c'est compliqué

jeanro

Un appartement au 6ème étage en ville . Coup de sonnette.

-Bonjour c’est moi !

Elle : Tu ne devais pas arriver à 14 h 30 ?

Il ne répond pas.

- Je suis en plein déménagement. Excuse moi mais je dois terminer ça avant ce soir….Tiens assieds toi là !

Il  entre,  enjambant  comme il peut des cartons dans l’entrée et, plus loin, des flaques humides essayant de ne pas faire de traces de pas là où elle a  déjà lavé le carrelage. Il se pose dans un des deux fauteuils ronds qui se font vis à vis dans le séjour. Elle disparaît au fond de l’appartement serpillière et balai en mains.

-En plus, je pars demain…Je t’en avais parlé non ? Barcelone ?

-         Ah oui…Barcelone…

Il  jette un coup d’œil vers sa chambre dont la porte est ouverte. Le lit est défait. Des draps propres sont pliés au carré sur le matelas.

-         Tu vas louer l’appartement pendant ton absence ?

-         Oui comme d’habitude, j’ai loué pour la durée du Festival. Et je m’installe chez

 Jean-Lou pendant quelques temps.

-         Ah oui…Jean-Lou…

-          

Il déteste ce prénom de garçon coiffeur et surtout la façon dont elle le prononce en arrondissant exagérément la bouche. Est-ce qu’ils partent à Barcelone ensemble ? Evidemment.

Elle revient, tête ébouriffée. Son corps amaigri flotte dans une salopette noire sans forme. Depuis quelques temps, elle travaille trop et ne doit pas s’alimenter comme il faudrait. Elle se laisse tomber dans l’autre fauteuil en face de lui, balais posé à gauche, seau à droite. Elle souffle dans ses cheveux et écarte les jambes pour s’asseoir.

-         Je ne m’en sors plus. Je ne sais pas mais en ce moment tout est compliqué…

-         Oui je vois. …Tu veux en parler ?

Pas de réponse.

Un portable posé à portée de main sur la table basse appelle avec insistance et rompt le silence. Elle jette un coup d’œil  avide vers l’écran et court s’isoler dans la chambre voisine en actionnant le mobile d’un pouce frénétique. Dire que quand  lui, il appelle elle est le plus souvent sur répondeur.

Il reste seul dans son fauteuil.  Au mur son regard s’arrête sur un petit tableau. C’est un portrait de femme. Il s’approche. Il l’a déjà vu cent fois depuis qu’il vient chez elle. Mais là, il le détaille. Du fond là-bas lui parviennent des échos d’une conversation téléphonique animée qu’il ne comprend pas. Un rire éclate à plusieurs reprises.

Au mur la jeune femme a les seins qui sortent d’un bustier blanc. Ses tétons menus et  arrogants pointent le nez en l’air. La toile a l’aspect craquelé et vernissé d’une piéta italienne. La peau brune de la fille a des tons brûlés. Une  profonde blessure aux bords noircis troue la base de son cou.

Le seau et le balai sont toujours là, encadrant le fauteuil vide.

Elle est revenue vers lui. Sans doute depuis un moment. Elle parle…. Elle parle …

Il essaie d’écouter mais ne quitte pas le tableau des yeux.

-         Le travail aussi, en ce moment c’est compliqué :  Des jalousies tu vois, des tensions. Elles ont exigé un entretien pour « exprimer leur ressenti ». Le patron n’acceptera jamais. Pour lui, l’affaire est close et il nous a demandé de tourner la page . Nous sommes les seules, Anaïs et moi à avoir dit ce que nous avions sur le cœur. Sans mâcher nos mots. Les autres n’ont pas parlé et maintenant elles nous en veulent. Depuis, nous avons tout le monde sur le dos.

-         Oui je comprends.  Mais vous avez bien fait de vider l’abcès ….Il vaut toujours mieux parler…. Bon …..Je vais te quitter.

Elle le regarde sans comprendre.

-         Enfin je veux dire là, maintenant. Je vais partir. J’ai une course à faire avant que ça ferme et toi tu as du travail.

-         Oui et en plus ce soir j’ai un spectacle au théâtre.

-         Ah oui …Comme ça tu seras tout près de chez Jean Lou.

Il se lève et se dirige vers la porte palière. De façon très inattendue, elle vient se plaquer contre lui, au moment de lui dire au revoir. Elle le fait à la façon confiante et animale d’une enfant. Il la domine d’une tête. Ses cheveux sentent bon. Il n’ose pas la serrer dans ses bras et s’écarte en murmurant :

-Tu me manques !

Mais tu es bien là où tu es et j’en suis content pour toi.

(Là il ne pense pas ce qu’il dit et ça s’entend et ça se voit.)

Elle : Je te trouve très…..

Longtemps après l’avoir quittée, il cherchera dans sa mémoire le mot qu’elle avait employé. Impossible de s’en rappeler mais cela l’avait bien fait rire tant cet adjectif était le mot juste et parfaitement approprié à l’état dans lequel il était .

Ce jour là, le clochard au parcmètre du parking n’avait pas eu sa pièce.

Quand il était heureux il donnait.

Mais là il y avait cette image d’une profonde blessure à la base du cou d’une fille et ce mot manquant. Cela faisait beaucoup.

Il envoya un texto :

- Bonne route et bon week-end. Je cherche l’adjectif que tu as utilisé pour moi quand nous nous sommes quittés. Aide moi. Ça m’avait fait rire.

Il attend encore la réponse et ça, ça ne le fait pas rire.

