La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 20 : L'Inspecteur Hotch

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Frank Hotch arrive à l'aube, comme Évelyn l'a pressenti la veille. Il annonce à tous qu'il viendra les questionner les uns après les autres, au sujet du meurtre sur le domaine voisin. On peut lire l'inquiétude dans les yeux de certains. Surtout dans ceux d'Anya. Elle ne veut pas se retrouver seule face à l'Inspecteur de la Brigade du Lynx. Son amie lui pose une main pleine de soutien sur l'épaule, pour lui communiquer un peu de courage aussi. Elle en a bien besoin.

Taho est le premier à être interrogé. Puis, c'est au tour de Joseph, Sébastien, Béatrice, Cidji. Mais personne n'a rien vu, ni entendu quoi que ce soit. Sarah et Zacchari doivent fournir un discours semblable à celui des autres, de même qu'Évelyn et Ophélie, car l'Inspecteur semble insatisfait. L'enquête n'avancera pas s'il récolte si peu de témoignages.

Anya est la dernière à entrer dans le bureau de Monsieur Josh où s'est installé l'Inspecteur, pour être questionnée sur la nuit du meurtre. La lavandière lui souffle un « courage, il n'est pas méchant » avant qu'elle ne pousse la porte. Depuis la disparition du Marquis, la pièce n'a pas changé. Rien n'a bougé, tout est resté à sa place. Et bien que Dame Inarah y vienne pour les affaires de son époux, tout semble figé dans le temps.

Au fond de la pièce, l'imposant bureau de bois sombre laqué fait face à tout visiteur. Un globe dans l'angle gauche et une lampe dans celui de droite y sont posés. Le joli stylo plume du Marquis n'a pas bougé depuis la dernière fois qu'il a dû l'utiliser. Son carnet de rendez-vous, à la couverture de cuir un peu fatiguée, non plus. Le vieux téléphone à cadran que Monsieur d'Avila tient de son père est toujours là. Les classeurs de ses différentes affaires et transactions marchandes sont impeccablement rangés dans l'armoire sur la gauche en entrant dans la pièce. Et à droite, une petite table et quatre chaises peuvent accueillir une réunion d'affaires avec quelque client.

L'Inspecteur lui tourne le dos, en pleine méditation. Il n'a pas dérangé les affaires posées sur le bureau du Marquis. Il ne fait que lui emprunter son fauteuil le temps des interrogatoires de routine. Son matériel, lui, est installé sur la table de réunion, où est assis son assistant.

Le jeune homme blond, vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon brun tenu par des bretelles couleur vert canard, tient dans sa main un enregistreur vocal. Devant lui est posée une jolie machine à écrire, prête pour prendre note de tout ce qui sera dit.

Frank réfléchit et la jeune femme n'ose le sortir de ses réflexions. C'est un homme grand, aux épaules larges. Les cheveux bruns coupés courts et coiffés en brosse, il lui donne le sentiment d'être quelqu'un d'austère et stricte. Ou est-ce le complet sombre qu'il porte et sa curure impressionnante qui donnent cette impression ?

Anya aimerait tant être ailleurs en cet instant. Parler de son ami assassiné ne l'enchante pas du tout. Surtout avec cet homme dont la réputation dit de lui que c'est un requin pour les criminels en tout genre. Alors, son regard se pose sur le haut de forme de l'inspecteur, laissé sur le bureau. Un joli chapeau en feutre noir et au ruban gris habillé d'une paire de grosses lunettes rondes d'aviateur à l'armature de laiton. Elle s'y concentre, en espérant que l'homme ne s'aperçoive pas qu'elle attend.

 

Frank remarque enfin sa présence. Il se tourne vers elle et l'invite poliment à s'asseoir. Elle ne se le fait pas dire deux fois et s'installe dans l'un des deux fauteuils qui siègent devant le bureau. L'Inspecteur termine de rédiger ses notes dans son petit carnet usé, ce qui lui laisse le temps de l'observer.

