La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 29 : La Planque du Sorcier

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

La modeste porte en bois s'ouvre sur un intérieur dépouillé. Le sorcier la fait entrer, ne se préoccupant pas de ses protestations, et ferme la porte derrière eux sans attendre une seconde de plus. Enfin, il lâche son poignet et elle ne peut pas s'empêcher de le frotter comme pour faire disparaître cette empreinte invisible qu'il y aurait laissée. Et maintenant ? Que va-t-il faire ? Et où l'a-t-il emmené ? Elle lui jette un regard méfiant, tandis qu'il verrouille la porte. Il se laisse même aller à s'adosser contre le battant de bois en soupirant, reprenant son souffle. Sont-ils vraiment à l'abri ?

Anya a chaud, la sueur perle dans son dos et sur son front. Elle souffle à en perdre sa respiration. Elle a l'impression que son cœur va sortir de sa poitrine tellement il bat vite et fort. Elle n'aurait jamais imaginé un jour devoir courir aussi vite. Comme si elle avait la mort aux trousses. Elle espère que les soldats ont perdu leurs traces, qu'ils ne les retrouveront pas. Peut-être est-ce pour effacer leur piste que le sorcier n'a pas cessé de psalmodier durant leur course folle.

- Oui, c'est pour cela, répond l'inconnu.

Elle sursaute. Lit-il dans ses pensées ? Elle lui adresse un regard outré, et le sorcier ne manque pas de lui répondre :

- Ne me regarde pas comme ça, bougonne-t-il. Tu réfléchis à voix haute.

Anya se sent soudain bien bête. Elle ne s'est même pas rendu compte qu'elle parlait toute seule. Elle s'imagine déjà rougir à en être cramoisie. Qu'a-t-elle dit qu'il n'aurait pas dû entendre ? Rien, espère-t-elle.

- Où sommes-nous ? questionne-t-elle, comme pour détourner l'attention.

- Chez moi.

Sa réponse la met profondément mal à l'aise.

- Enfin, reprend-t-il, disons que c'est mon point d'attache quand je viens à Félinin.

Il n'habite donc pas vraiment ici. Mais ça ne la rassure pas pour autant.

- Pourquoi m'avoir entraînée ici ?

- C'est le seul lieu sûr que je connaisse dans cette ville. Cette maison est protégée par un charme. Les soldats ne la trouveront pas.

- En êtes-vous vraiment sûr ?

- Tant que le sort est maintenu, nous ne risquons rien.

- Dois-je vous rappeler que je ne risquais rien avant que vous ne décidiez de m'entraîner dans votre fuite ! lui reproche-t-elle aussi sec.

- Je m'en serais passé, marmonne-t-il.

Elle n'en croit pas ses oreilles. De quel droit ose-t-il lui faire un tel reproche ?! À ce qu'elle sache, elle ne lui a rien demandé !

- Pardon ?! s'emporte-t-elle aussitôt. Vous ne m'avez pas laissé le choix !

Il lâche un profond soupir exaspéré :

- Je ne parlais pas de ça.

- Vraiment ?! s'offusque-t-elle de nouveau. Et de quoi parliez-vous donc alors ?!

- De devoir fuir, tranche-t-il aussitôt, telle une évidence.

Pour Anya, ça ne l'est pas. Elle croit que c'est d'elle dont il aurait préféré se passer dans sa fuite, et elle ne comprend pas pourquoi il a choisi de l'entraîner avec lui si elle l'encombre. Mais son ton tranchant la dissuade de chercher d'avantage.

- Si vous ne m'aviez pas entraînée à vous suivre, je n'aurais pas eu à fuir… lâche-t-elle pourtant malgré elle.

- Cela revient au même, de mon point de vue. J'aurais été contraint de fuir dans tous les cas…

Il dit cela d'une voix si lasse, presque traînante, qu'elle s'en trouve surprise. S'il n'a rien à se reprocher, pourquoi a-t-il fui dans ce cas ? Il n'a pas tardé d'ailleurs, à peine a-t-il entendu les soldats approcher qu'il a filé avec elle dans son sillage. Que cache-t-il ?

Elle veut le lui demander, avoir le courage de lui poser la question. Mais il ne lui en laisse pas l'occasion et déjà, il s'engage dans l'ombre de la maison. La jeune femme le suit des yeux, n'osant s'aventurer plus avant sur ses traces. Elle devine un couloir étroit menant à une petite pièce plongée dans l'obscurité. Il y disparaît sans se retourner.

Anya hésite un moment, à savoir si elle doit le suivre ou non. L'entrée est éclairée d'une faible lueur dont elle ne parvient pas à trouver l'origine mais qui lui semble chaleureuse. Cette pénombre qui l'attend au bout de ce mince couloir ne l'encourage pas à rejoindre le sorcier. Elle se surprend à devenir si craintive. Elle qui d'ordinaire est si curieuse de tout. Ça ne lui ressemble pas.

Jetant un regard vers la source de lumière qui éclaire la petite entrée de la maison, elle se rend compte qu'il n'y a pas d'ampoule, pas de bougie allumée. Et ça l'intrigue. Est-ce le sorcier qui est la cause de cette source lumineuse invisible ? Est-ce encore une de ses formules qu'elle ne l'a pas entendu prononcer, cette fois ?

