pour elle, et plus les heures passent, plus je la déteste.
Quand je suis parti ce matin, j’ai pris un autre CD pour remplacer celui de Nirvana. C’est une compil que tu avais faite pour moi. Sans même regarder le boîtier, où tu avais inscrit les titres avec ton écriture la plus fine, je vais directement au quatrième morceau… Pas besoin de te faire un dessin, c’est Lost in the Supermarket des Clash. Ca veut dire qu’on a quelque chose de très spécial à faire tous les deux, une sorte de retour aux sources qui ne peut plus attendre maintenant…