Chapitre 1

Adèle Delahaye

C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans la voiture de la mère de Nico, le samedi des vacances, Thomas, celui qui nous a fait un marché scandaleux et moi.

Madame Dela Scalla est une femme adorable, qui a élevé son fils seule, comme mon père et celui de Thomas.

Enfin lui, on ne peut pas vraiment dire qu'elle l'a élevé. Disons plutôt qu'il l'a laissé livré à lui-même. D'ailleurs, Thomas le déteste, presque autant que sa mère (même si cette dernière a eu droit au summum de la haine). Mon ami ne parle jamais de son passé, à personne. Aujourd'hui encore, c'est trop douloureux.

La voiture poursuit sa route, nous emmenant dans un endroit qui m'est inconnu à 100%. Les arbres défilent et nous nous enfonçons dans la forêt, la lumière se faisant progressivement étouffer par les épaisseurs de feuilles.

Soudain, madame Dela Scalla freine, puis descend de la voiture. Je comprends que nous sommes arrivés. Pourtant, je ne vois rien qui ressemble à une colonie de vacances...

- Vous êtes arrivés, nous dit la mère de Nico avec un fort accent italien et en nous adressant un sourire.

Je sors de la voiture, suivi de Thomas, les jambes engourdies par le trajet en voiture.

- Merci pour le trajet, madame Dela Scalla, dis-je.

- De rien, fait-elle. (Elle se tourne vers Nico.) Conto su di per portarli vivi a destinazione, Nico. Stai attento. Odio sapere che sei in pericolo. Inviami un massaggio quando sei arrivato, ok ?

Je ne parle pas un traître mot d'italien, alors comprenez que je suis totalement largué.

- Mamma, dit Nico à son tour, ti ho già detto venti volte che i cellulari attirano tutti i mostri e che se ti mando un messaggio morirò sicuramente. Quindi no, nessun messaggio. Ma lo prometto, starò attento.

Madame Dela Scalla soupire (Nico est exaspérant, je suis d'accord avec vous madame) puis fait :

- Almeno aiuta i tuoi amici a tirare fuori i bagagli dal bagagliaio. Non ti ho cresciuto così.

Nico lève les yeux au ciel puis dit :

- Salut maman ! A la prochaine fois !

Il se tourne vers nous et nous fait signe de le suivre. Il ouvre le coffre et sort nos bagages. Je ne sais pas pourquoi, mais il nous avait dit de ne prendre qu'un seul sac à dos, et j'ai suivi son conseil. Le sien semble vide, et je ne comprends pas pourquoi.

La voiture s'éloigne, puis Nico nous dit :

- Bien ! On est presque arrivés, mais on va devoir finir le trajet à pied.

- Tu viens souvent à cette colo ? demandai-je, peu après que nous nous soyons mis en marche.

- A chaque période de vacances, répond le concerné. C'est là-bas que je suis le plus en sécurité. Enfin même le seul endroit où je le suis...

Thomas rigole, puis questionne :

- Qu'est-ce que tu crains tant ? Le poignard, la colonie de vacances et tout.

- Les monstres. Je les attire.

Je ne saurais dire pourquoi, mais j'ai la désagréable impression qu'il ne ment pas. Sauf que c'est impossible d'attirer les monstres... Non ? Nico hausse les épaules, puis ajoute, à la vue de nos têtes ahuries.

- Vous comprendrez.

Thomas se retient visiblement d'éclater de rire.

- Accélérez, nous dit finalement notre guide en jetant un coup d'œil inquiet derrière lui.

Il se met à trottiner et je le suis (ployant comme un âne sous le poids de mon sac à dos, bien trop chargé). Soudain, Nico s'arrête.

J'essuie d'un revers de main la sueur de mon front. J'avoue ne pas être rassuré : je suis dans une forêt sombre avec un type qui "attire les monstres" et mon meilleur ami, le gosse le plus irresponsable du monde (qui, entre nous, est aussi le moins discret).

Nous sommes donc immobiles, attendant un signe de Nico qui nous dirait de repartir.

Soudain, j'entends un craquement dans le buisson derrière moi. Je me retourne d'un bond et saisis au passage une branche (on sait jamais). Un garçon émerge du buisson (heureusement que j'ai fait gaffe, j'étais sur le point de le taper), vêtu d'un accoutrement du moins inhabituel : une armure grecque.

- Beau réflexe ! s'exclame t-il avec un sourire chaleureux. Alors, Nico, on ramène des demi-dieux sans prévenir ? Tu sais que Rainbow aurait pu les bouffer ?

