Chambre 442 - N°4

Diane Peylin

CHAMBRE 442 - Partie 4  

- Y a un client qui attend alors tu vas te bouger ! Et rapidement… Mais qu'est-ce que tu trafiquais là ?

Elle reste assise, incapable de faire le moindre mouvement. D'un pas lourd, il se ramène. Lili a peur.

- C'est quoi ces conneries ! C'est ça qui te fait hurler de rire. P't'être que si je t’les brûle ça te calmera un peu.

Sans attendre, le patron ramasse sauvagement le tas de papiers.

- C'est de la merde ton truc, y a tout qui se déchire…

Une fois les magazines bien froissés, Noy lance à sa pute :

- J'fais monter le client.

Lili a mal. Lili s'énerve. Lili enrage.

- Non ! hurle-t-elle. T'as pas le droit. Rends-les moi !

La jeune femme cède… à sa haine. De son bras droit, elle balance la chaise par terre. Le mac, surpris, se retourne. Lili, sans réfléchir, se jette sur lui. Elle l’attrape par les cheveux et tire de toutes ses forces.

- Alors patron ! T’aimes ça qu’on te caresse !

- Lili… gémit le bonhomme.

- Parce que c’est comme ça qu’ils font avec moi tu sais… Des brutes…

Ça glisse, ses mains lâchent prise. Sans qu’elle ait le temps de réagir, l’autre lui gifle la figure.

- Salope !

Recroquevillée par terre, elle suffoque. La rage qui la tenait tout à l’heure n’y est plus. Elle est épuisée.

- Tu vas voir… menace Noy. Tiens !

Lili hurle. Le pied du boss vient de lui bousiller les côtes. Elle cherche sa respiration. Tout est bloqué.

- A…

- Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu fais moins la maligne maintenant ! T’as intérêt de te calmer. Sinon les copains de Ling vont s’occuper de toi. Ils savent bien ‘’caresser’’ eux aussi. Tu verras…

La porte claque. Doucement les inspirations et expirations retrouvent leur place. Un sale goût parfume la salive de Lili. Du sang. Sa bouche saigne. Ses lèvres piquent. Son corps meurtri souffre. La jeune femme n’en peut plus. N’en veut plus de ce mal qui s’est emparé d’elle. Pourquoi lui a-t-on infligé ce sortilège ? Lili tu seras une victime jusqu’à la fin de ta vie. Les baisers te brûleront, les caresses te grifferont, les sourires te fuiront, l’amour…

- Pourquoi ? pleure Lili.

A quatre pattes, la tête contre le sol poussiéreux, elle tente de se relever. Ça tourne. Des vertiges… La table… Les magazines déchirés… Les cris…Lili s’écroule face contre terre.

Les minutes passent. Lili, inconsciente, ne bouge toujours pas. Les heures passent. Elle est toujours à la même place.

- Lili !

cette fois, c’est Ling qui se ramène.

- Lili, debout. Lève-toi maintenant !

- …

- J’ai deux clients qui attendent en bas. Ils repartent dans une heure pour Krabi, ils n’ont pas que ça à faire… Debout !

- Et moi j’ai que ça à faire, songe Lili.

Douloureusement, elle s’appuie sur ses poignets fragiles. Elle se met à genoux et s’immobilise quelques instants, histoire de retrouver ses esprits.

- Deux clients… Ça veut dire quoi… En même temps ? demande-t-elle.

- En même temps.

- Donne-moi dix minutes… que je me refasse une beauté.

- Cinq, pas une de plus.

La porte se referme. Sans réfléchir. Ne pouvant supporter une griffure de plus.Lili rampe jusqu’à son lit, glisse son bras dessous et attrape la boîte magique. Histoire de perdre l’esprit… De ne rien voir…De tout oublier…

Une dose de poudre. Une cuillère. Une seringue usagée. Un briquet…

- Où il est ?

Elle le retrouve au fond du carton à côté de l’élastique. Sans réfléchir, elle fait sa petite cuisine. La préparation achevée, elle remet le matériel à sa place, s’allonge sur le matelas, fait un garrot, plante l’aiguille dans sa veine pure et balance le cocktail.

Ling ouvre la porte et la referme aussitôt.

- Euh… Deux petites secondes… dit-il à ses chers clients. Un détail à régler.

Précautionneusement, il entre sans que les autres ne puissent jeter un œil à l’intérieur. Sans se poser de question, il ramasse la piqûre, défait l’élastique, envoie tout ça sous le lit et secoue la camée. Une fois ses yeux à peu près ouverts, il invite les bonshommes à rentrer.

- Vous inquiétez pas… prévient-il. Elle est un peu fatiguée mais vous vous amuserez bien quand même.

- C’est bon, dit le plus vieux d’un air complice, on a l’habitude. C’est pas plus mal comme ça. Au moins, elles disent jamais non !

Les trois gros pervers éclatent de rire. La tête de Lili résonne. Mais il y a trop de brouillard pour qu’elle comprenne ce qu’il se passe. C’est mieux ainsi. Pour elle, ça va. Il fait bon là où elle est. Il y a peut-être même du soleil…

- Aïe…

L’endormie se tourne dans tous les sens. Son ventre la torture. Le réveil est toujours difficile. Très difficile. Elle n’arrive pas à se lever. Elle a froid, envie de vomir, envie de pleurer,… mais elle ne peut pas se lever. Elle doit attendre que son corps shooté reprenne le dessus. Des fois ça revient. Mais parfois elle agonise un long moment avant que tout rentre dans l’ordre. Un certain ordre...

Lili s’est lavée, frottée, changée,… Elle n’ a aucune idée de ce qui s’est passé ni de l’heure qu’il est. Les persiennes ne renvoient aucune lumière. Un rideau sans forme les habille. Ils semblent collés. Le voile et les lamelles de bois. Lili n'est jamais arrivée à les détacher. Rien à faire. Unis par une croûte mystérieuse, les deux inséparables font les jours de Lili bien sombres... Parfois, elle ferme les yeux et s'imagine que les couleurs sous ses paupières se dessinent sous les rayons de l’astre solaire. Mais lorsqu'elle ouvre les yeux, c'est le néon qui vient l'éblouir. Une lumière agressive, froide, blanche qui ponctue les pièces et les couloirs de l'hôtel. Une note sordide de plus dans le décor  de cet établissement minable. Pour l'heure, elle attendra la montre du prochain client.

- N'importe quoi... songe-t-elle.

N'importe quoi cette habitude qu'elle a de toujours vouloir savoir l'heure qu'il est. Elle qui ne sort pas, qui mange, qui dort, qui se lave n'importe quand. Pour qui midi ne veut plus rien dire. Ici, une seule certitude sur le temps : il est long et infini.  L'espace seul peut encore être mesuré. Un carré. Un pas entre le lit et la table. Un demi pas entre la table et la porte de sortie. Un demi pas entre cette porte et la salle de bains. Et deux pas entre cette dernière et le lit. Au milieu, un fauteuil. Et Lili ? Lili, elle fait comme elle peut. Elle a déjà de la chance d'être petite. Ça aide dans ces cas-là.

La jeune femme est un peu déboussolée. Elle n'a plus l'habitude de s'envoyer en l'air. Qu'est-ce qu'elle va faire maintenant ? Tourner en rond et attendre ses hommes.Tourner... La table sans magazine... Tourner... A genoux aux toilettes... Tourner... Sur le lit à ressorts... Tourner... Lili tourne dans la ronde épuisante de l'ennui et de l'attente.

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