CHAP 4 Au grè des regards
fanche
Je suis devant le parc, ce parc, mon parc. Je regarde avec respect son grand portail, d'un vert pali par le temps, le soleil et la pluie. une érosion qui me rappelle que j'ai la quarantaine. De toutes époques je suis venue dans ce parc, il est le témoin secret de mes joies, de quelques peines, de mes solitudes. J'y reviens souvent depuis quelques temps.
J'hésite à rentrer, il semble vide. comme si les gens avaient décidé subitement de ne plus prendre des moments de plaisir, flâner sur ces sentiers. S'oublier sur ses lits de verdure en bordure de son lac.
Coin rêvé des joggeurs et joggeuses, pour le plus grand plaisir des fainéants posés sur leur séant à la faveur des bancs publiques. Exact reflet de la chanson, les amoureux s'y bécotent en se foutant pas mal du regard des passants.
Mais tout cela, il n'y a pas. Pas de bambin en vélo avec un parent qui lui court derrière, pas de jeunes en bande qui défient les lois de l'apesanteur sur leur planche à roulette, pas de jeune parent fier de pousser une poussette où dort paisiblement un bambin, pas de vieux appuyés sur leur cane, vocifèrant contre une jeunesse décadente, pas de bruit, pas d'oiseau qui gazouille. Le parc semble endormi. Peut être l'heure tardive, peut être... Non ... Je ne sais pas, plus...
Alors que je franchis l'immense portail d'entrée, je sens le regard des deux têtes de lion qui surveillent. Elleq veulent me dire quelque chose. Souviens-toi, peut-être? Dans un relent de mémoire, je me rappelle que j'ai rencontré Sabine dans ce parc. Un hasard, que je cru sur le moment, mais j'appris des années après, au détour d'une dispute, où dans ces moments là on use d'une imagination débordante pour trouver les mots les plus blessants pas forcément les plus violents, que mon ami, David n'était pas innocent.
Sabine, qui allait devenir ma femme, la mère de mes enfants, de ses enfants. Celle qui fut l'illusion du bonheur aux yeux de nos famille. Sabine, qui serait un rêve, puis un cauchemar. Si le hasard n'était pas le responsable, pour notre rencontre, nous n'avions rien planifié. J'étais ce genre d'homme qui ne ce souciait pas plus que cela d'être célibataire. je venais de perdre définitivement, un an plus tôt Fatima. J'en avais fais mon deuil. Bien sûr quelques histoires, des rencontres éphémères, des baisers volés à la faveur des soirées, un peu arrosées qui se terminaient dans un bain sexuel, parfois sensuel, sans amour ni lendemain. Mais j'étais loin de me projeter, comme certains autres de mes collègues, surtout David, la vie de famille etc.
Je me souviens bien de cette première fois, nous étions une bande de jeunes, des copains de fac, et nous allions souvent au parc pour boire une bière, flâner dans notre jeunesse, laissant décliner le jour et nos vies. Sabine faisait partie d'une bande d'étudiantes comme il en existe tant, festives, dragueuses, refaisant le monde après leur cours de psychologie. Je l'ai regardé alors qu'elle venait de perdre une chaussure. Une mise en défaut, qu'elle a exploité en m'assenant une phrase assassine sur mes priorités. N'avais-je que cela à faire? Je m'habituerai à ses phrases, elles finiraient par couler, comme des larmes sur mon corps. On s'habitue à tout!
Je l'ai trouvé belle, je crois. Nos groupes ont lié connaissance. Je n'étais pas très bavard, elle faisait le spectacle. Est-ce mon indifférence? Un coup de pouce de David à qui j'avais lâché bêtement que je la trouvait charmante? Ou autre chose? Elle est venu vers moi et m'a demandé de l'emmener ailleurs. Ailleurs était, est toujours mon endroit préféré. Nous avons flâné, dans ce parc, puis dans les rues, nous perdant, peut être. Puis nous nous sommes embrassé. Un baiser sans fougue, juste un baiser. Un baiser pour sceller un pacte. Un baiser qui ressemblera au suivant, qui se ressemblent depuis vingt deux ans.