 Un appartement au 6ème étage en ville . Coup de sonnette.

-Bonjour c’est moi !

Elle : Tu ne devais pas arriver à 14 h 30 ?

Il ne répond pas.

- Je suis en plein déménagement. Excuse moi mais je dois terminer ça avant ce soir….Tiens assieds toi là !

Il  entre,  enjambant  comme il peut des cartons dans l’entrée et, plus loin, des flaques humides essayant de ne pas faire de traces de pas là où elle a  déjà lavé le carrelage. Il se pose dans un des deux fauteuils ronds qui se font vis à vis dans le séjour. Elle disparaît au fond de l’appartement serpillière et balai en mains.

-En plus, je pars demain…Je t’en avais parlé non ? Barcelone ?

-         Ah oui…Barcelone…

Il  jette un coup d’œil vers sa chambre dont la porte est ouverte. Le lit est défait. Des draps propres sont pliés au carré sur le matelas.

-         Tu vas louer l’appartement pendant ton absence ?

-         Oui comme d’habitude, j’ai loué pour la durée du Festival. Et je m’installe chez

 Jean-Lou pendant quelques temps.

-         Ah oui…Jean-Lou…

-          

Il déteste ce prénom de garçon coiffeur et surtout la façon dont elle le prononce en arrondissant exagérément la bouche. Est-ce qu’ils partent à Barcelone ensemble ? Evidemment.

Elle revient, tête ébouriffée. Son corps amaigri flotte dans une salopette noire sans forme. Depuis quelques temps, elle travaille trop et ne doit pas s’alimenter comme il faudrait. Elle se laisse tomber dans l’autre fauteuil en face de lui, balais posé à gauche, seau à droite. Elle souffle dans ses cheveux et écarte les jambes pour s’asseoir.

-         Je ne m’en sors plus. Je ne sais pas mais en ce moment tout est compliqué…

-         Oui je vois. …Tu veux en parler ?

Pas de réponse.

Un portable posé à portée de main sur la table basse appelle avec insistance et rompt le silence. Elle jette un coup d’œil  avide vers l’écran et court s’isoler dans la chambre voisine en actionnant le mobile d’un pouce frénétique. Dire que quand  lui, il appelle elle est le plus souvent sur répondeur.

Il reste seul dans son fauteuil.  Au mur son regard s’arrête sur un petit tableau. C’est un portrait de femme. Il s’approche. Il l’a déjà vu cent fois depuis qu’il vient chez elle. Mais là, il le détaille. Du fond là-bas lui parviennent des échos d’une conversation téléphonique animée qu’il ne comprend pas. Un rire éclate à plusieurs reprises.

Au mur la jeune femme a les seins qui sortent d’un bustier blanc. Ses tétons menus et  arrogants pointent le nez en l’air. La toile a l’aspect craquelé et vernissé d’une piéta italienne. La peau brune de la fille a des tons brûlés. Une  profonde blessure aux bords noircis troue la base de son cou.

Le seau et le balai sont toujours là, encadrant le fauteuil vide.

Elle est revenue vers lui. Sans doute depuis un moment. Elle parle…. Elle parle …

Il essaie d’écouter mais ne quitte pas le tableau des yeux.

-         Le travail aussi, en ce moment c’est compliqué :  Des jalousies tu vois, des tensions. Elles ont exigé un entretien pour « exprimer leur ressenti ». Le patron n’acceptera jamais. Pour lui, l’affaire est close et il nous a demandé de tourner la page . Nous sommes les seules, Anaïs et moi à avoir dit ce que nous avions sur le cœur. Sans mâcher nos mots. Les autres n’ont pas parlé et maintenant elles nous en veulent. Depuis, nous avons tout le monde sur le dos.

-         Oui je comprends.  Mais vous avez bien fait de vider l’abcès ….Il vaut toujours mieux parler…. Bon …..Je vais te quitter.

Elle le regarde sans comprendre.

-         Enfin je veux dire là, maintenant. Je vais partir. J’ai une course à faire avant que ça ferme et toi tu as du travail.

-         Oui et en plus ce soir j’ai un spectacle au théâtre.

-         Ah oui …Comme ça tu seras tout près de chez Jean Lou.

Il se lève et se dirige vers la porte palière. De façon très inattendue, elle vient se plaquer contre lui, au moment de lui dire au revoir. Elle le fait à la façon confiante et animale d’une enfant. Il la domine d’une tête. Ses cheveux sentent bon. Il n’ose pas la serrer dans ses bras et s’écarte en murmurant :

-Tu me manques !

Mais tu es bien là où tu es et j’en suis content pour toi.

(Là il ne pense pas ce qu’il dit et ça s’entend et ça se voit.)

Elle : Je te trouve très…..

Longtemps après l’avoir quittée, il cherchera dans sa mémoire le mot qu’elle avait employé. Impossible de s’en rappeler mais cela l’avait bien fait rire tant cet adjectif était le mot juste et parfaitement approprié à l’état dans lequel il était .

Ce jour là, le clochard au parcmètre du parking n’avait pas eu sa pièce.

Quand il était heureux il donnait.

Mais là il y avait cette image d’une profonde blessure à la base du cou d’une fille et ce mot manquant. Cela faisait beaucoup.

Il envoya un texto :

- Bonne route et bon week-end. Je cherche l’adjectif que tu as utilisé pour moi quand nous nous sommes quittés. Aide moi. Ça m’avait fait rire.

Il attend encore la réponse et ça, ça ne le fait pas rire.

Signaler ce texte