La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 27 : Illusions Félines
Lynn Rénier
L'animal est superbe. Majestueux, princier. Elle comprend presque pourquoi on le surnomme le roi des animaux, cette épaisse crinière en guise de couronne. Il possède une prestance sans nulle autre pareille. Anya n'en avait jamais vu de bien réel avant ce soir. Et elle n'aurait pas imaginé à quel point la statue de la ville soit si réaliste. Seules manquent la couleur de son pelage et cette étincelle dans les yeux pour lui donner enfin vie.
Fidèle n'a pas l'air impressionné. Comme s'il s'y attendait. Mais Anya n'est pas aussi calme que lui devant la bête qui leur fait face. Le sorcier aux yeux violets a pris l'apparence impressionnante de l'emblème de Félinin, et elle ne parvient pas à y croire. D'instinct, elle voudrait fuir en courant. Pourtant, elle ne parvient pas à commander à ses jambes, et reste figée sur place.
Elle se demande si elle ne rêve pas éveillée. Mais le félin est bien là, elle sent son souffle chaud sur sa joue. Il est tel qu'elle aime le voir sur la grande place du marché. Ce pelage épais qui lui tient lieu de crinière, ce corps musculeux tout de nerfs tendus, ce regard puissant qui impose le respect. Comme si la statue elle-même a pris vie, devant elle, tout à coup.
Le fauve grogne, mais reste si magistral. Ces yeux sont de ce même violet que ceux du sorcier, comme s'il gardait cette particularité même en prenant une autre forme. Il avance sur ces pattes si fortes qu'un seul coût décapiterait un homme. La jeune femme tombe des nus et se recroqueville pour se protéger. Elle est persuadée qu'il va la dévorer, comme un furet croque un poussin en apéritif.
Mais, étonnement, elle est partagée entre terreur et fascination. Elle est irrémédiablement attirée par ce félin au pelage d'or. Elle voudrait bien glisser ses doigts dans l'épaisse crinière brune qui entoure sa tête. Elle voudrait toucher cette fourrure couleur sable…
Le chien ne bouge pas, restant devant elle, défiant le lion du regard sans ciller. Cependant, il ne montre plus les crocs. Il n'est plus aussi menaçant que quelques secondes auparavant. Sans doute est-il intimidé, suppose la jeune femme. En tout cas, il n'en montre rien.
Le fauve arrondit son dos, signifiant qu'il n'est pas enclin à affronter le chien. Or, si cela s'avère nécessaire, il n'hésitera pas. Feulant entre ses dents aiguisées, il rôde en cercle devant Anya et Fidèle. La jeune femme se réfugie dans un angle des écuries, craignant pour sa vie. Mais elle ne peut que constater que la bête ne montre aucune agressivité à son égard. Elle défie seulement le chien qui lui tient tête.
Les chevaux s'affolent, et vont finir par révéler leur présence. Puis, devant les yeux médusés d'Anya, la défiance qui se lisait dans les yeux du chien quelques instants plus tôt disparaît. Il s'assoit calmement devant le grand félin qui lui adresse un regard étonné et presque reconnaissant. La jeune femme n'en revient pas. Elle se sent trahie par l'animal. Que lui arrive-t-il ? Capitule-t-il devant le sorcier ?
Ce dernier reprend alors son apparence humaine, comme si sa métamorphose n'était qu'un mirage, et vient caresser la tête du chien. Fidèle se laisse faire sans grogner.
- Fidèle, mais qu'est-ce qui te prend ? s'affole Anya.
- Il a compris que je n'étais pas là pour te faire de mal, répond calmement l'étranger.
- Pourquoi être sur le lieu du crime dans ce cas ?
- Tu es têtue… Puisque je te dis que je n'y suis pour rien dans la mort de ton ami, s'exaspère le sorcier. Et toi ? À ce propos, que fais-tu là ?
Il n'a pas tout à fait tort de lui poser la question, au fond. Elle le sait. Venir dans les écuries à cette heure si tardive la rend suspecte elle aussi.
- Je venais pour un dernier au revoir, murmure la jeune femme en dévoilant le petit bouquet qu'elle cachait dans la poche de son tablier.
- Oh, je vois. Je…
Mais le jeune homme n'a pas le temps d'achever ses excuses. Ou du moins, ce qui semblait être des excuses. Au dehors, un bruit attire son attention et Fidèle se redresse comme un ressort, tous ses sens à l'affût.
- Qu'est-ce que c'était ? ose Anya.
