La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 21 : Enquête Hasardeuse

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Voilà qu'il a interrogé tout le monde et pourtant, pas l'ombre d'une piste. Dans les écuries, rien de bien concluant non plus. Il n'y a rien. Pas la moindre trace, pas le moindre indice qui puisse le guider vers le coupable. Ce pauvre garçon ne s'est tout de même pas fait ça tout seul ! Des dires des gens qui le côtoyaient de près ou de loin, ce n'était pas le genre à agir ainsi. Alors qu'est-ce qui a bien pu se passer ?

L'Inspecteur Hotch relit ses notes, il est certain d'avoir loupé quelque chose. C'est forcément là, quelque part. Il ne l'a tout simplement pas remarqué, pas encore. Mais il a beau parcourir son carnet de long en large : rien. Absolument rien. Il ne peut s'empêcher de maugréer dans sa barbe. Ça l'agace. Cette affaire lui met les nerfs en pelote.

Jamais auparavant il n'avait eu tant de mal à démêler une affaire. Surtout un assassinat. Le meurtrier se trahit toujours, laissant un peu de lui sur la scène du crime et emportant un peu de son crime avec lui. Pourquoi cette fois, il n'y a rien pour démasquer le coupable ? Pas le moindre brin, pas la moindre fibre, pas une seule empreinte. Comme si le tueur n'existait pas.

Une hypothèse germe dans son esprit tandis qu'il fait les cents pas dans le bureau de la villa des Arflors. Qu'il réfute aussitôt. Elle semble bien trop absurde. Ce temps-là est révolu. Cela fait bien longtemps, ce n'est pas possible. Pas envisageable. Sa réflexion est mise à rude épreuve. Son esprit bouillonne.

Sous les yeux de son assistant, il va et revient. Parfois, il a comme un éclair de lucidité, s'arrête, le regard droit devant lui. Puis, il finit par rejeter sa soudaine idée, pour reprendre ses allées et venues. Il tourne en rond, dans tous les sens du terme. Ça l'agace. Profondément. Cette situation ne lui plait guère. Il maugrée dans sa barbe.

Le jeune Matt Abbey, assis derrière le clavier de sa machine à écrire, n'ose pas l'interrompre. Depuis quelques mois, il est l'assistant fidèle de l'Inspecteur. Il l'a vu résoudre un nombre incalculable d'enquêtes toutes aussi complexes les unes que les autres avec une réflexion hors du commun. Le jeune homme ne peut que confirmer ce que tout le monde dit : il n'est pas à la tête de la Brigade du Lynx par hasard.

Frank se tourne soudain vers son assistant, qui se fige. Il s'approche, réfléchissant sans cesse. Matt voit presque les engrenages tourner à l'intérieur de son crâne et une petite fumée s'échapper de ses oreilles. Quand il est en pleine méditation, ainsi, à la recherche d'indices, il est encore plus impressionnant qu'en temps normal.

L'Inspecteur jette un œil sur les notes que Matt a prises. Le jeune homme passe une main dans ses cheveux blonds un peu trop longs. Il y a longtemps qu'il ne s'en fait plus pour ses prises de note lors des interrogatoires et autres entretiens. Frank Hotch l'a bien formé. Mais que ce dernier reste si silencieux pendant qu'il réfléchit, à tel point que ça en devienne pesant, le met parfois mal à l'aise.

Il sent que l'Inspecteur est contrarié, et ce n'est jamais bon signe. Même si l'homme a un visage avenant, et que certains officiers de la Brigade du Lynx s'amusent à la surnommer « l'Ours » à cause de son air plutôt tranquille et débonnaire, son caractère grognon parfois aussi, il n'en est pas moins redoutable. Lorsqu'il est sur une affaire, il devient plutôt fin limier que nounours.

Frank retourne à ses cents pas, tourne un moment encore à ruminer ses hypothèses sans avoir de pistes. Quand enfin il se laisse tomber dans le fauteuil du Marquis, il semble presque démoralisé. Les petits sablés et le café qu'apporte la commis rousse ne font que remplir son estomac, sans faire avancer son enquête.

