La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 30 : Pour sa Défense

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Il ne sait pas trop par où commencer. Et il doute aussi. En réalité, à cet instant, il est plein de doutes. Il aurait bien aimé pouvoir lâcher un profond soupir, mais il s'abstient. Elle pourrait mal le prendre. Alors, il s'installe à la petite table, posant les deux verres qu'il a servi d'un liquide orangé et en propose un à la jeune femme qui refuse simplement d'un nouveau signe de tête.

Il lui propose une fois encore de s'asseoir, la voir rester campée sur ses jambes le gêne, mais elle tient à rester debout. Elle ne va pas lui faciliter la tâche. Il en a parfaitement conscience.

- Je n'ai pas tué ton ami. Croies-moi.

- Comment pourrais-je vous croire ? Vous m'avez forcée à vous suivre ! Me voilà votre complice…

La jeune femme a les larmes au bord des yeux. Il le voit bien. Les émotions se bousculent en elle. Et ça le peine d'en être responsable.

- Je sais, mais je ne pouvais pas te laisser là-bas.

- Pourquoi ? Je n'avais rien à craindre.

- La milice t'aurait suspectée, à ma place.

Elle ne sait que répondre : il a raison. Et puis, il pensait bien faire.

Un soupir léger lui échappe. Il boit une gorgée et s'aperçoit que la jeune femme l'observe avec gêne. Pourquoi lui a-t-il imposé cette fuite ? La voilà considérée comme sa complice par la Brigade du Lynx. Quel idiot ! Cependant, il ne pouvait pas la laisser dans les écuries alors que la milice les encerclait. Ils l'auraient prise pour la coupable, alors qu'elle est innocente.

À y réfléchir, quoi qu'il ait fait, la situation est la même. La voilà embarquée dans une histoire qui ne la concerne pas. Et tout cela par sa faute. De la voir si mal à l'aise l'incite alors à s'adoucir, à s'expliquer. Et surtout à commencer par se présenter :

- Je m'appelle Dante Cait-Sidhe. Et je suis mage diplômé de la cité d'Armonis.

Comme rassurée, elle se laisse convaincre par le verre qu'il lui a servi et vient s'asseoir face à lui. Encouragée par ce regard plus détendu qu'elle lui adresse, il poursuit donc :

- J'ai été envoyé ici pour résoudre le meurtre du jeune palefrenier qui travaillait chez le Comte de Richwel.

- Pour quelle raison ? Sa mort n'a rien de surnaturel…

- La mort de Gautier Jorly intrigue l'Assemblé des Hauts-Mages par sa violence et le manque de mobile apparent. J'ai été nommé en charge de cette affaire.

- Il y a la Brigade du Lynx pour cela ! lui rétorque la jeune femme, semblant peu convaincue. Et il n'y a rien de magique dans la mort de Gautier, que je sache. Sauf si c'est vous qui êtes coupable de sa mort…

Le jeune homme n'aime guère ce sous-entendu. Surtout venant de la jeune femme. Il se sent blessé par ses paroles. Sans trop savoir pourquoi en fait. Quoi qu'il en soit, ça ne lui plait pas qu'elle le pense responsable de ce meurtre.

- Je suis à Félinin depuis seulement deux jours. Je n'aurais pas pu assassiner ce garçon de toute façon. Et je ne pratique pas la magie noire. C'est le véritable meurtrier qui en use.

- Qu'est-ce que vous racontez ? Il n'y a plus de mage à Félinin depuis des lustres.

- Détrompes-toi. Les mages sont toujours là. Mais nous nous rendons discrets.

- Vous racontez vraiment n'importe quoi. Nous le saurions si Félinin abritait des sorciers.

Dante commence à s'exaspérer. Cette demoiselle est têtue ! Il n'arrivera pas à lui faire entendre raison.

- Il y a bien des choses qu'on ne raconte plus. Mais il y a toujours des mages dans le pays. Auquel cas, l'Académie d'Armonis n'existerait pas.

- C'est juste, relève la jeune femme en baissant les yeux.

Se rend-t-elle enfin conscience qu'il n'est pas le méchant de l'histoire ?

- Il faut que je résolve cette affaire. Il m'est malheureusement impossible d'en parler à Hotch avant d'avoir des preuves tangibles. Il ne me croirait pas.

- L'Inspecteur Frank Hotch ?

- Oui. Il n'aborde pas l'enquête du même point de vue que moi. Alors, tant que je ne pourrais pas prouver mon innocence, je ne peux pas lui parler de mes hypothèses. Je dois trouver de solides preuves à lui présenter pour appuyer mes soupçons.

- Mais de quels soupçons parlez-vous ? L'Inspecteur Hotch est bien plus qualifié que vous pour résoudre ce meurtre. Ne croyez-vous pas ?

- Si certainement.

- Alors pourquoi ne pas vous rendre et lui exposer vos idées. Fuir ne fait que confirmer votre présumée culpabilité.

- Ce n'est pas faux. Là-dessus, je ne peux que te donner raison. Seulement, je n'ai pas le choix. Je dois résoudre le mystère qui plane sur ce meurtre. Et pour cela, je ne peux pas me rendre.

