Chapitre 2 - Crinière de feu
cerise-david
Durant cette nuit de traversée, tu es revenu à l'assaut de ma mémoire. Comme si en t'imposant à moi, tu m'avais forcer à rouvrir le tiroir dans lequel je t'avais enfermé. La mémoire est quelque chose de complexe. Certains pensent qu'elle fragmente les souvenirs et les disperse en les associant à d'autres. Comme un disque dur. C'est pour çà qu'une odeur peut vous rappeler un lieu, et une musique un instant. En te voyant sur le quai, les effets de la Meth se sont dissous en quelques secondes et j'ai erré sur le bateau jusque tard dans la nuit. Sans doute dans l'espoir craintif de te croiser.
J'ai fini par m'assoupir, mon sac enroulé entre mes jambes sur un transat. Me laissant à la merci des cauchemars et autres angoisses nocturnes.
La porte du Tram s'ouvre sur l'hiver et la pluie. Bordeaux, ville bourgeoise, aux portes et monuments emblématiques. Je déteste cette ville. Enfin les gens qui hantent cette ville. Je ne sais pas ce que je fais là. On ne choisit pas toujours. Parfois, on subit. C'est un jour compliqué. Je suis en retard, le tram est en retard, les gens sont pressés et moi, je suis là. A hésiter, je veux faire demi-tour, ne pas descendre, juste me réveiller. Partir. Sortir. M'enfuir. Parce que je sais que tu es quelque part. Juste là.
J'ai fini par me décider à descendre, j'ai abdiqué. J'avance et je rentre en collision avec une silhouette. Violemment. Je repars en arrière, et les portes du Tram se referme. J'inspire. Mon parapluie est sur le trottoir… une mauvaise journée. Les mauvaises journées ne tiennent qu'à des détails. Je regarde le monstre et découvre une crinière blonde trempée qui dégouline sur des yeux transparents. Le menton carré, la mâchoire serrée. Le col de la veste ramené sur le cou. Des épaules larges, des mains fines. Pas de bague. Pas de gourmette, je déteste les gourmettes. Tu es là, je suis rentré en collision avec toi. Je lutte pour me réveiller et ne pas sombrer dans les années les plus tempétueuses de mon existence. Là, maintenant.
« Je m'excuse ».
Je sursaute. Une main est posée sur mon épaule. Une main d'homme. Je tente de reculer et le transat bascule à la renverse. L'homme se penche sur moi. Je laisse échapper un cri. Il me dit de me calmer. Que tout va bien. Il s'excuse et peu à peu, sa voix me calme et je reprends mes esprits. Il travaille à bord, il m'a vu m'agiter pendant mon sommeil. Il y a voulu s'assurer que je ne m'étais pas trouver sans cabine. J'essuie la bave au coin de ma lèvre et je le remercie. Juste un cauchemar.
« Je n'aime pas dormir en cabine ».
En réalité, je n'aime plus dormir tout court. Il s'éloigne, rassurer par ma réponse. Je vais devenir un vrai distributeur à pansement. L'aube est déjà là.
Je remonte sur le pont, face à l'eau, j'essaye de me souvenir. Je me fais violence. Je dois me rappeler le mal que tu m'as fait. Je me suis anesthésié de toi. J'ai oublié ta peau en touchant d'autres corps, j'ai oublié ton odeur en brulant mes narines et j'ai assécher mes lèvres de ta bouche avec la Meth. Comment tout çà à commencer ? Comment j'ai perdu pied ? Comment j'ai fait de toi mon roi, et mon tyran ?
Ta manière de dire les choses ; tu soufflais des mots. J'ai trouvé ça attachant. Je me suis enchainée. J'ai croiser ton regard. Je t'ai adresser la parole et tu ne m'as pas invité à prendre un verre, tu ne m'as pas donné ton numéro. Les unes après les autres, les pièces du puzzle s'imbriquent… La silhouette d'un monstre sans nom. Sa main tendue qui tente de percer le miroir de mon âme. Je revois ta crinière de feu qui impose la soumission, tel un lion. Tu te tiens toujours droit et fier. Tu imposes tes règles.
Tu es revenu dans ma vie, plusieurs mois plus tard. Tu n'as plus jamais voulu en sortir. A l'époque j'étais avec un gentil garçon. Tu m'as détourné de lui. Tu m'as emmené dans les plus beaux endroits de la terre. Tu m'as fait sentir la fille la plus merveilleuse au monde. Une femme capable de tout. J'ai tout eu. Tout. Tu as murmuré toutes les promesses qu'on rêve d'entendre.
Et après, après tu t'es retiré. Comme un tsunami. Tu as fait disparaitre la tendresse, puis la confiance. L'amour tu l'as tenu à ma portée. Comme la queue de Mickey dans les manèges pour enfants. Tu m'as menti pour après exiger des preuves de ma loyauté. Tu m'as trompé et tu t'es fait pardonner. Tu m'as quitté et je t'ai couru après. Jusqu'à être essoufflée. Alors j'ai tourné les talons et tu es revenu. Docile et j'ai pardonné.
Tu m'as promis qu'on serait heureux, à nouveau. Tu m'as promis une vie simple. Mais tu ne voulais pas de cette vie là. Je t'ai demandé un enfant, tu m'as fait dire que je n'étais pas prête. Tu m'as reproché d'être malheureux, tu t'es laissé dépérir. Alors j'ai céder, j'ai mis un pied dans ton monde. C'était de ma faute. Alors j'ai changé. J'ai demandé moins et donner plus. Encore et encore. J'ai essayé, je me suis soumise à ta volonté. Tu m'as blessée, attachée, violentée.
Je me suis éloignée, pour me protégée de toi. Tu as ressorti le grand jeu, avec de nouvelles promesses, plus prometteuses encore. Tu es venu habité avec moi… et un jour, je suis rentré et tu n'étais plus là. Je t'ai chercher partout cette nuit là. J'ai fini par te trouver dans un de ces endroits sordides où tu aimais te perdre. Tu m'as regarder droit dans les yeux et tu m'as dit que tu ne m'aimais plus.
« Je ne crois pas t'avoir aimer un jour ».
Un courant d'air frais me sort de ma torpeur. Au bar, je commande un verre, je tremble. Le barman me regarde avec insistance. Il plonge dans mon caraco. Je me laisse dévisager. Mon corps ne m'appartient plus depuis longtemps. Je bois cul sec, et empoigne mon sac. Il est 7H, le bateau est à quai.
Je pose un pied léger à Capri. Où es-tu maintenant ? Combien de temps me reste t-il ?