Champagne (court-métrage)

Olivier Ducray

CHAMPAGNE

Un court métrage d’Olivier Ducray (droits réservés)

(Pitch)

A Paris, à notre époque, une vieille dame seule dans un petit appartement, attentive à son monde, un monde simple, rythmé par les sons qui l’entourent, un jour ordinaire où elle aussi aurait aimé qu’on l’entende.

(Scénario)


1-      INT/JOUR – Cage d’escalier vieil immeuble

Paris, à notre époque, un matin, entre deux saisons, sans doute à la sortie de l’hiver.

Au deuxième étage d’un immeuble sans ascenseur, une vieille dame – octogénaire – sort de chez elle. Un petit sac en toile tenue par la main gauche, elle ferme de l’autre main sa porte à clé et s’apprête à descendre les marches de l’escalier. A peine s’est elle retournée qu’elle sursaute au passage d’une fillette – 9 ans – qui la frôle en dévalant l’escalier depuis l’étage supérieur.

La fillette

(S’arrête entre deux marches, se retourne, la main sur la bouche)

Ah, pardon madame…

La vieille dame

(Gentiment, voix enrouée)

Bah, c’est rien ça va…

(Sourire large et tendre)

Mais méfie-toi donc, tu pourrais te casser la binette à dévaler comme ça…

La fillette

(Rapidement, détalant immédiatement)

Oui d’accord…

Le sourire de la vieille dame se fait moins éclatant, ses yeux se baissent légèrement.

Bruit sourd de la porte d’entrée de l’immeuble qui vient de se refermer.

La veille dame

(À elle-même, amusée, mais amère)

« Oui d’accord »… t’as raison mémé

Elle tousse et se racle légèrement la gorge en fronçant les sourcils.

La veille dame

(Réajustant son foulard, à elle-même)

Et voilà je suis bien parti pour ne plus avoir de voix moi… il ne finira jamais cet hiver…

Jeune femme

(Appelant, en off)

Chloé !!!

(À elle-même)

Quelle furie…

La vieille dame regarde à travers la cage d’escalier vers l’étage du dessus. Bruit de porte claquée puis fermée à clé. Une jeune femme descend et se rapproche d’elle.

Jeune femme

(En descendant, à la vieille dame, souriant)

… excusez-là, ma sœur est un peu… intenable…

La vieille dame

(Petit geste de la main)

Et c’est bien normal, vous en faites pas… j’ai eu son âge vous savez ! (clin d’œil) Ah ça paraît dur à croire hein… vu qu’aujourd’hui pour descendre l’escalier à cette vitesse, à part si quelqu’un me pousse 

La vieille dame rit, accompagnée par la jeune femme, qui se force tout de même un peu.

 

La jeune femme

(Regard vers le bas)

Elle doit m’attendre…

(S’éloignant)

Bon, ben alors bonne journée !

La vieille dame  

Oui, d’accord… 

Elle regarde la jeune femme s’éloigner.

 

2-      EXT/JOUR – Façade vieil immeuble

La vieille dame apparaît dans l’encablure de la lourde porte en bois de son immeuble, chétive elle semble peiner à tirer la porte vers elle. Le bruit de la rue s’impose à mesure qu’elle ouvre la porte. Des hommes et des femmes dont on ne voit que les jambes et les torses passent rapidement sur le trottoir devant elle sans la remarquer. La veille dame sort finalement, la porte massive claque derrière la faisant à nouveau sursauter légèrement. Elle lève les yeux pour observer un ciel globalement dégagé. Elle réajuste le col de son manteau puis son foulard.

Elle n’a pas vu s’impatienter un livreur, oreillette Bluetooth qui clignote vissée à son oreille, une plante magnifique à la main, un petit papier dans l’autre, et qui attend qu’elle s’écarte pour pouvoir faire le code.

La vieille dame

(Au livreur)

… ah pardon… je ne vous avais pas vu…

(Elle écarquille les yeux devant les fleurs)

Oh…

 

Le livreur

(Il échoue avec le code, baragouine)

Merde… c’est pas ça… qu’est-ce qu’elle a noté…

La veille dame

(Qui n’en rate pas une miette)

C’est… pour ?

Le livreur

(Voix qui porte, rapide)

Meinard… c’est ça… ou Meirard…

Il lui tend le papier mais elle n’a pas besoin de lire.

La vieille dame

Oui, Meisnard, Elisabeth et Paul…

Le livreur

Moi j’ai une Caroline…

La veille dame

Oui c’est l’ainée des Meisnard ! Vous ne l’avez pas vue ? Elle vient de passer !