- L'agitation a alerté la garde, siffle le sorcier.
La jeune femme réalise alors que la Brigade du Lynx est sur les lieux depuis la découverte du meurtre et n'en est jamais partie. Les agents ont été si discrets qu'elle ne les a pas vus en venant. Ils attendaient patiemment le retour du tueur pour le coincer. Quelle bêtise d'avoir cru pouvoir pénétrer le domaine du Comte sans ennuie… Maintenant qu'elle est là, comment expliquer qu'elle est simplement venue rendre hommage à son ami ?
Le sorcier ne la laisse pas songer d'avantage. Pour lui, le choix est vite fait et il prend la décision à sa place :
- Il faut partir. Tout de suite !
- Mais…?
Il ne lui laisse pas le loisir de répliquer. Et il ne lui laisse pas non plus le temps de remettre ses idées en ordre. Déjà, il ordonne à Fidèle de faire diversion. L'animal lui adresse un regard dubitatif.
- Fidèle ! S'il te plait.
- Il n'aime pas les ordres, lui fait savoir Anya.
- Ça m'aurait étonné, aussi, soupire le jeune homme.
- Fidèle, l'appelle la jeune femme-de-chambre, nous avons besoin de toi.
Elle s'accroupie, comme elle a vu Évelyn le faire tant de fois avec le canidé. L'animal s'approche d'elle, glissant son museau dans ses mains avec douceur.
- Tu veux bien ?
Il lui lèche la joue et file vers la porte.
- Merci mon grand. Et préviens Évelyn, qu'elle ne s'inquiète pas.
Il incline furtivement la tête, comme pour lui signifier qu'il s'exécutera sans faute. Puis, il se glisse par la porte pour disparaître dans la nuit.
- Il ne lui manque vraiment que la parole, siffle le jeune homme.
- Ce n'est pas nécessaire, il sait parfaitement se faire comprendre, tempête Anya.
Elle est furieuse de devoir s'enfuir comme une voleuse à cause de lui. Elle pourrait chercher à se justifier devant les agents de la milice, mais ce serait sans doute peine perdue. Un peu comme si elle était prise la main dans le sac. Dans quelle galère s'est-elle fourrée ?!
- Et maintenant ? Que fait-on ? demande-t-elle, amer.
- Je m'en occupe.
Il ferme les paupières, se concentrant. Curieusement, Anya n'ose pas le sortir de sa méditation. Elle est trop avide de voir ce qu'il va faire. Puis, il ouvre les yeux pour clamer :
- Illusiào félis distinendae !
Peu à peu d'étranges formes se créent autour de lui. Prenant doucement la forme de félins, plus ou moins grands, au pelage uni, tigré, tacheté, moucheté. Les apparitions sont tels des fantômes de fumée. La jeune femme observe la magie œuvrer avec une fascination enfantine, les yeux brillants et captivés.
Les félins, qu'ils soient chats, panthères, lions, lynx, tigres ou encore ocelots, se faufilent à l'extérieur sur ordre du sorcier. Et au dehors, les soldats expriment vivement leur surprise devant les spectres qui s'échappent des écuries. Le jeune homme décide d'en profiter mais il s'aperçoit bien vite que la fuite est difficilement envisageable de façon discrète.
Ils sont cernés. La Brigade du Lynx est déjà là, les encerclant, postée tout autour des écuries. Il va falloir se glisser entre les soldats pour s'échapper tout en profitant de l'agitation qui a maintenant gagné les rangs grâce à ses illusions.
- C'est lui ! Ne laissez pas le sorcier s'enfuir ! ordonne un homme qui l'entraperçoit par l'encadrement de la porte ouverte.
En retour, il récolte un grondement rauque de la part du chien. Voilà une opportunité à ne pas râter. Aussitôt, le sorcier agrippe Anya par le poignet, sans hésiter, pour l'entraîner avec lui. Mais elle l'arrête. Qu'est-il en train de faire ? Où compte-t-il l'emmener ainsi ? Elle n'est pas décidée à se laisser faire sans rien dire et cherche à se débattre.
- Je ne te laisse pas le choix, dit-il d'une voix dure.
- Quoi ?! Il n'en est pas question ! Je…
Il ne lui laisse pas le loisir d'en dire plus. Déjà, il a saisi son bras et l'entraîne à sa suite, profitant de la panique que causent les spectres félins et Fidèle dans les rangs des miliciens…
© Lynn RÉNIER