Cette austérité apparente n'est qu'une impression. Son regard vert n'est pas méchant, il brille même d'une étincelle presque enfantine. D'une quarantaine d'années passées, son âge se lit sur son visage à la courte barbe de deux jours. Les rides au coin de ses yeux et sur son front révèlent un homme concentré dans son travail, qui fait beaucoup appel à son intellect. En le voyant, Anya n'est pas étonnée qu'il fut nommé Inspecteur de la prestigieuse Brigade du Lynx très tôt dans sa carrière.

Il finit par délaisser son stylo et pose son regard sur elle. Elle le sent trop inquisiteur tout à coup, et ça la met profondément mal à l'aise. Il doit s'en rendre compte car il se radoucit presque aussitôt.

- Veuillez m'excuser, mademoiselle. Je ne voulais pas vous faire peur. Cette enquête me préoccupe et j'aimerais pouvoir la résoudre au plus vite.

- Je… je comprends, souffle-t-elle.

- Tenez, lui dit-il en lui offrant une tasse de thé pour la mettre à l'aise.

- Merci.

- Êtes-vous prête ?

- O… oui.

- Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter brièvement. Je vous poserais ensuite quelques questions de routine. D'accord ?

La jeune femme acquiesce.

- Très bien, commençons.

Il fait signe à son assistant qu'il peut s'atteler à enregistrer leur échange. Frank relit une seconde ses notes dans son carnet puis pose de nouveau les yeux sur Anya.

- Votre nom et prénom, Mademoiselle.

- Je m'appelle Catanya Valentin. Tout le monde ici m'appelle Anya.

- Sous quel couvert travaillez-vous au Domaine des Arflors ?

- Je suis femme-de-chambre au service de la Marquise.

- Vous êtes à son service depuis combien de temps ?

- Cela doit faire huit ans, Monsieur.

- Êtes-vous originaires de Félinin ?

- Non, je viens de Marosie.

- Pour quelle raison êtes-vous venus à Félinin ?

- Pour trouver un travail.

- Très bien. Mademoiselle, je sais de par vos collègues que vous étiez proches du jeune homme retrouvé sans vie hier. Est-ce exact ?

- Oui.

- Connaissiez-vous bien Gautier Jorly ?

- Oui, plutôt très bien même je dirais.

- Quels était la nature de vos relations ?

- Nous étions amis.

- Diriez-vous que c'était quelqu'un à chercher les ennuies ?

- Oh nullement, Monsieur. Gautier est… était un gentil garçon, discret, toujours prêt à rendre service.

- Lui connaitriez-vous des ennemis ?

- Pas à ma connaissance, non. Ce n'était pas quelqu'un à avoir des ennemis.

- Aurait-il contrarié qui que ce soit ?

- Je ne crois pas, non. Ce n'était pas dans ses habitudes.

- Sauriez-vous si quelqu'un lui aurait voulu du mal ?

- Pas que je sache, en tout cas.

- Réfléchissez-bien.

Anya inspire profondément, prenant le temps de la réflexion.

- Hormis son employeur qui n'est pas très respectueux de son personnel, non, personne.

- Rappelez-moi pour qui Gautier Jorly travaillait-il et sous quel couvert ?

- Il est… pardon… Il était palefrenier pour le Comte de Richwel.

- Y aurait-il une raison particulier pour laquelle le Comte s'en serait pris à son palefrenier ?

- Monsieur de Olstin est un homme sévère et peu indulgent, mais il n'irait pas jusqu'à tuer l'un de ses employés. Du moins, je l'espère…

- Quand avez-vous vu Gautier Jorly pour la dernière fois ?

- C'était il y a trois jours.

- À quelle occasion ?

- Une fin de journée.

- Précisez.

- Nous avions l'habitude de nous retrouver entre amis, au moins une après-midi par semaine, dans les vergers du Domaine des Arflors, avec l'accord de la Marquise.