Le livreur

C'est-à-dire je ne sais pas qui c’est moi Madame…

La vieille dame

Oui, naturellement, je suis idiote… Vous l’avez raté de peu… mais il doit y avoir sa mère ! C’est au 3ème la porte tout de suite à gauche…

(Regardant la plante, petit coup de coude au livreur)

…juste au-dessus de chez moi, au cas où vous en auriez un autre dont vous ne savez pas quoi faire ! On ne sait jamais ! 

(Elle rit, il lui fait un sourire forcé)

… tenez je vais vous le faire le code…

Le livreur recule légèrement, elle tend la main pour faire son code et commence à pousser péniblement la porte. Le livreur pousse à sa place, sans peiner.

Le livreur

(disparaissant dans l’immeuble)

Merci beaucoup ma p’tite dame !

La vieille dame

(Un peu vexée)

P’tite dame, p’tite dame… il n’est pas gonflé celui-là tiens… à un mètre près elle fait sa taille la p’tite dame…

Elle s’éloigne lentement sur le trottoir, frôlée régulièrement par des Parisiennes et des Parisiens bien plus pressés qu’elle et qui la contournent sans la remarquer. Elle disparait à un angle de rue, comme avalée par la ville.

 

3-      INT/JOUR – Caisse supérette de quartier type Franprix

La vieille dame pénètre à l’instant à l’intérieur de sa supérette habituelle, elle se dirige le long des caisses et d’un pas décidé vers l’autre extrémité du magasin. Elle reconnait la jeune femme et sa petite sœur croisées plus tôt sur son palier d’appartement. A leurs pieds à toutes les deux, un panier rempli à ras-bord. On entend en fond les bips du passage des produits en caisse.

Un vendeur

(À la jeune femme, désignant une bouteille de champagne d’une marque prestigieuse)

Celle-là ?

La jeune femme

Oui, très bien… c’est parfait…

Un vendeur

(Lui tendant la bouteille et refermant la vitrine à clé)

Et voilà…

La fillette tire sur la veste de sa grande sœur en voyant s’approcher la vieille dame. Elle tient comme un sésame un paquet de bonbons serré contre elle. La fillette fait un large sourire à la vieille dame en réponse à un petit salut de la main.

La jeune femme

(Réagissant à la pression de sa sœur, le champagne à la main, à la vieille dame)

Ah tiens, décidemment !

Petit temps, la vieille dame regarde la bouteille de champagne.

La vieille dame

(Les yeux pétillants)

Je ne vous quitte plus ! Une heureuse nouvelle ?

La petite fille

Ma sœur elle se marie !!!

 

La jeune femme

(Souriant)

Voilà !

 

La vieille dame

(Elle écarquille les yeux, grand sourire, lui prenant la main)

Oh ! Mais c’est formidable ça ! Il en a de la chance !

La jeune femme

(Rire)

Ça je ne sais pas ! Je me fiance pour le moment, c’est la période d’essai !

La petite fille

(Regardant sa grande sœur étonnée)

Ben si c’est clair qu’il a trop de la chance !

La jeune femme et la vieille dame éclatent de rire, la vieille dame passe sa main dans les cheveux de la petite fille qui sourit, rougissante, se dandinant légèrement, son paquet de bonbons contre elle.

La vieille dame

La sagesse des plus jeunes… Alors toutes mes félicitations ! Je ne veux pas vous retarder, il faut que vous alliez mettre cette bouteille au frais…

La jeune femme

(Commençant à vider son panier sur le tapis de la caisse la plus proche)

Merci… merci beaucoup…

(Posant la bouteille)

Mes futurs beaux parents n’arrivent que ce soir… elle aura le temps de refroidir !

La vieille dame

(Lui prenant le bras, bas)

Profitez, profitez, ce sont vos plus belles années vous savez, savourez chaque instant !

(Un temps)

Pourquoi je vous dis ça, je vais vous déprimer moi !

 

La jeune femme

(Souriant)

La sagesse…

La veille dame

(Rire)

…des petites vieilles !

Les deux rient, suivis par la petite fille.

La jeune femme

(Levant le doigt)

Non ! Je ne me serais pas permise !

 

La jeune femme

(Lâchant le bras)

Allez, profitez…

La veille dame s’éloigne dans le fond du magasin et se retourne vers la jeune femme et sa petite sœur qui ne la voient pas, affairées à la caisse. Son sourire s’efface sur son visage.

