Ceux qu'on appelait Bolcheviks (Rouge glace)

Caïn Bates

       Au moment même où j'ouvre les yeux, mon geôlier s'avance des minces barreaux qui le séparent de moi. Impossible de savoir comment il parvient à deviner que me réveille, j'ai essayé de le bluffer hier en fermant les yeux pour lui faire croire que je m'endormais mais le gaillard est resté face à moi, imperturbable. Sa posture hypnotique m'avait mené vers un sommeil profond et, ce matin, le voici souriant; comme ci il voulait me narguer.  
      Pourtant, pour la première fois depuis mon incarcération, il me semble amical. Avec deux doigts, il fait résonner le métal dévoré dressé entre nous. Son regard est dur mais plein de compassion. Quand il ouvre la grille, quand elle se met à grincer dans mon crâne, je me recule suspicieux mais il me fait signe qu'il ne me veux aucun mal.  Chacun de ses gestes sont accompagnés de gémissements plaintifs coincés dans sa gorge. 

        Une fois sorti de ma cage, il m'escorte vers un genre de bureau entièrement composé de béton dans lequel se trouve un vieux bureau et deux chaises pliantes crasseuses. Il me montre l'une d'elle et se tient debout près de la porte, immobile comme à son habitude. Dans le lointain du couloir, j'entends des bruits de pas irréguliers et de sonorités différentes. Il doivent être trois ou quatre selon mon oreille endolorie. Je me retourne pour tenter de mieux entendre et c'est là que je m'aperçois que, depuis notre entrée, nous n'étions pas seuls dans la pièce. Dans un coin sombre, un milicien est adossé au mur, une partie de son treillis recouvert de sang et de boue. À vrai dire, ce n'est ni lui ni le sang que j'ai vu en premier mais bien le reflet lumineux du canon de la carabine qu'il pointait vers moi. 
       C'était donc ça, ma liberté chérie ne me serait accordée que par un peloton d'exécution. J'aurai tant voulu pouvoir me retourner à nouveau mais le fait d'être braqué m'encourage à ne plus lui tourner le dos. Nombre de ces salauds veulent ma peau depuis des années, je ne la lui accorderait pas si facilement. Je profite de son approche pour élaborer ma tactique aussi périlleuse qu'absurde. Une fois qu'il me passera les menottes, je mettrai mon entrainement à contribution et les lui passerai pour l'achever ensuite d'un tir qui traversera sa mâchoire pour fixer à jamais son sourire malicieux de débile mental. Et pour mon geôlier, il devra bien me laisser passer s'il ne veux pas subir le même sort (même si abattre un homme désarmé ne me réjouit pas). Il ne me restait plus que quelques précieuses secondes.

         Tout s'étaient passé très vite, le coup dans le tibia, son coup de crosse et la mire de son arme qui me faisait face, son visage mutilé déformé par le plaisir de m'abattre comme un clébard décharné. C'est à cet instant que je l'ai "reconnu", c'était la charogne qui m'avait foutu ces primes sur le dos, celui qui m'avait fait enfermer. Il avait donc survécu au napalm. Sans peur, je fais face à mon destin, impatient de savoir qui du coup de feu ou de la balle je discernerai en premier quand un craquement d'os retentit. Le géant émit un grondement atroce quand il broya le dos du milicien entre ses bras et en le jetant contre le mur. Il m'aida ensuite à me relever et me fit signe de m'asseoir à nouveau sur la chaise, posant la carabine contre le mur derrière lui et se remit à sa place, comme si rien ne s'était passé. 
      Quand les hommes firent enfin leur entrée, il les salua en mettant ses doigts serrés contre sa tempe jusqu'à ce qu'ils lui rendent la pareil. Une femme vient s'asseoir face à moi et expédie les autres d'un signe de tête. Le géant ferme la porte et s'appuie dessus pour que personne ne puisse l'ouvrir. 
 

       De longues minutes passent avant que son regard balaie la pièce à la recherche de je ne sais quoi quand son regard se pose sur le milicien sonné non loin de nous. Elle me lance un regard interrogateur avant de reprendre son discours avec une froideur légendaire. À la vue de celui ci qui tente de se redresser, elle se lève et marche vers lui, lui tends une main et, de l'autre, colle le canon de son pistolet entre les yeux avant de tirer. Du sang gicle sur sa joue, qu'elle essuie du plat de la main. Elle se rassoie ensuite et me tends un dossier comportant plusieurs anciennes photographies, des rapports militaires et un enregistrement comme mes parents en possédaient au temps du Métro. Pendant ma lecture, je l'aperçois en train de chercher dans son gilet et en sortir un briquet sur lequel figure un "K" enflammé.

      "On l'a trouvé dans les décombres du Kremlin, bienvenue chez les Bolcheviks."
      


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