chap 3 Au grè des regards l'inconnu du métro

fanche

suite cette fois ci le père de famille goute au joies du transport urbain

Je suis à l'endroit précis où les courants d'air se croisent, pas vraiment à l'extérieur, pas encore sur le quai. Un endroit indécis. La rame que je viens sûrement de rater, perturbe l'équilibre en me jetant au visage une multitude d'odeurs caractéristiques.

J'aime le métro, cet endroit là, où se mélange les senteurs de l'extérieur, et la puanteur des entrailles métropolitaines.  Je comprend à ce moment pourquoi on appelle cela une bouche, car elle ingurgite les voyageurs qui vont emprunter les wagons le temps d'un voyage nocturne. Puis elle vomit aussi ceux, pressés par une correspondance, le travail, la vie, un autre métro. Mais elle est aussi l'endroit par lequel il respire.

J'aime moi aussi emprunter, à ma façon, le métro après ma journée de travail. Car pour moi c'est vraiment un emprunt, je lui emprunte ce moment de détente qu'il m'offre tandis qu'il me berce au rythme des stations, du peuple qui l'habite.

Le quai est mystérieusement vide, un calme qui dérange, qui ne rassure pas. Les gens qui prennent le métro n'aiment pas le silence, ils leur faut du mouvement, de la bousculade, des rames bondés. Sinon ils sont méfiants, suspectant une entourloupe, une grève. Moi je savoure tout, cela me détend. Je suis friand des tumultes des heures de pointes comme du calme intriguant des heures tardives.

Je n'ai pas toujours eu besoin de ce moment, interlude entre mon monde du travail, et le monde familial.  J'ai eu la chance à l'issue de mes études de rencontrer Monsieur Gilles.

Un courtier en assurance qui possédait sa propre boite, familiale. Entre nous ce fut un coup de foudre, professionnel. Il m'embaucha. La petite entreprise comptait neuf employés que monsieur gérait comme un patriarche. Bien sûr il y avait du travail, mais l'important c'était les relations entre nous. À cette époque, pas de resto seul le midi, de métro pour décompresser, de lassitude. De ces neuf personnes, je suis le seul rescapé.

Monsieur Gilles a rejoint le paradis des assureurs, fidèlement accompagné par sa secrétaire. Anne-Julie était la secrétaire de tous, tous nous pensions qu'elle était aussi son amante. On ne l'a jamais su et qu'est-ce que cela aurait changer? J'ai oublié les autres, car le temps à passé. Et comme le temps passe et change, la société à évoluée. Monsieur Gilles avait un fils, qui à rejoint la société avec une vision plus moderne, aux dents longues. 

Il lui a passé tout doucement les rênes, comme on dit dans le jargon des présidents directeur. Doucement, sans faire de bruit, le fils a attendu son heure. Cette heure fatidique où monsieur Gilles, déjà fatigué et lassé par la longitude de son existence, ira se fracasser au bas d'une falaise. Anne-julie à ses coté. 

Rendez-vous d'affaire! De toute façon en homme intelligent qu'il était, il avait compris bien avant nous que sa société n'étais plus la sienne. Il faisait bonne figure, et tâchait, pour nous, de reculer l'échéance. Tenant encore son fils en laisse, lui expliquant les vertus d'une société aux dimensions familiales.

Son fils, nous a laissé deux jours pour faire notre deuil. Pour son père et pour la société. Puis lors d'une réunion, il nous expliqua ses valeurs, enfin celles d'une société capitaliste. Fini le copinage entre employés, il voulait du chiffre, fini de considérer les clients comme appartenant à la famille. Il voulait leurs économies et même l'argent qu'ils n'avaient pas.

J'ai appris avec étonnement comment jouer avec de l'argent que l'on ne possédait pas, l'ère du virtuelle, les gagnants, les perdants, moi au milieu, les mensonges et même la satisfaction d'une prime à la fin du mois , pour le plus grand bonheur de ma femme.

J'ai appris le regret de quelqu'un, de ses valeurs. Que l'on pouvait se corrompre juste parce que quand on a charge trois enfants, on ne peut concilier satisfaction au travail et argent. En tout cas pas moi.

Ma vie professionnelle devint, au nom de la bourse, de ma bourse, la pâle copie de ma vie familiale, de ma vie sentimentale. Un placement virtuel, basé sur quelque chose qui n'existait, des parts sociales au rendement sûr, et un pourcentage d'actions  à risque... 

Je ne sombrais pas dans la dépression, ma femme et mes enfants étaient heureux et ignoraient, m'ignoraient, ce changement qui pour eux était bénéfique. Mon épouse ayant eu aà maintes reprises le même discours que le fils de monsieur Gilles. et les enfants, leur argent de poche, leurs vêtements à la mode, leur consoles, leur vie, leur...

Alors tous le monde a oublié l'ancien régime et son roi. Même moi, pendant un moment. J'ai mis en place des routines pour continuer à vivre, le café, le métro et....

La rame arriva dans un sifflement, rapide. Les portes s'ouvrient, pour m'accueillir. J'y entre comme dans une femme qui s'offrirai à moi sans pudeur. Le métro est vide, j'ai le choix pour la place.

Au moment où les portes émettent leur bip annonçant leur fermeture, un homme entre en trombe.

Je ne le vois tout d'abord que de dos, il soupire, fait des gestes, en bas, en l'air. Il me rappelle la fille du café. puis il se retourne. Ses yeux. Je suis happé, bouleversé, apeuré, un peu. Il a le regard fixe, vide, concentré sur ses gestes précis.

En trois pas, il est à ma hauteur, je suis noyé dans son regard, et ne vois rien d'autre que ces yeux noisette. Je ne saurai dire quel vêtement il porte, blanc je crois. Même les traits de son visage. Je fais le rapprochement avec l'inconnue de la porte.

Il me saisit, impuissant je ne bronche pas, sa main me fait l'effet d'une piqure. Puis, il se retourne à nouveau et repart dans ses gestes. Je sens que la rame s'est mise en branle, les soubresauts que l'inertie imprime a mon corps en sont le signal. Mais je ne suis pas vraiment dans ce métro, j'ai ce même sentiment qu'avec les deux autres inconnus, d'être a leur merci, inerte. Je ne suis plus sûr, leurs yeux c'est autre chose, la bouche pâteuse d'un lendemain de soirée trop arrosé, la tête et le cerveau amidonné, une fatigue, peut être cette dépression que je fuit depuis si longtemps.

Enfin, le crissement des roues sur les rails, le métro s'arrête, sans bruit, l'homme ressort comme il est entré.

La sonnerie des portes me tire de ma léthargie, je suis à nouveau sur le quai. Je ne me souviens pas être descendu. Tout est calme. Pour une fois le voyage n'a pas été à la hauteur. 

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