4-      INT/JOUR – Entrée appartement vieille dame

Dans l’entrée d’un petit appartement, bruit de clé assez long, la porte s’ouvre, la veille dame rentre avec son sac à peine rempli. Elle ferme la porte derrière elle, pose son sac, puis suspend sa veste à une patère sur la porte.

Elle reprend son sac et s’avance ensuite vers la cuisine en se raclant un peu la gorge.  

5-      INT/JOUR – Cuisine appartement vieille dame

La vieille dame dépose une à une ses emplettes sur le plan de travail de sa petite cuisine, un sachet de deux tranches de jambon de Paris, un sachet de pommes de terres, deux  clémentines.

Elle ouvre ensuite un placard, en sort une grande casserole qu’elle remplit à ras-bord d’eau et porte avec difficulté vers une plaque de sa gazinière. Elle secoue ensuite son poignet endolori par le poids et s’assoit à une petite table en formica. Elle souffle et regarde autour d’elle.

Le son du tic tac d’une horloge suspendu au-dessus de la porte de la cuisine vient habiter celle-ci. Il est 11h. Des bruits de pas rapides dans l’escalier. Une porte qui se claque. Un rire d’enfant. Un klaxon.

La veille dame saisit un cahier de mots mêlés ouvert sur la table, déjà à moitié complété. Elle jette à nouveau un œil autour d’elle. Son regard se pose sur un petit arrosoir posé dans son évier. Elle se lève et sort de sa cuisine.

6-      EXT/JOUR – Façade vieil immeuble

Une fenêtre s’ouvre au deuxième étage. La vieille dame passe la tête et tâte de la main les deux pots de géranium suspendus à son petit balcon, tournés vers l’intérieur. Elle recule laissant la fenêtre entrouverte.

7-      INT/JOUR – Séjour appartement vieille dame

La fenêtre entrouverte sur la rue dans son dos, la vielle dame traverse son séjour pour retourner à la cuisine. Elle marche en passant sur un coin de tapis surélevé. Elle s’apprête à passer son pied pour le remettre quand un cri dans la cage d’escalier retient son attention.

8-      INT/JOUR – Cage d’escalier vieil immeuble

 

Une femme  

(Hurle, off)

Chloooé… attends-moi j’ai dit !!!

La petite fille déboule dans l’escalier comme une furie et passe devant la porte de la vieille dame.

Une femme  

(Off)

Caro ta sœur est une grande malade…

On reconnait le rire de la jeune femme. Claquement de porte. La femme, leur mère donc, passe à son tour devant la porte de la vieille dame.

 

9-      INT/JOUR – Cuisine appartement vieille dame

La vieille dame ferme le robinet de l’évier de la cuisine. Le petit arrosoir est plein. Elle le pose sur la table et jette un œil à la casserole, puis à l’heure. 11h07. Elle se saisit d’une boîte d’allumettes, hésitante, mais la repose finalement. Elle reprend ensuite le petit arrosoir et se dirige vers son séjour.

En off, provenant du séjour, petit cri, bruit de choc sur le sol et d’eau qui se déverse, suivi immédiatement d’un gros choc, d’un léger craquement et d’un râle.

Au bout d’un instant le tic tac réinvestit la cuisine. 11h08.

10-   INT/JOUR – Séjour appartement vieille dame

On découvre le coin de tapis retourné et dans le prolongement la veille dame étendue de tout son long, le bassin tordu, le bras allongé à quelques centimètres de l’arrosoir renversé en bordure de la fenêtre toujours entrouverte. L’eau achève de se déverser de l’arrosoir. Plus un bruit.

La vieille dame essaye de bouger, elle ramène tant bien que mal son bras. Par contre son visage se tord de douleur tandis qu’elle tente de replacer son bassin. Un hématome léger semble se dessiner sur son front.

La vieille dame se racle la gorge et essaye de crier, en vain.

La vieille dame 

(Essayant de se relever légèrement, voix enrouée, peu sonore)

S’il vous plait… est-ce que…

(Elle se racle la gorge à nouveau, douloureusement)

Est-ce que… oh non…

(Se rendant compte qu’elle est parfaitement inaudible)

...à l’aide.

La vieille dame se laisse retomber totalement. Elle essaye de taper avec son pied, mais ce mouvement lui fait mal, son visage se crispe. Elle ne parvient qu’à émettre un son très diffus.