Dans la vie, parfois tout va trop vite, de cet égarement est né un mariage dix huit mois plus tard.
Je n'ai jamais su ce qui se passa pendant cette période, un trou dans mon existence. Sabine, la tornade, me happa et je la suivi, sans rien dire. Les parents, les amis, tous étaient heureux comme elle. C'est pendant cette période que j'ai perdu le contrôle. L'avais-je jamais eu? Je suis devenu étranger à mon existence, je n'étais plus qu'un corps. J'erre depuis cette période, spectateur impassible.
Notre mariage coïncida avec la fin de mes études, pour Sabine, elles allaient durer encore trois ans. La psychologie cela ne s'apprend pas en aussi peu de temps. Je devins assureur, elle, psychologue.
La vie continua son cours, j'étais heureux en apparence, je m'en étais persuadé, je crois même que je l'aimais, un peu. Il y eu les enfants, un, deux et trois. Une histoire de virgule ridicule! Un garçon et deux filles. Mon sang coule dans leur veines à ce qu'il paraît. Je ne me reconnais pas en eux. Et eux ?
J'ai du être fier, au moins le paraitre. Mais dès leur naissance j'ai bien senti, qu'il n'étaient pas attachés à moi. Je mis cela sur mon compte, pas la fibre paternel, sûrement. J'ai essayé, je pense. J'ai néanmoins subvenu à leurs besoins, ils n'étaient en rien responsables de mes imperfections. Ils ont eu un père fantôme, au sens psychologique, j'étais présent mais tant absent, à l'image de ma vie. Je n'éprouve pas de regret. C'est comme ça! Un axiome de l'existence.
Alors nous avons continué tous ensemble sur le même chemin, moi plusieurs mètres derrière eux.
J' arrive à mon endroit préféré, le calme me fait du bien. Ressasser les souvenirs, et mes imperfections ça m'épuise. Je devrai être triste! J'observe ces flash back comme je regarde une mauvaise série.
C'est un endroit du parc discret, plusieurs bancs sont jetés au hasard, l'herbe est fraichement coupée. Je prend le temps de me poser sur l'un des bancs. Je m'allonge et ferme les yeux, espérant écouter les bruits de mon parc. Je ne pense plus à rien. Je me surprend même à essayer quelques mouvements de relaxation.
Puis, je sens que cela s'agite, plus question de calme. Un brouhaha agaçant qui ronfle en s'amplifiant. des bribes de voix. Du chahut, j'ouvre les yeux. Je fixe le ciel, j'ai les même symptômes qu'avec les derniers inconnus. Je sens les mouvements autour de moi. Une agitation, il y a du monde. Un visage s'arrête au dessus de moi, me masquant la vue du ciel limpide, visage sans expression, seul les yeux vivent.
J'ose tourner la tête, une chorégraphie s'offre à mes yeux , ils sont plusieurs, dansant autour de mon banc, certains de dos, perdus dans leurs gestes. Serais-je tombé sur une troupe de mime? Ils sont affairés, ne font pas attention à moi, me frôlent parfois. Sans un regard, j'essaye d'accrocher leurs yeux, il tournent, volent au dessus du sol. J'ai l'agréable sensation de n'être plus dans mon corps. Je regarde ce manège, tragédie dont je suis l'épicentre ignorant. Je savoure ce moment, il est le reflet de ma vie, je me sens bien, vivant.
Contrairement à tous ces inconnus, de cette journée, eux m'ignorent. Je les apprécie pour cela. Mais les bonnes choses ont toujours une fin, À deux ils viennent de se pencher sur moi, sans sourire, le visage grave. Ils se regardent, tristes. Je ne peux pas bouger, je suis inerte, malgré tous les efforts que je met en œuvre, impossible d'ouvrir la bouche.
Dans un élan ils font tous demi-tour, abandonnant la scène, sans rappel, sans salut à leur spectateur unique. Je suis en plomb. Combien de temps suis-je resté? Je l'ignore. Je referme les yeux. Je vois le visage de Sabine. Je crois que j'en suis sûr maintenant je l'ai aimé, à ma façon.
À sa façon, et les enfants......