La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 28 : Course Folle

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Ils se faufilent entre les soldats, évitant leurs armes, les laissant se battre contre les félins de vapeur. Anya appelle Fidèle, mais il ne l'entend pas dans le vacarme de métal. Il s'attaque aux mollets des miliciens, pour permettre aux deux jeunes gens se s'échapper. Seulement la jeune femme-de-chambre aimerait qu'il l'accompagne. Elle craint qu'il ne lui arrive malheur à lui aussi.

Le sorcier ne la laisse pas s'attarder. Il presse le pas, les soldats les ont remarqués. Et il ne lâche pas son poignet, son étreinte se fait même plus forte. Inconsciemment, elle le suit, ne cherchant pas à se libérer. Sans doute par instinct de survie.

- Attention, lui dit-il à l'approche d'une branche basse dans les jardins.

Elle l'évite de justesse tandis qu'il accélère l'allure.

Les miliciens se sont rapidement repris face aux illusions félines. Ils sont désormais sur leurs traces, si proches, le tintement de leur armure et de leurs armes résonnant derrière eux. Anya est terrifiée. Son cœur bat la chamade, son estomac se tord d'angoisse et elle tremble de tous ses membres. Par chance, sa course éperdue l'empêche de s'en rendre vraiment compte.

Le sorcier l'entraine un peu plus à mesure qu'ils avancent. Les voilà qui traversent les jardins du Comte de Richwel au pas de course. Anya n'arrive pas à mesurer la distance qui les sépare du portail que bientôt elle l'aperçoit déjà.

Les soldats derrière eux lui font prendre conscience qu'elle ne mesure plus les distances ni le temps. Qu'en réalité, ils tentent de fuir depuis quelques minutes, qu'ils essaient de semer les miliciens dans les allées des jardins du Domaine de Richwel. Sans succès.

- Dépêches-toi, lui reproche le sorcier, plus par peur que par réelle méchanceté.

Il ne veut pas être pris. Et elle le sent bien. Elle le comprend. Au vue de la situation, elle non plus ne veut pas être arrêtée par la Brigade du Lynx.

La réputation de l'Inspecteur Hotch n'est plus à faire. Il est connu comme étant un homme droit, qui ne pardonne pas aux criminels et qui fait son travail avec un flegme et un sérieux sans faille. Anya redoute son jugement si ses hommes parviennent à les arrêter. Elle en a même peur. Car un meurtre, acte impardonnable, mène à une lourde peine.

Alors, elle suit aveuglément le sorcier. Il n'a pas lâché son poignet et n'a pas ralenti son rythme effréné vers la sortie du domaine. Le haut portail est fermé, mais d'une formule clamée, il le fait ouvrir :

- Apertus ostium ! prononce-t-il avec assurance, dessinant un cercle antihoraire dans l'air du bout des doigts.

Alors, comme si la seule force de sa pensée suffisait, comme si un fantôme avait glissé la clé dans la serrure et poussé les lourds battants pour leur ouvrir la route, le portail s'ouvre à leur arrivée. Anya en reste bouche bée. Comment peut-il faire obéir les choses avec de simples paroles ?

- Cluserit ostium, lâche-t-il une fois qu'ils sont passés.

Et le portail se ferme brusquement avant que les soldats n'arrivent. Le bruit assourdissant déstabilise Anya une seconde, mais le sorcier ne lui laisse pas le temps de reprendre ses esprits complètement.

Lui, esquisse un sourire malin, sans cesser de courir pour autant. Il veut mettre le plus de distance possible entre eux et les agents de la brigade. Il veut les semer. Et il s'élance vers la ville, ayant pour but de faire perdre leur trace aux miliciens en s'enfilant dans les ruelles. Le labyrinthe de Félinin est peut-être leur échappatoire.

Sans hésiter, le sorcier file vers le cœur de la cité. Le trajet qu'Anya prend d'ordinaire par le funiculaire, ils le font à pied, dévalant la colline vers la mer. La jeune femme manque de trébucher plusieurs fois, mais l'inconnu ne s'arrête pas pour la retenir et accélère presque l'allure. Elle ignore si elle parviendra à tenir ce rythme plus longtemps.

 

La ville endormie ne prête pas attention à leur passage à vive allure. Seul l'emblème de la cité, reproduit un peu partout, semble les suivre du regard. Sur les murs et les façades, les frontons et les colonnes, le paisible lion les observe de ses yeux de pierre, et Anya se demande si l'animal n'est pas bien plus qu'une simple effigie. Elle se demande parfois s'il n'est pas vivant.

Après ce qu'elle vient de voir, le sorcier se métamorphosant en ce prodigieux félin, ce qu'elle pensait connaître lui semble si étranger à présent. Elle ne sait plus ce qu'elle peut croire ou non. Elle ne parvient plus à distinguer ce qui est légende de ce qui est réel. Tout se mélange dans son esprit. Et si elle n'était pas concentrée sur l'endroit où elle pose les pieds dans cette course éperdue que lui impose le sorcier, elle ne cesserait d'y penser.

Lui ne cesse de murmurer des paroles qu'elle ne comprend pas, dans cette langue chantante qui envoute un peu. Il semble si concentré. Elle aimerait pouvoir comprendre ce qu'il dit, savoir pourquoi il psalmodie ainsi, et dans quel but.

