C'est beau une ville, la nuit
liljanynn
- J'en peux plus… Je m'ennuie, je m'emmerde, si tu savais comme je me fais chier !
Une petite buée s'échappe de ses lèvres tandis qu'elle sent le murmure froid de la réponse de son correspondant lui frôler l'oreille. Distraite, plus attirée par la lumière du lampadaire qu'elle consulte comme souvent ces derniers jours, elle observe la clarté crue en se penchant un peu depuis sa fenêtre. Elle sent le plastique dur se loger entre son ventre et sa poitrine et tente de se concentrer sur la sensation. Depuis son étage, elle voit la découpe nette du perron du pavillon d'en face, un faux portail antique risible, qui amuse ses visiteurs. Le RER passe en fond, les lumières clignotantes sur le pont ferroviaire. Son regard passe sur les grues à l'horizon et revient en elle-même. Elle se raccroche à la conversation.
- Excuse-moi, tu disais ?
- …. Ecoute, si même moi je t'ennuie…
Elle inspire sa cigarette, souffle volontairement, rallume quelques braises. Le silence l'alerte.
- Non, c'est juste… Tu sais, la vie quoi.
Elle retourne à la rue, fascinée par la luminosité triste qui évoque toujours les mêmes souvenirs. La traversée de nuit du pont de l'Harteloire, seule, pleine d'une jouissance adolescente. Cette lumière froide qui tranche les blocs de béton, sèchement, n'en laisse qu'une structure aride sur laquelle il était simple de rêver. Le petit parapet de l'avenue des facs qu'il suffisait, éméchée, d'arpenter comme une funambule, pour se sentir vivre. Le vert étrange des pelouses vides, presque mortuaire, qui laissait le regard divaguer, comme un tableau neutre permettant l'émergence de la pensée.
- C'est ça, en fait, je ne sais même pas ce que je fous là, je ne me sens plus vivre.
- Zoé…
- Non mais écoute, c'est simple, je m'emmerde tellement…
Elle a conscience de sa respiration et de celle de son interlocuteur. Elle entend les soupirs contenus. Se demande si finalement cela a une quelconque importance. Elle écoute, vaguement, et se concentre sur le froid qui engourdit ses seins. Essaie de déterminer si la sensation d'étreinte sur l'extérieur est agréable. Se dit que décidément le pouvoir du frottement des tétons contre le tissu est largement exagéré en littérature. Et convient qu'elle s'ennuie vraiment.
- Bon tu viens alors ?
- Ben j'aimerais bien mais tu sais…
Elle acquiesce par lassitude, raccroche rapidement. A l'aveugle, elle prend le paquet de plastique jaune sur la table, le soupèse, l'ouvre mécaniquement. Le frottement du papier à rouler attire son attention quelques secondes. Elle s'éblouit un peu avec le briquet. Elle suit des yeux un passant tardif. Pense rester puis ferme la fenêtre. Sans faire attention à ses gestes, elle se déshabille, éteint les lumières, met son portable à charger, vérifie le chauffage. Peut-être dans un autre ordre. Ce n'est qu'en rabattant la couette, alors qu'elle est agenouillée au-dessus de son lit, qu'elle réalise. Tant pis, elle rompra demain.
Cette nouvelle m'avait échappée… et il aurait été dommage que je ne revienne pas en arrière.
· Il y a plus de 9 ans ·nyckie-alause
Un beau moment de lecture ..
· Il y a presque 10 ans ·Maxime