Cette nuit, dans mon lit était l'odeur du massacre

Oskar Kermann Cyrus

Sur le pavé sombre du sang de la révolte, poisseux, grouillant, se couchait l’ombre morte et sans soupir des arbres tondus, les charognes de caillasse éparpillées là sans un ordre, l’urine des soldats mêlée à leur mépris, couvrant encore l’odeur du viol et de la chair estropiée. Des montagnes, devant, derrière, et à perte de vue, effaçant même toute mémoire du mal : là, partout autour et partout sur cette Terre s’élevaient des montagnes immondes de cadavres nus.

Le ciel était de feu, noir tout au dessus, couronné de rouge et de lumière de sang. La terre n’était plus de la terre, mêlée aux entrailles elle était une substance molle et vivante, qui semblait respirer.

Moi, je ne savais même pas si j’existais ici. Je ne voyais pas mes mains, ni mes pieds, je ne me connaissais pas de corps, je n’avais ni douleur ni plaisir, seulement la vue, l’ouïe, l’odorat, et l’horreur sourde de hurler sans écho. La terreur. La véritable terreur. Je ne pouvais presque faire aucun mouvement. Je ne pouvais que tourner sur moi-même. Et je hurlais. Mais je n’avais pas de voix sous la chaleur étouffante du lourd crépitement des flammes.

Je ne sais pas si c’était l’enfer. Il me semble que non. Ou peut-être que si. C’était l’enfer sur Terre. Ni en dessous, ni au dessus, ni ailleurs qu’ici, le lieu où je me trouvais.

Je ne pouvais pas m’échapper.

C’était inévitable.

Insoutenable.

Dans les flaques d’une boue incertaine, derrière moi, j’ai entendu le pas lent d’un cheval. Je me suis retourné. Rayonnante, chevauchant une monture squelettique au milieu d’anges blancs maigres et terrifiants, semblant flotter sous l’étendard de Dieu, sous la lumière même de son paradis espéré – là, calme et dure, invincible, se tenait Jeanne d’Arc.

Les anges m’ont regardé. Ils me voyaient.

Avais-je un corps ?

Je ne sais pas. Ils m’ont regardé soudain. Elle aussi.

Et puis étirant leur sourire, dévoilant ainsi deux rangées de dents pointues,

Mouvant leur maigreur au dessus du sang fumant,

Tendant vers moi des mains aux doigts brûlés,

Et s’arrêtant pour m’inviter,

Ils se mirent à rire.

Et puis tout s’est figé, je n’ai plus rien entendu de tout ça. Quand le noir s’est fait, brutalement, mais ressentant la même chaleur et – je ne sais pourquoi – une honte mortelle, des bruis d’étoffes, un confort certain, quelques chuchotements, et puis une voix déclarant à je ne sais qui, peut-être à moi, peut-être à quelqu’un d’autre :

« Seigneur, c’est évident,

Maintenant, et voyant cela,

Sans aucun conteste,

Vous êtes un poète ! »

Signaler ce texte