C'est notre faute, notre très grande faute...
magadit
Contrairement à pléthores d’idées préconçues, l’amour n’est pas livré avec la maternité, la culpabilité si. Les mères indignes font désormais leur coming-out et avouent de plus en plus volontiers, avoir observé l’échantillon humain vagissant sorti de (et/ou avec) leurs tripes avec plus de perplexité que d’adoration.
On a le droit, voire le devoir tellement c’est devenu tendance, de dire qu’on n’était pas née pour être mère. Génitrice oui. Moman gâteau non. Pas la peine de râler, si la vie était bien faite, le vociférator serait systématiquement livré avec le mode d’emploi, les réponses qui vont bien, l’instinct, l’abnégation et la patience de Mère Theresa. Il y aurait moins de serial killer en crise avec cet enfoiré d’Œdipe, d’ados junkies sous les ponts, et de clones de M. Pokora.
Non, l’adoration pour mini-nous, cet amour viscéral, se développe pas à pas, sourire après sourire, angoisse après angoisse, bobos après bobos. C’est l’interactivité qui vole le cœur d’une femme, pas l’épisiotomie. C’est l’échange qui nous réduira en esclavage, pas la traite du lait.
Rien de tel qu’un modèle 2.0, avec son intelligence artificielle, son module d’apprentissage autonome et son servo-moteur dernier cri pour vous mettre à genoux devant ses fantastiques progrès, son humour dévastateur et son génie créatif. Rien à dire le gamin tient de sa mère, que de sa mère, rien que de sa mère. De toute manière c’est elle qui l’a fait. Fin de la polémique. Les mères sont juives. Si si toutes.
Tandis donc que nous tricotons, en tirant la langue jour après jour, cette fantastique cotte de maille, toute douce dedans pour lui tenir chaud, toute dure dehors pour lui éviter les coups et en faire un être parfait tel que nous l’avons initialement conçu, nous livrons une autre bataille, bien plus sanglante… Les mères sont juives et se prennent pour Don Quichotte. Si si, toutes.
C’est ma faute, ma seule faute ma très grande faute. Le rhume ? De votre faute. Fallait pas le sortir par beau temps. Le gravillon qui le fait trébucher et pleurer ? Votre faute. Fallait balayer le trottoir, lui mettre des genouillères. L’allergie au lait ? Les méchancetés des autres nains dans la cour de l’école ? Un nez trop grand ? Un zizi trop petit ? De votre faute aussi. Fallait, fallait pas.
Comme si l’avoir conçu ne suffisait pas. Voilà la cruelle vérité : autant on peut trouver des mères aussi arides qu’une Kate Moss après régime, autant toutes passent/passeront/sont passées par la case culpabilité. Impossible de se défaire de l’idée qu’on n’arrivera pas à le protéger, à lui éviter de souffrir ou à le rendre parfait. Bambin se mord la langue et c’est maman qui finira en train de se tordre les mains chez le psy.
On l’aime trop, pas assez. Allez oust, on culpabilise, on somatise. On en fait trop, pas assez, et zou, on relit Dolto on potasse le Vidal. Il est trop faible le pauvre amour pour lutter tout seul contre ces racailles qui lui piquent ses Pokemons, ou lui tirent les couettes. Ça ne tiendrait qu’à nous on serait déjà dans la cour de récrée à tabasser les petits poux des autres, on lui écrirait ses répliques, on anticiperait les vacheries, on torturerait les coupables.
Mais comme on a apprit que tuer les autres c’est pas bien, on prend un air détaché, on clame haut et fort à Madame Michue et au père de l’enfant que c’est la vie, que c’est comme ça, on ne peut pas écrire l’histoire à sa place. Les erreurs forment la jeunesse. Ce qui ne le tue pas le rend plus fort. Que qui vole un œuf vole un bœuf et qu’une hirondelle ne fait pas le printemps… mais tout au fond, ça nous ronge.
On a pourtant ânonné comme des grandes les citations du Prophète « Vos enfants ne sont pas vos enfants. (…)Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées(…) Vous êtes les arcs desquels vos enfants sont propulsés, tels des flèches vivantes. ». Mais entre nous, on rechigne à lâcher la corde, on peaufine la trajectoire, on hume le sens du vent, on reporte, on décale. On tortille du coccyx, on procrastine. Demain. Oui demain c’est mieux pour lui. Ah, si les mères s’en étaient mêlées, Apollo 13 ne se serait pas crashé. Elles auraient vu elles, elles auraient su.
Et puis devenir une archère de compet’ c’est bien beau mais ce que l’on ne nous dit jamais, c’est que ça fait un mal de chien de lâcher la corde. Ça brule la peau, ça cingle les doigts. Ça porte au cœur. On regarde notre jolie flèche toute neuve s’envoler chaotiquement plus portée par le vent que par notre maigre expérience. On panique qu’elle rate sa cible, qu’elle se casse, qu’on nous la vole ou qu’elle se perde.
On flippe, on souffre, on aime, on culpabilise. Mères natures mais pas déesses, il ne nous appartient plus à nous seules de les rendre heureux. Au mieux nous serons béquilles, refuges, références, racines. On apprendra à se taire, à observer toujours aussi impuissante contre les éléments. Finalement, on se contentera d’aimer…
A toi mon fils. Je t’aime. Permet que je retienne ta flèche encore quelques (centaines d’) années.
A toutes les filles de et fils de, faites moi plaisir, appelez là, juste une fois. Dites lui « je t’aime, la vie ça fait mal, mais je ne t’en veux pas ».