Elle retente alors de crier mais n’émet presque plus le moindre son. Seul un râle guttural léger. Les yeux de la vieille dame s’écarquillent.

Le tic tac de l’horloge de la cuisine vient s’immiscer dans la pièce, suivi du son de la rue qui reprend ses droits. Rire, portière de la rue, sifflement. La vieille dame roule les yeux et son regard s’arrête sur son téléphone fixe, posé sur un guéridon à proximité de son fauteuil. Hors de portée.

11-   INT/JOUR – Cuisine appartement vieille dame

La casserole d’eau. Le cahier de mots mêlés ouvert sur la table. Tic tac de l’horloge. 11h23

Claquement de la porte d’entrée de l’immeuble.

12-   INT/JOUR – Cage d’escalier vieil immeuble

La femme passe devant la porte de l’appartement de la vieille dame, suivie quelques instants après de sa fille, la fillette, qui s’arrête brusquement à l’étage de la vieille dame pour tendre l’oreille. Comme si elle avait entendu quelque-chose.

Elle regarde la porte de la vieille dame. Il n’y a aucun bruit.

Bruit des clés dans la serrure. La fillette monte rejoindre sa mère. Claquement de porte.

13-   INT/JOUR – Séjour appartement vieille dame

La vieille dame a entendu la porte se refermer. Elle baisse les yeux. La couleur de son hématome au front s’est assombrie. Sa respiration est haletante. De temps à autres elle essaye de pousser un râle un peu plus fort mais n’en trouve pas la force. Un léger vent provenant de la fenêtre entrouverte non loin d’elle lui caresse les cheveux.

Le bruit de la rue s’évanouit pour laisser place à nouveau au tic tac lancinant de l’horloge.

14-   INT/JOUR – Cuisine appartement vieille dame

La casserole d’eau. Le cahier de mots mêlés ouvert sur la table. 16h53. Bruit de pas dans les escaliers. Claquement de porte. Tic tac de l’horloge. 18h10. Rire. Bruits de pas à l’étage du dessus. Grincement de porte. Aboiement d’un chien. Tic tac de l’horloge. 20h22.

15-   INT/JOUR – Séjour appartement vieille dame

Le soir est tombé. La vieille dame n’a plus bougé d’un millimètre. L’hématome sur son front a fortement enflé, il est noir et jaune. Elle a les yeux à demi clos, la bouche entrouverte d’où provient un râle léger et régulier. Un filet de lumière provenant de la rue éclaire son visage.

On entend une sirène venir de loin. La vieille dame rouvre les yeux avec difficulté. La sirène s’approche. La vieille dame ouvre les yeux un peu plus au prix d’un effort. Mais la sirène ne s’arrête pas, et s’éloigne rapidement. Une larme coule le long de la joue de la vieille dame tandis qu’elle plisse à nouveau les yeux.

Bruits de pas dans l’escalier, on discute. Les bruits passent devant sa porte. S’arrêtent, repartent.

Un homme  

(Voix grave, off)

Mais puisque je te dis que c’est au troisième…

Une femme

(Off)

Chuuuuut ! Enfin Bernard… quelle discrétion j’te jure !

Les bruits de la rue s’estompent. Le tic-tac de l’horloge retrouve à présent toute sa place. La nuit s’est installée. La vieille dame a réussi a tourné la tête un peu plus sur le côté. Elle semble regarder vers la fenêtre. Ses yeux sont humides, presque vides. Son râle est encore plus léger.

On découvre qu’elle fixe en fait un petit cadre fixé au mur, une photo en noir et blanc, un peu passée. Elle représente une mariée et son époux. Tous les deux sont jeunes, magnifiques.

Bruit off : bouchon de champagne qui saute. Quelques interjections et quelques applaudissements.

Les yeux fixés sur la photo, la vieille dame esquisse un sourire.

La veille dame 

(Murmure très léger)

Champagne…

Puis elle ferme les yeux.

Titre et début du générique.

16-   EXT/JOUR – Façade vieil immeuble

Le lendemain matin.

Une autre vieille dame. Elle débouche de l’angle de rue, celui qu’on emprunte pour aller à la supérette. Elle remonte lentement un petit caddie de courses. Des Parisiennes et des Parisiens la contournent en passant pressés, en la frôlant parfois.

Cette vieille dame s’arrête au pied de l’immeuble pour souffler et réajuster son foulard. Puis elle poursuit sa progression sur le trottoir et disparaît derrière nous.

Fin du générique.

FIN

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