- Il est temps de retourner au poste, souffle-t-il. Je pensais pouvoir trouver une piste en questionnant les employés avec qui ce garçon travaillait. Mais je n'ai rien, pas un seul indice à exploiter…

- Peut-être avons-nous manqué quelque chose, suppose le jeune homme tandis qu'il range sa précieuse machine à écrire.

- Certainement, Matt. Nous avons forcément loupé quelque chose d'important, insiste Frank. Nous serions déjà en train d'arrêter le coupable sinon.

- Il n'y avait pourtant rien sur le lieu du crime.

- Non, absolument rien. C'est très étrange…

Il glisse son petit carnet dans la poche de son imperméable noir.

Son assistant vérifie qu'il a bien tout rangé et qu'il n'a rien oublié. Puis, enfilant son manteau en peau tannée sur sa chemise, il s'empresse de suivre l'Inspecteur dans le couloir. L'homme s'en va saluer la maîtresse de maison, la remerciant de son accueil.

- Je vous en prie, Inspecteur, répond-t-elle. C'est bien le moins que je puisse faire pour vous aider. Ce pauvre garçon mérite qu'on découvre ce qui lui est arrivé.

Matt ne peut s'empêcher d'admirer cette femme magnifique. Du haut de ses vingt ans, il la voit telle une apparition divine, avec ses cheveux si blonds qu'ils en sont presque blancs et ce visage superbe qui ne trahie pas son âge. Elle l'intimide un peu et il se sent rougir chaque fois qu'elle pose son regard bleuté sur lui.

- Vous êtes une parfaite hôtesse, Madame, lui répond Frank. Merci pour tout.

- N'hésitez-pas, si vous avez besoin de quoi que ce soit au cours de votre enquête. Mes employés pourront répondre à vos questions.

- Je n'y manquerais pas. Au revoir, très chère.

- Au revoir, messieurs.

- Au r… au revoir Madame, bafouille Matt intimidé, retirant son petit trilby au ruban vert canard pour la saluer.

La Dame lui accorde un sourire amusé et il se sent rougir d'autant plus. Puis, il file sur les traces de l'Inspecteur qui a déjà pris le chemin de la sortie.

La voiture les attend devant le portail du domaine. Une magnifique automobile à la carrosserie chromé dont Frank Hotch ne laisse le volant à personne, Matt mis à part parfois quand la fatigue le gagne. Ce jour-là, il ne lui laisse pas le volant bien qu'il soit toujours plongé dans ses réflexions sur l'affaire. Jamais le jeune homme ne l'avait vu aussi contrarié par une enquête. Mais il sait que conduire l'aide à refouler sa frustration. D'ailleurs, l'Inspecteur est un grand amateur de courses sur circuit.

Franc actionne la pédale d'accélération pour lancer la machine puis passe une vitesse avec la poignée du volant. Le moteur démarre en dégageant un léger nuage de vapeur, un doux vrombissement aux oreilles trahie les rouages et les engrenages qui tournent pour faire fonctionner la formidable mécanique. Et les voilà qui font route vers le centre de Félinin et les bureaux de la brigade.

Sur leur passage, il arrive que les passants se retournent. Il est rare de voir des automobiles aussi modernes circuler dans la ville. Seuls quelques privilégiés en font apanage. Comme les membres de la Brigades du Lynx. Il est plus aisé pour eux de se déplacer rapidement grâce aux véhicules motorisés qui dorment dans leur garage. C'est aussi ça l'efficacité de la milice de Félinin, en plus de leur méthode sans faille pour résoudre les affaires dont ils ont la charge.

Pourtant, cette fois, l'Inspecteur est dans une impasse. Il n'a rien sur quoi appuyer ses thèses. Pas la moindre hypothèse à émettre. Alors, il a l'espoir que l'autopsie du malheureux puisse lui apporter des réponses à exploiter. Il rumine et son assistant le sent.

Matt garde le silence. Questionner l'Inspecteur sur une enquête qui le nargue est une mauvaise idée. Le jeune homme le sait parfaitement. Alors, durant le trajet qui les ramène à la caserne, il reste muet, observant le paysage en serrant contre lui sa machine à écrire aux touches de cuivre.


© Lynn RÉNIER
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