C’est pas comme si on aimait la boue

romualdmartin

poésie contemporaine , hommage à mon grand oncle, mort a cheval contre la mitraille en 14

Le temps

Ça use l'autre

Un siècle de distance

À se prendre les pieds dans le tapis

À regarder l'autre changer de pièce

À pleurer la porte qui se ferme

À rester au sol

Je me souviens

Ne te relève pas putain

C'est perdu d'avance

Tu peux ramper

Pas trop vite

On pourrait te voir

Elle pourrait te voir

Il suffit d'un mouvement de tête

D'une maladresse

Pour qu'elle te débarrasse

De ce que tu pleures

De pourquoi tu râles

De pourquoi tu jouis

Ta petite vie

Baisse toi

Cache-toi dans le placard

Avec tes souvenirs d'avant

Reste sage

Mange ta soupe

Laisse-la traverser le champ

S'en prendre à quelqu'un d'autre

Des perdus y'en a plein

Des sonnés, des choqués

Des errants

Elle en fait de la viande

Les gens se battent pour elle

Du pain béni

De la chair à canon

Elle en raffole

Ta tranchée, surveille ta tranchée

Laisse siffler les balles

Laisse pleurer les canons

Ici tu ne risques rien

Y a la terre qui tremble, le ciel qui gronde

Et tes camarades

Qui crèvent

Tous

Un par un

Ne te relève pas

On a déjà perdu

 

Laisse-les venir

Attend qu'ils te cueillent

Soit sage

T'aura un bout de poteau

Une petite balle

Comme nous tous

Range ton sabre

Ne te lève pas

Ne charge pas

Pauvre con

Regarde toi

Elle est bonne la terre ?

T'as l'air de quoi

T'as les jambes qui se disent merde

La tête qui blanchis

Tu te vides

Je penserais à toi

Au poteau

À la balle

S'ils m'attrapent

Grenade !

Le temps se fige

On fixe le vide

Comme des cons

À notre tour

Je lève la tête

Ça siffle

Ça creuse la boite

Disperse les dents

Je mange

De la boue, du sang

Je sais plus trop

Je vomis le temps qui me reste

Je glisse, j'ai froid

Pas de poteau

Que des balles

Grenade encore

Ça vole

Je vole

Par ici, par là

J'ai relevé la tête

Et elle m'a vu

Signaler ce texte