La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 22 : La Brigade du Lynx

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Le reste de la journée, ils la passent à inspecter minutieusement les maigres indices que les agents ont trouvés dans les écuries. Du crin de cheval, de la paille tachée de sang, des lambeaux de tissus, des moulages de griffures. Mais rien de concrètement exploitable. Frank est déçu, profondément déçu.

Il ne sait pas comment résoudre cette affaire avec si peu d'éléments. C'est presque déstabilisant. Le médecin-légiste n'a pas achevé son autopsie. Alors, rien non plus de ce côté-là. Est-ce que le célèbre Inspecteur réussira à résoudre cette nouvelle enquête ? Ce serait une défaite personnelle s'il n'y parvenait pas…

Regagnant son bureau, Frank ne peut s'empêcher de relire ses notes inlassablement. Il les connaît par cœur à présent, mais il est persuadé qu'il a pu rater quelque chose. Et, étant donné qu'il ne parvient pas à mettre le doigt sur ce qu'il a manqué, il tourne en rond.

Tout ce qu'il peut faire pour l'instant, c'est attendre les conclusions de l'autopsie qu'il n'aura que le lendemain. Sa patience est mise à rude épreuve. Cette affaire risque de le rendre chèvre au bout d'un moment. Et il n'aime pas ça du tout.

- Est-ce trop demandé que d'avoir une piste ? Ne serait-ce qu'un mobile… Bougonne-t-il dans sa barbe.

Son assistant ne relève pas. Matt sait qu'il ne faut pas renchérir. Il se cantonne à noter les dernières réflexions de l'Inspecteur sur sa machine à écrire et ainsi terminer le rapport de la journée. Il y restera jusque tard dans la nuit.


***


Les résultats de l'autopsie l'attendent sur son bureau dès le petit matin. Frank est le premier arrivé. Le poste est bien silencieux à l'aube. Il apprécie ce calme matinal. Ça lui permet de travailler sans être dérangé.

Le médecin-légiste a dû terminer tard la veille. Autrement, l'Inspecteur l'aurait croisé avant de rentrer chez lui. Il est souvent le dernier à partir d'ailleurs. Il est marié à son métier, il en a conscience. Mais c'est tellement prenant, comment ne pas vouloir y passer son temps.

La veille, il a dû renvoyer son jeune assistant chez lui. Passé vingt-trois heures, le pauvre garçon a fini par endormir sur le clavier de sa machine. Frank a tourné un moment encore avant d'abdiquer face à la fatigue et de daigner rentrer chez lui à son tour.

Ce qu'il attend depuis la découverte du corps est enfin là, posé sur son bureau. Le dossier de l'autopsie ne tarde pas à être ouvert. Il s'empresse de le lire, méticuleusement. Notant au passage tout ce qui lui semble important pour la suite de l'enquête dans son carnet. Seulement, après lecture, il ne semble toujours pas satisfait. Une expression bougonne s'affiche peu à peu sur son visage et ses sourcils épais se froncent.

Matt entre dans le bureau là-dessus, étant gratifié d'un grognement en retour à son salut poli. Il ose à peine manifester sa présence plus que nécessaire et se glisse derrière son bureau sans un mot.

- Les résultats de l'autopsie sont là, le renseigne l'Inspecteur.

- Nous apprennent-ils quoi que ce soit d'intéressant ?

Frank laisse échapper un profond soupir en s'affaissant dans son fauteuil.

- Rien. Absolument rien de ce qu'on supposait déjà.

- C'est embêtant…

- Le mot est faible, Matt.

- Quelles sont les conclusions du médecin-légiste ?

- Gautier Jorly a bien été attaqué par un chien.

Le jeune homme reste silencieux. Il sent que l'enquête s'avère compliquée désormais.

- Je ne sais pas expliquer pourquoi, mais tout ceci me semble bien trop simple…

- Comment ? demande Matt qui n'écoutait pas.

- Je trouve que ces conclusions sont trop évidentes, reprend l'Inspecteur.

- Que voulez-vous dire ?

- Que ce garçon ait été attaqué et tué par un chien semble peu probable. Comment l'animal aurait-il pu rentrer sur le Domaine de Richwel ? Certes, le Comte a de sacrés molosses, mais ils connaissent certainement le garçon. Ils ne l'auraient pas attaqué en plein travail. Et aussi, malgré l'orage, personne n'a entendu ses cris. C'est étrange tout de même… Il a dû souffrir le martyr avant de mourir.

- En effet, réalise Matt.

- Il y a bien trop détails incohérents. Ça ne va pas. C'est trop simple, trop hâtif en conclusion.

