Ceux qui l'aiment prendront le train

Le spectre noir du dernier acteur, à l’issue du plus vieux théâtre, à la sortie d’une vétuste gare du sud où le souffle et l’effrayant chant du rail déchirent soudainement, dans le froid d’un tout jeune matin blotti dans les draps déteints d’une brune à l’agonie, ce silence émouvant qui plane parfois aux côtés des lèvres de la solitude et de l’égarement. Il se dessinait, œuvre poursuivie par la pénombre et les phares blafards des machines incarnant l’artiste hésitant et ses fusains fantastiques retraçant les plis et les contours d’un grand manteau de poudre ébène. Ses pas lourds d’un mystère sans nom sur les quais humides faisaient tanguer fragilement une forme floue au sommet de sa tête ; aile folle, ronde et grise d’ange pieu qu’était cette simple coiffe chinée aux courbes mouvantes attirée dans les fils brisés des contes astraux.

Il passa les portes haletantes, fendant un corps diaphane de buées vagues pour se glisser entre les formes de verre . Il sentit les râles et les crissements de l’artifice de métaux ; on partait pour ailleurs.

Les fers roussis grincèrent, et l’on vit s’agiter une foule de tiges lointaines mimant, avec une mélancolie certaine, de douloureux adieux. A perte de vue, le jeu et l’harmonie des choses ; tout retraçait  l’incroyable  poésie du voyage qui enveloppait ces endroits.

Il s’alanguit contre une vitre, ému par l’éveil lent et tout le secret d’un monde. Un bout de monde qui, par-delà le train, devenait un étrange rêve matériel, peut-être un idéal absolu.

Lorsque le rose de l’aube intriguée vint troubler les ombres et les reflets, lui et un fantasme à la fois doux et glaçant descendirent sous une bruine froide tombant sur la ville noire. Les façades vétustes l’enveloppèrent peu à peu, et l’idée d’un nouveau départ ne lui serait jamais venue.