La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 25 : Pour un Dernier au Revoir

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Quatre jours ont passé depuis la disparition tragique de Gautier, et celle de Nia. La nouvelle du décès de cette dernière n'a pas tardé à faire le tour de la ville. La peur s'est installée quelque temps parmi les domestiques. Mais finalement, comme aucune autre mort n'est survenue depuis, la vie a repris, comme si rien ne s'était passé.

Au Domaine de Richwel, les domestiques sont rapidement retournés à leurs tâches, le jeune palefrenier et la lavandière vite remplacés par deux nouveaux venus. Et personne ne semble s'en plaindre. Du moins d'apparence.

Car les domestiques du Comte sont très proches les uns des autres, hormis peut-être le glacial majordome. Et avec le temps, le travail et l'indifférence du Comte, les domestiques du Domaine de Richwel finissent peu à peu par accepter malgré eux, et par se remettre du décès des deux jeunes gens.

 

Elle aurait pu l'accepter elle aussi. Pourtant, Anya ne se résout pas au décès de son ami d'enfance. Elle a encore le réflexe de le rejoindre dans les vergers, le soir, après sa journée. Évelyn l'y accompagne chaque fois, sans lui rappeler que le jeune homme n'est plus là pour les accueillir de son chaleureux sourire.

La jeune femme-de-chambre apprécie la présence de son amie, réconfortante et silencieuse. Elle n'a pas envie de parler de ce qu'elle ressent, et elle sait qu'Évelyn partage sa tristesse. Avec elle, les mots ne sont pas nécessaires. Elles se comprennent, tout simplement.

Seulement, ce soir-là, Anya a besoin de se retrouver seule avec ses pensées. Elle ne sait pas vraiment pourquoi, mais il lui faut se rendre sur le lieu où son ami a perdu la vie. Prévenant Évelyn qu'elle ne la rejoindra pas aux vergers, pour ne pas l'inquiéter, elle prend doucement le chemin du domaine voisin.

Le Domaine de Richwel n'est pas le celui qu'elle affectionne le plus. Certes, il est magnifique, avec un vaste terrain de pelouse verte, aux allées de buissons fleuris parfaitement taillés. Deux statues immenses, à l'effigie du Comte, annoncent le manoir comme une porte de pierre avant celle de bois épais de la demeure. Et leurs yeux fixes semblent pourtant vous suivre quand vous vous engagez entre elles sur l'allée de gravier qui mène au seuil de l'entrée.

Le large chemin de gravillons qui mène aux portes du manoir court ensuite de façon presque dérobée sur l'arrière la bâtisse. Il longe ainsi le manège aux chevaux, les écuries, les appartements des domestiques, la dépendance et le petit local où est stocké le matériel nécessaire à l'entretien du jardin et des équidés. Comme si tout ceci ne devait être vu, dissimulé derrière la demeure. Quelque part, ça n'étonne pas la jeune femme.

Tout le monde sait combien le Comte s'accroche aux apparences, alors qu'il cache « l'indésirable » lui ressemble. Lors de la construction, il a organisé son domaine de sorte qu'on ne voit que le chemin de gravier, l'arche des deux statues et son imposant manoir une fois passé le portail. Le reste, il ne veut pas le montrer aux visiteurs.

Pour sa part, Anya n'est pas là pour rendre visite à Charles de Olstin. Cet homme-là, elle le craint. Comme tous les domestiques de Félinin d'ailleurs. On le dit mauvais, cruel même avec les gens à son service. Non, la jeune femme est là pour Gautier.

Alors, à pas de velours, elle se glisse sur le domaine pour gagner les écuries. Elle ne remarque pas que les chiens de garde ne sont pas là pour la faire fuir. Peut-être sont-ils occupés ailleurs. Et les agents de la Brigade du Lynx semblent absents. Curieux ce silence et ce calme apparent. D'une certaine façon, ça lui convient très bien. Elle pourra se recueillir sans être dérangée.