- Si seulement les morts pouvaient parler, ça nous simplifierait les choses, ne peut s'empêcher de dire tout haut son assistant.

- Ce serait bien plus facile, en effet.

Frank se lève, pour venir se placer devant la fenêtre de son bureau. Il a une vue imprenable sur la ville et le port en contrebas. Son regard ne s'attarde pourtant pas sur la vie qui s'active dans les rues. Il réfléchit.

- Nous allons réexaminer les différents éléments, finit-il par dire, indices récoltés sur place et témoignages. Nous finirons bien par trouver ce que nous avons manqué. Je rappellerais le médecin-légiste dès qu'il sera arrivé.

- Vous avez besoin de quelques explications sur son rapport ?

- Non, il est on-ne-peut-plus clair. Quelques détails me turlupinent, certes. Mais je verrais cela avec lui. S'il est possible de faire une autopsie plus approfondie, ce serait l'idéal.

- Une contre autopsie ? Mais, ne devrait-elle pas être faite par un autre médecin ?

- Si, c'est exact, Matt. Seulement, nous n'avons que le Docteur Richards de disponible. Nous ferons avec.

- Est-ce légal ? s'interroge son assistant.

- Certes. Je verrais cela avec lui. En attendant, allons chercher les indices que les agents ont récoltés sur la scène de crime. Nous allons les étudier plus attentivement.

Cela se résume à aller chercher un simple carton dans la salle des scellés. L'Inspecteur défait ces derniers avec minutie, n'omettant pas de noter sur la feuille de suivis des pièces qu'il les a consultés à nouveau. Il serait trop bête de réduire une enquête à néant par un oubli de ce genre.

La vaste pièce où siège le bureau de l'Inspecteur Hotch est agencée de sorte qu'elle puisse accueillir deux bureaux et une longue table entourée de chaises, pour les débriefings avec ses agents et enquêteurs. Le bureau de Frank est posté face à la porte, au centre. Une carte détaillée de la ville est affichée au mur derrière lui. De sorte que ce soit la première chose que l'on voit en entrant. Celui de Matt, plus petit, se trouve à droite. Une large armoire garnie le mur du fond, les dossiers classés par année et par nom.

Sur le bureau de l'Inspecteur, un sous-main en cuir occupe le centre, une lampe en cuivre à gauche et un pot à crayon bien rempli à droite. Un petit pot à encre est disposé en haut du sous-main. Dans un angle, une ramette de papier blanc. Un agenda est posé à portée de main, de même qu'un téléphone dont le cadran de chiffres ressemble à un écrou doré.

Frank et son assistant sortent tous les indices du carton, les étalant sur la table de débriefings. Cela leur permet d'avoir rapidement sous les yeux tout ce qu'ils ont à leur disposition. Peu de choses, ils en conviennent. Mais l'Inspecteur ne s'avoue pas vaincu. Il n'a pas dit son dernier mot, il parviendra à résoudre cette affaire !

- Matt, vas nous chercher du café. Nous allons en avoir besoin !

- Oui, Inspecteur.

Son assistant s'enfuie dans le couloir, revenant quelques minutes plus tard avec une cafetière pleine. Retournant s'asseoir devant sa machine à écrire après avoir servi deux tasses, il sait que la journée va être longue en hypothèses et autres théories.

 

Le soir tombe et l'assassinat du jeune palefrenier reste toujours sans réponse. Malgré ses efforts, L'Inspecteur ne parvient pas à trouver un indice, ne serait-ce qu'infime, pour démasquer le coupable. Il est persuadé que Gautier Jorly a surpris ce qui aurait dû lui rester inconnu et que son meurtrier l'en aurait puni.

Les conclusions de l'autopsie sont claires, et évidentes. Soit. Ce pauvre garçon est mort sous les crocs d'un gros chien. Cependant, Frank ne peut s'empêcher de trouver cela trop simple. Trop évident. Et cette idée persiste dans son esprit, bien que tout lui indique le contraire.

Jusque-là, il s'est toujours fié à son intuition, ça ne changera pas. S'il estime que quelque chose cloche, il ne peut pas se tromper. Il ira au bout, qu'importe si tout donne l'impression qu'il est dans l'erreur.

Avec la nuit tombée, il a renvoyé Matt chez lui. Son assistant lui est d'une aide précieuse. Il a un œil neuf et jeune sur les choses. Même s'il peut se montrer un peu naïf parfois. Il apprend, le métier finit par rentrer avec le temps et il saura voir la vérité sous le mensonge. Frank n'en doute pas. Son assistant est déjà un très bon élément au sein de la Brigade du Lynx.