- Y avait-il quelqu'un d'autre à ces rendez-vous hebdomadaires ?

- Oui, une amie.

- Puis-je vous demander son nom.

- Évelyn Koori, la lavandière de Madame.

- Évelyn Koori, médite-t-il une seconde. Ah, oui ! Je me souviens, elle m'a également fait mention de ces retrouvailles entre collègues. Mmh… D'autres personnes étaient-elles au courant ?

- Taho Svenn, le jardinier. Sans doute Joseph Tanaka, le majordome et intendant de Madame. Et Sébastien Michel, le jeune majordome en formation.

- Très bien. Est-ce que Gautier Jorly vous aurez semblé étrange dernièrement ?

- Non, pas particulièrement. Stressé, comme d'habitude. Mais rien d'étrange.

- Stressé ? Qu'entendez-vous par là ?

- Le Comte met une pression énorme sur ses employés et Gautier avait parfois du mal à se détendre. D'ailleurs, il arrivait qu'il soit rappelé par le majordome du Comte même une fois sa journée terminée.

- Pour d'autres tâches à faire ?

- Certainement.

Il réfléchit une minute, notant les détails que vient de lui fournir Anya dans son carnet.

- Je crois que j'ai terminé, Mademoiselle. J'ai tout ce qu'il me faut. Je ne vois plus de question à vous poser pour l'instant. Mais restez en ville tant que cette histoire n'est pas résolue, je pourrais avoir d'autres questions à vous poser plus tard, au fil de l'enquête.

- Oui, bien entendu, Monsieur.

- Je ne vous ennuie donc pas d'avantage, vous devez avoir du travail. Merci de votre temps. Au plaisir, Mademoiselle.

Anya se lève pour sortir quand une question lui effleure l'esprit.

- Inspecteur…

Il pose les yeux sur elle, l'incitant à poursuivre.

- La mort de Gautier n'est pas accidentelle, n'est-ce pas ?

- J'ai bien peur que votre ami ai été victime d'un meurtre, Mademoiselle. Un accident n'est jamais aussi moche à voir que ce qui est arrivé à ce pauvre garçon…

Il n'en dira pas plus. Professionnellement, il ne peut rien dire sur l'enquête. Mais aussi pour la jeune femme qui se tient devant lui.

Le silence de cette dernière lui fait lever les yeux de son carnet. Il devine les larmes prêtent à glisser sur les joues de la jeune femme-de-chambre. Il sort de la poche de sa veste un mouchoir blanc et le lui tend. Doucement, elle essuie les larmes qu'elle n'est pas arrivée à retenir.

- Je suis navré pour votre ami, Mademoiselle Valentin. Je vous présente toutes mes condoléances. Je retrouverai celui qui a fait ça et l'enverrais en prison.

- Merci.

- Je vous en prie. C'est mon travail.

- Au revoir, Inspecteur.

Il lui rend sa politesse et s'en retourne à ses notes. Anya, elle, est soulagée de pouvoir passer la porte du bureau du Marquis.

 

Dans le couloir, Évelyn l'attend. Sitôt l'a-t-elle vu sortir du bureau qu'elle vient à sa rencontre pour s'assurer qu'elle va bien et que l'interrogatoire s'est bien passé. Anya n'est pas contre cette compagnie réconfortante, bien au contraire. C'est étrange, parfois elle a le sentiment qu'en présence de son amie, ses sentiments négatifs s'envolent, comme si… Évy les absorbait pour l'en soulager.

- Ça a été ? lui demande la lavandière avec douceur.

- O…oui, je crois. Tu avais raison, l'Inspecteur n'est pas méchant.

Un sourire malin se dessine sur les lèvres d'Évelyn.

- Tu n'es pas à la laverie ? s'étonne Anya.

- Je m'inquiétais pour toi.

- Tu m'attendais ?

- Non, j'attendais qu'il neige, se moque son amie. Mais bien-sûr que je t'attendais ! Je voulais être certaine que tout c'était bien passé avec l'Inspecteur.

