La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 15 : Songe Cruel
Lynn Rénier
La tempête gronde, à croire que les éléments sont en colère. Les éclairs zèbrent le ciel, les nuages noirs cachent le soleil et le vent souffle à en arracher les arbres sur la côte. La mer se gonfle de plus en plus, sombre et menaçante. Les vagues se forment, immenses, houleuses, leur crête blanche d'écume. Une pluie diluvienne tombe, crachant d'énormes gouttes grosses et lourdes comme des grêlons.
Une vague finit par venir déposer un homme sur le rivage. Avec lui, la figure de proue brisée d'un navire. Une sirène sculptée dans le bois, le trident à sa main s'est fiché dans l'épaule du malheureux. Inconscient, blessé, le visage dans le sable, la mer vient lécher sa joue d'une langue salée au rythme de la houle, sans le réveiller.
La plage semble déserte, abandonnée aux éléments déchaînés. Les falaises qui surplombe le naufragé sont escarpées, dentelées et creusées par les vagues, hautes de plusieurs mètres. Personne ne semble habiter dans les parages. La mer est maîtresse, seules la roche et une végétation sauvage se sont installées.
Le temps orageux finit par se calmer. Plusieurs jours passent sans que le naufragé ne revienne à lui. Et voilà qu'un canot accoste sur la mince plage. Deux hommes, bâtis comme des armoires à glace, en descendent pour se saisir du malheureux échoué. Ils arrachent le trident de son épaule sans vraiment veiller à ne pas le blesser d'avantage, et le charge à bord de leur petite embarcation pour regagner le continent…
Comme après un cauchemar, l'homme se réveille difficilement. Se redressant tant bien que mal, il se découvre dans une petite pièce sombre, avec pour seule lumière celle qui traverse la minuscule fenêtre aux épais barreaux perchée au-dessus de lui. En face, une grille sépare la pièce en deux. Et de l'autre côté de cette grille, une sorte de seuil où n'est posée qu'une simple table ronde au pied central, et une porte de bois épais avec une petite ouverture à barreaux. Une geôle ! Il est retenu dans une geôle !
Étendu sur une couchette spartiate, seuls une vieille couverture et ses vêtements en lambeaux pour le réchauffer, il n'y a aucun doute à avoir sur l'accueil dont on fait preuve à son égard. Il n'est pas le bienvenu. Aurait-il échoué sur la plage d'un pays inconnu, où on l'aurait pris pour un ennemi ?
Il ne parvient pas à réfléchir : une douleur sourde lui vrille le crâne et une fatigue intense transit ses membres. Il cherche à se redresser, mais son corps épuisé est si douloureux, son épaule à peine bandée le fait atrocement souffrir.
Il remarque alors ses poignets entravés de fers, liés l'un à l'autre, le privant d'une liberté de mouvement. Sa cheville l'est aussi, une courte chaîne fixée au mur par un épais anneau d'acier. Le sol dur est simplement couvert d'un matelas défraichi et usé sur lequel on l'a jeté.
Posés non loin, sur le sol et à sa portée, un petit pichet, d'eau sans doute ; un bol d'une bouillie à l'odeur infâme et un vieux morceau de pain sec. Mais il n'a pas faim malgré son estomac qui lui crie le contraire. Juste soif. Soif à en être malade, soif à en devenir fou.
Il parvient à s'asseoir, et attrape le pichet pour boire. Ses lèvres sèches et son corps assoiffé le remercient, mais son estomac proteste aussitôt. Et la nausée la prend. Crachant une bile jaune et acide, il a bien du mal à se redresser et à retrouver ses esprits. La sueur perle sur son front, et il se sent fiévreux.
Ses pensées tournent à la recherche de réponses. Passant une main dans ses cheveux, il essaie de comprendre. Mais son esprit est si embrouillé qu'il a bien du mal à saisir la situation. Un mouvement brusque de sa part lui fait serrer les dents : son épaule sensible est un calvaire. Il fait alors un rapide état des lieux et constate que ce n'est pas sa seule blessure. Son corps en est couvert, il n'est que douleurs, bleus et contusions.
Des écorchures cicatrisent à peine sur ses bras et le dos de ses mains, ses jambes sont couvertes de fines coupures et d'échardes, son genou est éraflé, de même que sa hanche. Son épaule sommairement bandée est douloureuse, le pansement est rougi par son sang au niveau de la blessure. Et son dos contusionné présente des ecchymoses violacées. Et c'est seulement ce qu'il peut voir. Il ignore s'il a également des dommages internes ou non, car ses côtes lui font serrer les dents.
Il ne parvient pas à retracer le fil de ses souvenirs. Que lui est-il arrivé ? Quel est cet endroit sordide ?! Et que fait-il là ?! Comment est-il arrivé dans cette cellule minuscule ?! Pourquoi a-t-il survécu alors que tous les autres se sont noyés dans l'océan déchaîné ?! Et pourquoi cette geôle et ces fers qui lui scient la peau ?! Il se souvient à peine du sable sur sa joue et du goût de sel sur ses lèvres sèches.
La panique finit par le gagner. Son estomac affamé se tord, son cœur s'emballe, sa respiration s'accélère, la sueur perle sur son front. Il se redresse d'un bond, surmontant les douleurs qui l'arrhassent. Il doit sortir de là ! Il se lance vers la porte mais il ne peut même pas atteindre les barreaux de sa prison, la chaîne n'est pas assez longue. Et puis, quand bien même, comment espère-t-il sortir de là s'il ne peut passer cette grille ?
Mais, pris d'angoisse, il n'y songe pas. Et il tire sur ses entraves avec la force du désespoir, en espérant pouvoir gagner quelques mètres. Malheureusement, rien n'y fait. Il ne parvient pas à faire plus de trois mètres. Il ne peut qu'atteindre ce maigre repas qu'on lui a laissé avec pitié. Et ces barreaux qu'il ne peut qu'effleurer du bout des doigts, et qui le condamnent à ne pouvoir sortir de sa triste geôle…
Ne se laissant abattre pour autant, il s'en retourne alors vers la fenêtre avec un peu d'espoir, mais elle aussi lui est presque inaccessible. Il peut à peine poser les doigts sur le rebord pour se hisser à hauteur des barreaux et voir qu'à l'extérieur, il n'y a rien. Juste cette lumière presque aveuglante du jour, un paysage herbeux tombant dans une étendue bleue à perte de vue.
La terreur se cramponne un peu plus à son estomac. Il tire sur la chaîne de sa cheville avec toute la force dont il est capable dans son état. Quitte à se blesser d'avantage. Mais rien ne bouge. Il ne fait que se tailler la peau plus encore. Et le tintement de la chaîne semble se moquer de sa tentative désespérée, à l'en rendre fou. Seuls ses pieds nus glissent sur le sol dur, jusqu'à lui faire perdre l'équilibre.
Sa cheville entravée se dérobe sous son poids et il s'effondre sur le sol avec rudesse. Il retient un gémissement de douleur, sifflant l'air entre ses dents serrées. Épuisé, blessé, il n'a pas la force de se relever. Et la peur se transforme en désespoir. Les larmes glissent sur ses joues sans qu'il ne parvienne à les retenir. Il se recroqueville, tremblant, en imaginant qu'il va mourir là, enfermé et seul. Peut-être aurait-il préféré se noyer avec les autres et ne pas survivre. Car il pressent que c'est en enfer qu'il s'est réveillé…
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© Lynn RÉNIER