Avant d'abdiquer lui aussi devant la fatigue, l'Inspecteur appelle le médecin-légiste. L'homme est encore à la morgue et semble surpris que Frank le joigne si tard.

- Tu es encore là ?

- J'allais partir, tu as de la chance. Que me vaut ton appel, Inspecteur ?

- Pourrais-tu faire une autopsie plus poussée ?

- Un problème ?

- Tes conclusions semblent justes, mais j'ai un doute persistant quant à la mort de ce garçon.

- Je vois…

- Je suis désolé de te demander cela si tard, Xévo.

- Ce n'est rien. Si ça peut permettre de résoudre l'affaire. Je m'en occupe dès demain.

- Je te remercie. Bonne soirée.

- Bonne soirée, Inspecteur.

Une fois qu'il a raccroché, il saisit son manteau et son haut de forme au ruban pourpre. Il reprendra ses investigations le lendemain. Pour l'heure, son esprit a besoin de sommeil.


***


Comme à son habitude, c'est Frank qui ouvre les bureaux au petit matin. Matt ne tarde pas à le rejoindre, les yeux encore ensommeillés. Une tasse de café lui fera le plus grand bien. Ils ont du travail aujourd'hui encore. Un premier compte rendu est nécessaire sur ce qu'ils ont déduit des indices et de leur début d'investigation.

Dès sa tasse de café avalée, le jeune homme s'attèle à sa mission de rédaction du rapport préliminaire. Frank ne peut nier que son assistant est efficace et sérieux. Le son des touches de cuivre rythme leur rétrospective d'indices. Jusqu'à ce qu'en milieu de matinée, un agent vienne toquer à la porte du bureau.

- Inspecteur ?

- Oui, Jean, entre.

- Le Docteur Richards me fait vous dire qu'il a reçu un autre corps ce matin. Il ne commencera la seconde autopsie du palefrenier que tout à l'heure.

Frank réfléchit une seconde.

- Un autre corps, dis-tu ?

- Oui. Une jeune femme retrouvée près des quais. Elle aurait été attaquée par un chien.

- Tiens, sourit presque Frank. Serait-ce une coïncidence ?

- Le Docteur Richards n'en sait pas plus pour l'instant. Il attend de pratiquer l'autopsie.

- Quel est le nom de la malheureuse ?

- Nia Titch.

- Ce nom me dit quelque chose…

- Elle était lavandière chez le Comte de Richwel.

- Oui, c'est ça. Tente-et-un ans, taille moyenne, d'une fine corpulence, cheveux blonds, yeux bleu-vert. Si je me souviens bien.

- C'est bien elle.

- Cette nouvelle mort aurait-elle un lien avec celle du palefrenier ?

- Aucune certitude à ce stade, Inspecteur.

- Des indices sur les quais ?

- Non. Le corps a été déplacé. La malheureuse n'est pas morte au port.

- Le Docteur Richards a-t-il débuté l'autopsie de cette jeune femme ?

- Oui, dès qu'il a reçu le corps.

- Très bien. Nous n'avons plus qu'à attendre ses conclusions. Elles ne sauraient tarder.

Un instant de réflexion, les mains croisées sous son menton.

- Jules, dit-il, toi et deux autres agents, trouvez tout ce que vous pourrez à propos de cette jeune femme. Je veux tout savoir. D'où elle vient, qui elle est, son emploi au Domaine de Richwell, si elle avait des ennuis, si les autres employés avec qui elle travaillait sont au courant de quoi que ce soit qui expliquerait qu'elle ait été tuée. Faites en sorte de rassembler tout ce que vous pourrez.

- Tout de suite, Inspecteur.

- Vous pensez que les deux affaires sont liées ? demande Matt une fois l'agent parti.

- Ça en a tout l'air en tout cas.

Frank redevient silencieux, et son assistant tout autant. L'affaire prend des proportions inattendues, d'autant si les deux meurtres se trouvent être liés…

- J'ai besoin de retourner sur les lieux du meurtre de ce pauvre garçon, lâche Frank après des longues minutes de silence.

- Pour quelle raison ? s'étonne Matt qui pensait qu'il n'y avait plus rien sur les lieux.

- Être sur place me permet de me mettre dans l'ambiance, si je puis dire. Je visualise mieux ce qui a bien pu se passer.

Son assistant ne peut que lui donner raison. Voir l'endroit et s'y trouver aide à mieux appréhender les évènements qui s'y sont déroulés.

- Maintenant, Inspecteur ?

- Oui. Allez, Matt, fais démarrer la voiture !

- Tout de suite, Inspecteur !

Et le jeune homme s'exécute.


© Lynn RÉNIER
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