Le garçon est blond et son visage est couvert de suie. Une cicatrice est visible sur sa jambe gauche (une lame ?). Il est très grand et je n'aimerais vraiment pas avoir à l'affronter. Ses mains sont couvertes de bandages et je remarque qu'il tient une épée dans sa main droite (rien pour me mettre en confiance).

Mais vraiment, pourquoi j'ai accepté cette invitation ?

- Ouais, répond Nico en regardant ses pieds. Je sais.

Pour une fois, il semble douter. Il se tourne vers nous, puis dit :

- Les gars, je vous présente Julian.

- Enchanté, dis-je en tentant tant bien que mal de ne pas faire attention à l'épée. Je m'appelle Jason.

Julian sourit, amusé (je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle).

- Salut, Jason ! s'exclame t-il.

- Moi c'est Thomas, se présente mon ami à son tour.

- Bienvenue à vous, les mecs ! fait Julian avec un sourire. Venez, je vais vous présenter la colonie des sang-mêlés.

- Des sang-mêlés ? questionnai-je en fronçant les sourcils.

- Et ouais, les gars. Vous êtes des demi-dieux !

- Demi-dieux ? demande Thomas comme si Julian parlait chinois.

- Absolument. Venez, on va découvrir les rejetons de quel dieu ou déesse vous êtes.

Je crois que j'ai raté une bonne dizaine d'épisode, là...

- Quel parent vous est inconnu ? nous demande Julian.

- Ma mère, répond Thomas en serrant les poings.

- Ma mère aussi, dis-je à mon tour, sans comprendre l'utilité de cette information.

- D'acc, fait Julian. Venez avec moi.

Il se met à marcher, et nous le suivons (je commence vraiment à sentir mes jambes). Deux ou trois minutes plus tard, nous débouchons dans une clairière verdoyante. Au milieu, je vois une bonne centaine de Mobil-Homes, presque tous colorés.

Presque autant d'ados sont en train de déambuler dans le camping, par groupes. Ils ont presque tous un tee-shirt orange et une arme à la main, et je pense de plus en plus à rentrer chez moi.

J'aperçois un mur d'escalade (attends, c'est de la lave qui coule ?), un lac qui semble être fait pour du canoë-kayak, un réfectoire extérieur (comment font-ils lorsqu'il pleut ?) et une maison, plus grande, qui doit être celle de l'administration, l'accueil.

Julian nous mène vers un petit amphithéâtre, au centre duquel brûle un beau feu (on est en juillet !).

Une fois arrivés, il saisit un... Cors de chasse ? Et souffle dedans. Les ados, en contrebas, lèvent tous la tête et se dirigent vers nous.

Les premiers arrivent et s'installent. Nico, Julian, Thomas et moi sommes toujours debout.

Dix minutes plus tard, tous les autres demi-dieux (merci Julian pour l'info) son réunis, assis, et ont les yeux rivés sur nous.

Sentir tous ces regards braqués sur moi me met un peu mal-à-l'aise. En plus, je n'ai vu qu'un seul adulte s'assoir.

Julian s'éclaircit la gorge puis s'exclame :

- Merci à tous d'être venus ! Je ne vais pas vous remercier pour votre spontanéité, ce serait vous mentir...

Certains rires se firent entendre.

- ... Mais merci quand même. Vous êtes là pour assister à la Reconnaissance de Jason...

Il me montre d'un geste de la main, puis fait pareil avec Thomas.

- ... Et celle de Thomas.

Je n'avais pas fait attention auparavant, mais une petite fille d'environ 8 ans est assise à côté du feu. Elle porte une robe marron et ses cheveux sont roux, lâchés sur ses épaules. Attentive et silencieuse, elle nous observe.

- Dame Hestia, dit Julian en s'agenouillant devant la petite fille, je vous laisse faire la suite.

Hestia ? C'est pas la dame du feu chez les grecs ou un truc du genre ?

- Merci, Julian, dit-elle. Jason, Thomas, approchez.

J'obéis, et mon ami aussi (même si je lis dans ses yeux la désapprobation). Julian se relève.

- Ô, dieux ! Ô déesses ! s'exclame "Dame Hestia". Reconnaissez ces enfants comme les vôtres s'ils en sont ! La famille est la chose la plus sacrée.

Elle ancre ses yeux, flamboyants (mais chaleureux) dans les miens, et je me sens transporté ailleurs...

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