Anya lui adresse un regard de petite fille perdue et Évelyn la prend par les épaules, plongeant son regard dans le sien.

- Me voilà un peu plus rassurée maintenant.

- Évy… Je crains d'avoir dit des bêtises… J'ai parlé de nos retrouvailles dans les vergers. Je ne sais pas si j'ai bien fait…

- Ne t'inquiètes pas, moi aussi j'en ai fait part quand ils m'ont interrogée. Autant dire la vérité. La Brigade du Lynx n'est pas réputée clémente avec les menteurs. Tu as eu raison d'en parler à l'Inspecteur.

- Ce n'est pas important pourtant.

- Non, mais ça permettra sans doute à l'Inspecteur de faire le point sur les relations de tout le monde avec Gautier. Et puis, tu n'as rien à te reprocher.

- Non.

- Alors ne t'inquiète pas.

- Crois-tu que Frank Hotch va trouver le meurtrier de Gautier ?

- Le meurtrier ?

- Oui, l'Inspecteur m'a confirmé que ça ne pouvait pas être un accident. Gautier a été assassiné.

- Eh bien, je pense que l'Inspecteur sait ce qu'il fait. Il connait son métier. Il trouvera le coupable. Ce n'est qu'une question de temps désormais.

Évelyn sent les épaules d'Anya s'affaisser.

- Anya, est-ce que tout va bien ?

- J'ai peur, Évy… Il y a un tueur dans la nature. Qui sait s'il ne s'en prendra pas à quelqu'un d'autre. Peut-être même à l'un d'entre nous…

- Ne dis pas de bêtise. Nous ne risquons rien.

La jeune femme-de-chambre lève les yeux vers son amie. Elle croit voir briller une étincelle étrange dans ses yeux verts, l'espace d'un battement de cils. Sans doute l'a-t-elle rêvé.

- Fidèle est là pour veiller sur nous, sourit Évelyn.

Ce n'est pas vraiment une plaisanterie, mais cela fait rire Anya malgré tout.

- Ne perds pas ton sourire, Anya, lui dit son amie. Gautier n'aimerait pas te voir si attristée.

- Oui, tu as raison…

- Allez, viens, j'ai demandé à Béatrice de te préparer de quoi te revigorer.

- Merci, je crois que j'en ai bien besoin, admet-elle en suivant son amie vers les cuisines.

Posées sur la table, une tasse de thé chaude et une assiette de galettes à l'anis l'attendent. Anya sent un sourire naître au coin de ses lèvres devant cette touchante attention. Elle n'en demandait pas tant.

Tandis qu'elle grignote un gâteau, la lavandière pose un baiser sur son front avant de s'éloigner. Seulement, Anya ne veut pas qu'elle s'en aille déjà retrouver sa laverie.

- Évy, peux-tu rester encore un peu avec moi ? ose-t-elle. S'il te plaît.

- Bien-sûr.

Son amie vient lui tenir compagnie, en oubliant ses tâches quotidiennes. La jeune femme-de-chambre sait les larmes au bord de ses yeux. Elle est prête à éclater en sanglots, mais elle se retient. Et la présence d'Évelyn l'aide à vaincre son chagrin. Elle se doute pourtant que sa peine ne fait que commencer, que c'est après que ce sera plus difficile. Rien que cette idée lui fait peur.

Évelyn remarque aussitôt les yeux brillants et les épaules tremblantes de son amie. Elle ne peut rester là à la regarder verser des larmes sans lui apporter son soutien. Avant même que les lèvres d'Anya ne se tordent sous les sanglots à venir, la jeune lavandière la prend dans ses bras.

- Je suis sincèrement désolée, Anya, lui souffle-t-elle en caressant doucement ses cheveux clairs. Si j'avais su…

Mais Anya ne l'entend pas, pleurant à chaude larmes dans la chaleur réconfortante d'Évelyn.


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© Lynn RÉNIER
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