Chapitre 1 Yvan et le monde

Sergueï Bonal

roman jeunesse

Voici l'histoire d'Yvan Krauss. Comme tous les garçons de son âge, il était en pleine santé et allait à l'école du quartier. Enfin, quand il y allait, il lui arrivait très régulièrement de louper les cours pour jouer avec ses amis. Il faisait partie des élèves moyens et n'avait aucun problème particulier. Seulement il avait un secret qu'il ne devait raconter à personne, pas même aux grandes personnes, jamais. Ses parents, Lucien et Marjorie, lui avaient défendu de parler de ce problème-là, celui qui le hantait depuis toujours. Et pourquoi ne pas en parler, se demandait-il souvent au fond de son lit à réfléchir sur ce qu'il était. Oh ! il n'était pas un extraterrestre, ou un super héros, ni une expérience de laboratoire, grand dieu non ! Il n'y avait pas plus ordinaire qu'Yvan Krauss. Il était plutôt petit pour son âge et devait faire vingt kilos avec ses vêtements. Il avait de fins cheveux roux ne se coiffant pas, ils étaient toujours en bataille. Son visage, fin, allongé, donnait plus d'intensité à ses yeux vert émeraude. Il avait un visage innocent, doux, inspirant la confiance et la sympathie. Le monde qui l'entourait ne le voyait pas et il ne voyait pas le monde comme les autres.

Nous étions en 1942, le pays vivait normalement aux yeux d'Yvan qui, à force de battre les rues, en connaissait les moindres recoins. Il avait des amis avec qui il passait le plus clair de son temps, mais il sentait que quelque chose n'allait pas chez lui. Comme beaucoup d'enfants de son âge, il se posait beaucoup de questions sur les choses qui l'entouraient. Par exemple l'immense symbole qui ornait la tour Eiffel ; une immense croix noire dans un rond blanc sur un fond rouge, il ne savait pas ce qu'elle pouvait représenter. Quand il regardait certains passants, il les voyait la regarder avec une certaine anxiété. Pourtant lui ne ressentait rien et pas qu'en regardant l'immense drapeau. En fait il était dénué de sentiment : il ne connaissait pas les joies que procuraient l'amour ou l'amitié, il ne ressentait pas de colère non plus, ce qui le gênait. Il était conscient du mal qui l'habitait depuis sa naissance. Il s'y était fait, il savait qu'il ne ressentirait rien, ni amour, ni plaisir, mais juste un immense vide en lui. Il y avait cependant quelque chose de reposant : il ne se posait pas de question sur ce qu'il voulait, ce qu'il ressentait. Il avait une certaine tranquillité d'esprit, mais qui avait un prix. Aux yeux de certains il passait pour un monstre : comment pouvait-il ne rien ressentir ? Était-il comme les autres, ces hommes en costume sombre paradant dans les rues de Paris affichant des mines sinistres ? Ses parents, trop occupés à maintenir leur commerce à flot, n'avaient pas de temps à consacrer à Yvan qui errait dans les rues vêtu d'une veste qu'il portait depuis bien trop longtemps à tel point que des trous se formaient à divers endroits. Comme tout bon parisien qui se respectait, il portait un béret, qui d'ailleurs lui allait très bien car ça lui donnait un petit côté aventurier avec sa veste usée. Ô combien il l'était, il courait partout, grimpait sur tous les murs, il adorait visiter la ville, en découvrir chaque recoin. Il avait l'habitude de rejoindre ses amis près de Montmartre, d'où ils pouvaient contempler la ville. Yvan n'avait pas beaucoup d'amis, mais le peu qu'il avait lui suffisait amplement. Paul Lefèvre était son meilleur ami, ils se connaissaient depuis toujours. Chloé avait rejoint le groupe peu après Paul. Elle avait un faible pour Yvan, mais n'osait jamais le lui avouer. Chloé était une fille de l'est, avec ce visage particulier aux traits fins et pâles. Blonde avec de longues boucles, ses yeux bleus n'en étaient que plus intenses. Elle ne se souvenait plus du moment où elle était arrivée à Paris, mais elle avait cependant gardé son accent russe.

— Bonjour, Yvan, comment vas-tu ? Pardon, je ne sais pas pourquoi je te pose toujours cette question.

— Ce n'est pas grave, mais dans l'absolu, je vais, quoi dire de plus ? Que faisons-nous ? on monte tout en haut de la tour Eiffel ? suggéra-t-il en la regardant s'élever dans le ciel.


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