Une lueur s'éclaire dans la pièce et attire son attention. Tout à coup, ce long couloir guère large est moins inquiétant. L'ombre du sorcier se dessine sur le mur, comme une invitation insidieuse. Peu à peu la curiosité l'emporte sur la réserve. Et alors, instinctivement, elle suit le jeune homme passé avant elle dans le long de l'étroit couloir, passe devant une porte fermée, puis une deuxième, avant de débouche sur la petite pièce dans laquelle il est entré.

Il s'agit d'une petite cuisine avec à peine ce qu'il faut pour préparer, une simple table trônant au centre, entourée de deux chaises. Une casserole traîne sur le feu éteint. Une vieille bouilloire laissée dans un coin. Des placards qui n'ont pas l'air bien pleins. Une fenêtre guère imposante donnant sur une cours intérieure minuscule. Et la porte entrouverte d'un garde-manger quasiment vide.

Anya n'ose pas entrer et l'observe déambuler dans la pièce. Après tout, il ne l'a pas invitée, pas de façon explicite et claire. Elle sait qu'elle s'impose et elle n'aime guère cette idée. Elle a le sentiment de déranger. Qu'elle n'a pas sa place ici. Et il le lui a déjà bien fait sentir…

Le sorcier agit comme si elle n'était pas là. Il fouille dans l'un des placards, en sort un verre. Il est détendu, comme si rien ne s'était passé peu avant. Il a bien confiance en lui et en sa magie, peut-être trop confiance même, ne peut s'empêcher de noter la jeune femme. Le voilà qui se prépare du thé alors qu'une minute plus tôt, ils dévalaient les rues de Félinin à en perdre haleine. C'est à n'y rien comprendre.

Sans s'en rendre compte, elle croise les bras devant elle, un regard plein de colère braqué sur lui. Il met du temps à le remarquer. Et de se rappeler qu'elle est là le met mal à l'aise. Il n'est pas un hôte admirable, il en prend conscience comme s'il venait de recevoir une gifle. Et ce n'est pas agréable, il en convient ! Elle est là par sa faute, il se doit de la recevoir comme il se doit.

Il se tourne de nouveau pour saisir un second verre, puis s'absente une seconde le temps de récupérer une bouteille en verre remplie d'une boisson de couleur orangée dans le garde mangé. La jeune femme ne bouge pas et le suit des yeux, scrutant le moindre de ses gestes. En revenant, il se dit qu'il aurait pu faire appel à sa magie pour amener la bouteille à lui, mais qu'il s'en garde : il en a fait déjà trop usage en si peu de temps, plus encore devant une non-initiée. Pas la peine d'en rajouter, elle en a déjà trop vu.

Mais par habitude, il fait un geste furtif de la main et les verres se remplissent sans qu'il n'ait à ouvrir la bouteille. Il se retient de jurer : il aurait dû se contrôler mieux que ça ! Ses habitudes risqueraient de lui couter cher s'il fait usage de sorts sans y réfléchir ! Le regard interdit que la jeune femme lui adresse lui confirme sa pensée.

- À l'avenir, fais donc plus attention, se chuchote-t-il pour lui seul avec reproches.

Par chance, elle ne l'a pas entendu, bien trop émerveillée, ou choquée, par ce qu'il vient de faire avec un simple tour de poignet. Il voit bien dans ses yeux qu'il n'y aucune peur, simplement de la surprise. La voilà devant quelqu'un faisant partie d'un cercle particulier, qu'elle pensait disparu ou n'être qu'une légende. Il lui faut du temps pour digérer cette soudaine réalité, il le sait. Et cela ne va pas être si simple, présume-t-il.

Il lui fait signe de s'asseoir mais elle refuse d'un vif mouvement de tête. Ses épais cheveux clairs viennent fouetter ses joues, son chignon si parfait s'étant défait dans leur course. Cette couleur d'un joli châtain clair l'attire. Et ce simple geste de négation et de timidité mêlée lui apporte un parfum vanillé dont il se délecte à s'en surprendre presque. Puis, il y aussi ces deux grands yeux expressifs semblables à deux bonbons au caramel perdus au milieu d'un adorable minois…

Une seconde. Que lui arrive-t-il tout à coup ?! Le voilà fasciné comme jamais il ne l'a été. Il s'ébrouerait comme un chien s'il le pouvait, pour chasser ce brusque envoutement qu'elle jette sur lui sans s'en rendre compte. Difficile de retrouver ses esprits. Il est tellement troublé qu'il a du mal à savoir ce qu'il était en train de faire. Son esprit embrouillé lui est bien retord tout à coup. Il peine à se souvenir. Comme si ce regard l'avait complètement happé.

Ah oui ! Son rôle d'hôte digne de ce nom ! Voilà que ça lui revient enfin. Doucement, et non sans mal, il reporte aussitôt son attention sur les deux verres servis, de sorte qu'elle n'ait pas le temps de remarquer son regard troublé, et s'apprête à lui proposer de se mettre à l'aise, faisant un pas malencontreux vers elle…

Elle l'arrête aussitôt en reculant. Elle ne le laisse pas approcher d'avantage. Elle a peur de lui, il le voit bien. Elle n'a pas confiance, et quoi de plus normal après tout. Avant qu'il n'ait eu le loisir de dire un mot, et sur un ton empli de stress qu'il ne peut que remarquer, elle lui lance :

- Mais qui êtes-vous, bon sang ?!

Elle veut des explications, et ne lui permet pas de la faire attendre d'avantage. Il le sent bien. Il va devoir lui dire la vérité.


© Lynn RÉNIER
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