Arrivant en vue des écuries, une certaine mélancolie la traverse. Elle hésite. Cependant, elle tient à ce dernier au revoir à Gautier, pour pouvoir avancer. Elle s'approche, quand elle s'aperçoit que la porte est entrebâillée. Le nouveau palefrenier n'est pas aussi méticuleux dans son travail que l'était son ami. Ou peut-être travaille-t-il encore auprès des chevaux.

Anya ouvre doucement la porte. Elle ne veut pas être surprise par le nouveau domestique du domaine. Glissant un regard, elle voit combien les écuries ne portent plus aucune trace du drame. Les chevaux ont retrouvé leur stalle. Tout est rangé, propre. Même l'odeur du sang a disparu. Une présence inhabituelle alerte pourtant Anya avant qu'elle ne pénètre vraiment. Les chevaux ne sont pas seuls.

 

Depuis l'entrebâillement de la porte, la jeune femme aperçoit un homme. Elle comprend rapidement qu'il ne s'agit pas du nouveau palefrenier du Comte de Richwel. L'inconnu semble chercher quelque chose, sans parvenir à le trouver.

Les animaux dans leur box s'agitent un peu, sans être effrayés pour autant. Ils observent l'intrus avec attention, scrutant le moindre de ses gestes et l'écoutant murmurer. Anya perçoit ses chuchotements, comme des prédications.

Elle est tétanisée, sans trop savoir pourquoi. Quelque chose chez cet étrange personnage l'effraie un peu. Son long manteau noir peut-être, qui lui fait penser à une ombre menaçante dans l'obscurité des écuries. Elle ne parvient même pas à faire demi-tour pour s'enfuir.

Poussée par la curiosité aussi, elle ne peut s'empêcher de l'observer depuis l'angle de la porte, cherchant à comprendre ce qu'il chuchote ainsi en fouillant dans le foin.

- Akcéso del ségrédor rivélazione, l'entend-t-elle prononcer, akcéso del ségrédor rivélazione.

Elle ne comprend pas ces mots. Et se demande bien pourquoi il parle cette langue étrange et chantante qu'elle n'a jamais entendu avant. Est-ce un étranger ? D'où vient-il ? Il n'a pas l'air de venir d'un lointain pays. Sa peau claire est semblable à la sienne. Il n'est peut-être pas originaire de Félinin, Anya n'ayant aucun souvenir de l'avoir déjà vu avant dans la cité portuaire, alors, sans doute vient-il d'une ville voisine.

- Akcéso del ségrédor rivélazione, répète-t-il plus fort.

Mais rien ne se produit. Et Anya le voit se redresser en soupirant. Ses fouilles semblent infructueuses et le frustrent. Que cherche-t-il ?

Il fait les cents pas au milieu des stalles et des chevaux. Son intense réflexion se lit presque sur son visage. Est-ce le meurtrier qui revient sur les lieux de son crime, se demande la jeune femme, soupçonneuse. D'après ce qu'elle a entendu dire, il serait fort possible que ce soit le cas.

Vu la cruauté dont on a fait preuve en tuant son ami, le coupable d'un acte aussi barbare ne peut que revenir sur le lieu de son crime pour se délecter à nouveau de l'ignominie de son meurtre. Mais devant cet homme qui réfléchit, Anya se dit qu'elle n'imaginait pas du tout le coupable ainsi.

- Ségrédor solventà ! clame-t-il soudain.

Et un courant d'air se crée dans les écuries, dégageant la paille accumulée sur le sol.

- Ah ! Enfin ! s'exclame l'inconnu.

Il s'accroupit sur le sol, mais la jeune femme ne voit pas ce qu'il a trouvé. Il murmure à nouveau quelque chose qu'elle n'entend pas. Et un éclat aveuglant illumine les écuries.

Prise de surprise, Anya fait un pas en arrière et renverse un seau qui traînait là. Le bruit du récipient de métal réveille l'attention de l'intrus. Et elle n'a même pas le temps de le voir bouger qu'il est déjà devant elle, lui bloquant le passage pour qu'elle ne puisse s'enfuir…

- Qui es-tu ? demande-t-il sans entrée en matière.

Elle est incapable de lui répondre, tétanisée.


© Lynn RÉNIER
Signaler ce texte