La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 1 : Le Neptune

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Le temps est encore très menaçant, mais le voyage ne peut être repoussé d'avantage. L'équipage est dans l'attente depuis trop longtemps déjà, et la cargaison ne patientera pas. Elle doit être livrée. Le Neptune stationne dans le port depuis plus de huit jours, et le vent n'a pas cessé de souffler. Une décision est à prendre. Le capitaine juge qu'il n'est pas dangereux de prendre la mer, mais Josh hésite.

Cela fait des jours qu'un orage frappe la ville. Un ciel obscur chargé de nuages noirs, de violentes rafales qui gonflent les vagues, une mer en furie qui se creuse jusque dans le port, des éclairs aveuglants accompagnés du fracas du tonnerre, des averses épisodiques et denses… Rien de reluisant. Une fin d'automne particulièrement rude, aux intempéries violentes comme jamais la ville n'en a connu…

 

Cette masse nuageuse que Josh voit à l'horizon ne le rassure pas. Elle annonce de nouvelles pluies ininterrompues. Ce n'est pas bon signe. Le commerçant n'est pas contre repousser encore un peu le départ. Il ne veut pas prendre de risque, quoi qu'en dise le capitaine du Neptune. L'homme a beau se dire expérimenté, pour cette fois, Josh se fie à son intuition plus qu'aux certitudes du marin.

Pourtant, son associé, Marc Nankaz, n'est pas du même avis que lui. Il veut appareiller le plus tôt possible. Il juge qu'ils perdent bien trop d'argent à attendre que le temps se calme. Car ces huit jours d'attente ont été payés à l'équipage, et leur client ne veut pas débourser la somme convenue si la cargaison arrive d'avantage en retard.

Néanmoins, Josh estime que la perte de ce contrat ne vaut pas de mettre en danger la vie des passagers et de l'équipage du Neptune. Et maintenant qu'il va être père, il ne veut pas prendre le risque de ne pas pouvoir rentrer auprès de sa bien-aimée. Inarah a besoin de lui. Et sa nièce aussi. Sarah a déjà perdu ses parents, elle ne doit pas perdre son oncle.

 

Le marchand observe les nuages monter vers les Montagnes du Grincheux pour s'y accrocher. La barrière rocheuse les empêche d'aller plus loin, les bloquant au-dessus de la ville. Le ciel devient de plus en plus sombre et le tonnerre ne tardera pas à gronder, faisant trembler toute la cité. Puis, la pluie va s'abattre, dense, en grosses et lourdes gouttes, comme un rideau. Avant que ça s'éclaircisse un peu et que le schéma recommence. C'est comme ça depuis des jours.

Josh hésite. Son associé n'a pas tout à fait tort. Ce contrat est important pour eux. Ils ne peuvent pas se permettre de le rater à cause du mauvais temps qui persiste. Si le capitaine juge que ce n'est pas dangereux, Josh peut bien lui faire confiance. Après tout, c'est un marin émérite et expérimenté. Il connait son métier. Et puis, le navire est solide. Il a déjà parcouru les océans nombres de fois, tempête ou pas. Pourquoi tant douter ? Marc insiste pour prendre la mer au plus tôt et Josh ne peut pas retarder le voyage à lui seul, quelles que soient ses appréhensions.

Il s'attarde encore un peu, jette un œil à sa montre à gousset, retire son haut de forme pour passer une main dans ses cheveux. Les questions se bousculent dans son esprit. Prend-t-il la bonne décision ? Finalement, plus résigné que réellement décidé, le commerçant finit par monter à bord du Neptune. Marc n'attendait que ça. Il fait aussitôt signe au capitaine : l'ancre est levée et le bateau quitte le port.

L'équipage s'affaire tout autour de lui. Cependant, Josh ne parvient pas à quitter Félinin et la Baie des Oies des yeux. Bientôt, ils auront passé l'île inhabitée du Solitaire et le Cap du Vigilent à sa pointe Sud. De là s'étend l'océan infini jusqu'aux Grandes Îles du Large.

La ville et le port brillent dans l'obscurité, les lampadaires allumés sont comme de petites lucioles sous ce temps sombre. L'homme regrette presque de devoir prendre la mer. S'il avait pu rester auprès d'Inarah, il l'aurait fait. Mais son associé et lui ont prévu ce voyage depuis des mois. Il ne peut s'y soustraire.

 

Ils ont quitté Félinin depuis quelques heures, prenant route vers l'Ouest et le grand large. Une mer sombre, des vagues déchainées et des nuages noirs à perte de vue. L'appréhension de Josh ne fait que s'accroître. D'autant qu'il voit les matelots paniquer à l'idée que la grande voile se déchire à cause du vent violent. Le mât résiste encore tant bien que mal, mais les craquements lugubres qui parcourent le bâtiment n'ont rien de rassurant, bien au contraire. Pas plus que les vagues immenses qui viennent faucher les marins sur le pont par intermittence. S'il n'y avait pas cette corde à leur taille pour les retenir, ils passeraient par-dessus bord.

La houle se fait plus forte à mesure qu'ils avancent, les vagues plus hautes et plus profondes. Et la tempête grossit. Les nuages sont zébrés d'éclairs, la pluie s'est mise à tomber à flot et la faible lumière du jour a été avalée par cette obscurité presque nocturne. Le capitaine doit certainement manger sa barbe, ou ronger ses ongles, d'avoir été si confiant à l'idée de prendre la mer maintenant qu'elle se retourne contre lui.

Le Neptune essuie de nombreuses vagues qui manquent toutes de le faire chavirer. Les marins réussissent avec peine à plier les voiles pour qu'elles ne se déchirent pas. Marc tremble comme un gamin dans sa cabine tandis que Josh assiste à la tempête sur le pont, maigrement abrité par la structure du gaillard arrière et de la dunette.

Soudain, il discerne quelque chose à l'horizon. Il croit un moment que c'est un mur qui se dresse en pleine mer, devant le navire et sa trajectoire hasardeuse. Mais à mesure qu'ils approchent, Josh se rend compte que c'est une vague, une vague haute comme jamais il n'en a vu jusqu'alors.

La vague grandit à vue d'œil. Elle est impressionnante, surplombant bientôt le bateau, qui doit sembler bien minuscule dans son creux. Les marins sont tendus, anxieux. Tous savent ce qui va arriver. Josh ne parvient pas à quitter cette vague immense des yeux. Il ne doit pas être le seul. Sur le pont, tout s'est brusquement figé. Même l'aiguille de sa montre dans la poche de son veston semble s'être arrêtée.

Le vent siffle si fort que le marchant entend à peine son propre souffle. Ou s'est-il coupé à la seule vue de ce mur d'eau. Son regard ne parvient pas à se détourner de cette masse liquide qui les surplombe peu à peu, qui se dresse sur leur route, infranchissable. Et la seule pensée, douloureuse, qui le traverse alors est pour son épouse :

- Pardonne-moi, Inarah… chuchote-t-il au vent.

La vague monte encore avec la houle. Puis, elle s'arrondit pour tomber sur eux, venant s'écraser sur le navire et l'emportant avec elle dans les abysses…


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© Lynn RÉNIER
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