- Cancellare impronta, l'entend-t-elle chuchoter.

- Qu'est-ce que vous dites ? demande-t-elle curieuse, sans pour autant avoir de réponse.

Lui accélère le pas un peu plus encore, comme si un monstre assoiffé de sang était à leurs trousses. Et il ne semble pas entendre Anya le questionner.

- Hey ! Qu'est-ce que vous faites ? Attendez ! Pas si vite…

Elle manque une nouvelle fois de tomber, son pied heurtant un pavé mal enchâssé de la chaussée. Elle se rattrape tant bien que mal, son poignet toujours dans la prise solide du sorcier qui ne la lâche pas.

- Cancellare impronta, répète-t-il, presque imperturbable.

Il se retourne à peine pour voir si elle le suit toujours. Elle essaie, tant bien que mal. Mais elle a le désagréable sentiment que ce bref regard en arrière n'est pas pour elle. Il est pour les soldats qui les suivent. Le sorcier veut s'assurer qu'ils sont parvenus à les distancer. Ce n'est pas du tout parce qu'il s'inquiète pour elle. Elle en est persuadée. Il ne lui laisse pas le loisir de s'en offusquer :

- Dépêches-toi, lui somme-t-il d'un ton plus dur qu'il ne l'aurait voulu.

- Je fais ce que je peux ! lui rétorque-t-elle.

Il ne prend pas la peine de lui répondre, ce qui lui fait monter la moutarde au nez plus encore. Anya ne supporte pas son silence. Elle veut des réponses ! Cette course folle n'a que trop durée ! Elle est essoufflée, épuisée, et a mal aux pieds. Ses petites bottines à talons ne sont vraiment pas faites pour courir.

 

Ils ont presque traversé la moitié de la ville à présent. Et d'être contrainte de le suivre ainsi sans savoir où il peut bien l'entraîner l'effraie.

- Expliquez-moi, l'implore-t-elle.

Mais à nouveau, il reste silencieux à ses questions. Et il ne cesse de forcer l'allure.

La jeune femme-de-chambre n'arrive pas à le suivre. Il court trop vite. Et ses jambes ne parviennent pas à maintenir l'allure qu'il lui impose. Elle manque de trébucher nombres de fois sur un bord de trottoir ou sur les pavés. Mais, par chance sans doute, l'emprise du sorcier sur son poignet la maintient dans la course et l'empêche de tomber. Quoi qu'il en soit, elle ignore combien de temps encore elle pourra tenir cette allure forcée.

Lui est grand, ses longues jambes robustes taillées pour la course. Il ne semble pas craindre l'effort. Mais à l'inverse, elle, n'est pas du tout dans la même catégorie que lui. Elle est de taille moyenne, mince et guère musclée. Ses jambes fines n'ont pas l'habitude d'être ainsi sollicitées. Et son cœur n'est pas endurant. Elle ne sait pas comment elle parvient à le suivre depuis si longtemps à cette allure. C'en est presque surhumain.

Elle croit même un temps que tout ceci n'est qu'un mauvais rêve. Comme si elle ne pouvait s'empêcher de courir sans fin, dans un rêve où la fuite est inévitable, interminable. Comme si ses jambes s'agitaient sans but, que malgré la vitesse de son allure, elle n'arrivait pas à mettre de la distance entre elle et ses poursuivants.

Elle a le sentiment qu'elle vit l'un de ces rêves désagréables où l'on court sans fin, sans jamais parvenir à fuir, sans parvenir à échapper à ceux qui sont sur ses traces. Anya est persuadée que leur course folle n'en finira jamais, qu'ils vont courir ainsi jusqu'à l'aube. Son souffle se fait sifflant, ses poumons sont enflammés, ses jambes sont douloureuses, ses pieds la brûlent et sa tête tourne. Elle sait qu'elle ne tiendra pas plus longtemps le rythme que le sorcier lui exige. Elle n'est pas endurante. Elle ne l'a jamais été. Et son corps le lui rappelle avec rudesse. Elle a déjà mal partout.

Puis, alors qu'ils dépassent la statue du lion sur la grande place, l'inconnu tourne brusquement sur leur droite. Elle manque de glisser sur les pavés mais parvient à se rattraper tant bien que mal pour le suivre.

- Cancellare impronta, cancellare impronta, répète-t-il une nouvelle fois tandis qu'ils perdent de vue la statue du félin.

Le sorcier se faufile dans une rue étroite, plongée dans le noir. Et elle prend peur. Où l'entraine-t-il ainsi ?! Qu'a-t-il en tête ?!

De nouveau, sans prévenir, il bifurque sur sa droite pour débouler devant une maison minuscule que l'on remarque à peine dans cette rue sombre. Nichée entre deux résidences plus imposantes, elle passe presque inaperçue. S'il ne s'était pas arrêté devant si brusquement, Anya n'y aurait sans doute jamais fait réellement attention.

Il jette un regard rapide dans son dos, vérifiant qu'ils ne sont pas suivis, puis ouvre la porte et s'engouffre à l'intérieur en entrainant Anya avec lui sans lui demander son avis.


© Lynn RÉNIER
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