- Je comprends, souffle la jeune femme en concentrant son attention sur le verre qu'elle tient.

Ce liquide orange l'intrigue. Elle n'a pas confiance, mais de le voir boire lui permet de se rassurer : il n'est pas empoisonné. Elle ignore ce que c'est mais elle laisse sa soif parler. Et ce petit goût sucré sur sa langue lui plait. Dante esquisse un sourire discret.

- Et à qui ai-je l'honneur ? demande-t-il doucement après une minute de silence.

- Pardon, dit-elle d'une voix soudain bien timide, je ne me suis pas présentée en retour. Je suis bien mal élevée. Je m'appelle Catanya, Catanya Valentin. Mais tout le monde ici m'appelle Anya.

- Ravi de te connaître, Catanya. Et je regrette bien que cela se passe dans ces conditions. Pardon pour tout ça.

Qu'il prononce son prénom, en entier, lui fait un drôle d'effet. Plus personne ne l'appelle ainsi, pas même ses parents. Son surnom a vite pris la place. Afin de ne rien en montrer, elle pose simplement le verre sur la petite table, pour baisser de nouveau les yeux.

- Travailles-tu pour le Comte de Richwel pour t'être trouvée aux écuries tout à l'heure ? questionne-t-il pour rompre le silence.

- Non, je… Je suis femme-de-chambre chez la famille D'Avila. Enfin, je devrais dire j'étais. Puisque maintenant je ne pourrais plus retourner travailler sans être arrêtée.

- Je suis navré. C'est ma faute.

- Dame Inarah ne m'en tiendrait pas rigueur, j'en suis certaine. Mais la milice ne sera pas du même avis qu'elle. Alors…

- Je te promets qu'une fois je saurais ce qui se trame, je ferais tout pour que tu sois mise hors de tout soupçon et que toute cette histoire n'entache pas ta réputation.

La jeune femme lui adressa un regard qui le trouble, plein de remerciements avant l'heure. Mais c'est si fugace qu'il ne sait pas très bien si c'est son esprit qui lui joue des tours ou si c'est bien réel. Il lit surtout de la fatigue dans son regard couleur caramel. Et avec la nuit bien avancé, il comprend pourquoi.

- Je te laisse mon lit, si tu as besoin.

Elle ne lui répond pas, le regard fixé dans le vague. Il se lève donc, pour s'approcher. Puis, il pose doucement sa main sur son épaule et elle sursaute.

- Catanya, appelle-t-il. Est-ce que tout va bien ?

- Heu, oui. Je… Je suis simplement épuisée.

- Je vois cela.

Dante sait combien les émotions ont été dures pour elle ces derniers jours. Elle semble si proche du jeune garçon assassiné. Il a tant de peine pour elle. Elle lui paraît si douce, si gentille. Elle ne mérite pas ce qui lui arrive.

Il la laisse le temps de lui préparer une assiette chaude et un bol de soupe. Qu'elle mange en silence. Ce silence qu'il trouve si pesant, presque gênant. Il aimerait lui poser tant de questions sur son ami décédé. Mais il sait qu'elle n'est pas prête. C'est encore un sujet douloureux pour elle. Il le lit dans ses yeux.

Il l'a bien remarqué au cours de leur conversation dans les écuries. Sans chercher à comprendre, à savoir ce qu'il faisait là, elle l'a accusé sans réfléchir. C'est compréhensible. Il ne peut la blâmer pour cela. Lui-même se serait déclaré coupable à sa place. Comme elle l'a si bien dit : il était sur le lieu du crime, comme un meurtrier fétichiste de son acte.

Mais à peine lui a-t-il exposé les raisons qui l'ont amené à se trouver dans les écuries que sa colère s'est effacée. De tigresse agressive, elle est devenue chaton craintif en quelques minutes à peine. Peut-être que les explications qu'il vient de lui fournir pour sa défense l'avait convaincue. Du moins, il l'espère.

- Je ne peux pas rentrer au Domaine des Arflors, gémit-elle. Et si la milice m'y attend…

- Tu peux rester ici pour la nuit. Je serais bien mal avisé de te mettre dehors alors que c'est à cause de moi que tu te retrouves dans cette situation.

- Je ne veux pas vous déranger, répond-t-elle aussitôt avec gêne.

- Si c'est proposé, c'est que ce n'est pas imposé.

- Je vous remercie.

- Non, ne me remercie pas. Tu n'as pas à le faire puisque tu es là par ma faute.

Il joint ses mains, se tortillant les doigts. Il se sent tellement coupable de l'avoir entraînée dans cette histoire. Il n'aurait pas dû la forcer à le suivre. Mais la milice s'en serait prise à elle. Elle qui est innocente. Il ne pouvait tout simplement pas laisser faire ça.

- Ma bonne âme me perdra, se murmure-t-il à lui-même sans qu'elle ne l'entende.

Il s'apprête à la guider vers la chambre, quand elle l'arrête, saisissant son bras avec douceur. Il se tourne alors vers elle et son regard croise le sien. Elle l'observe comme un chat curieux, dont les yeux sont pleins de questions. Et il n'arrive pas à détourner le regard.

- Dante, je veux comprendre. Comprendre pourquoi…

Mais elle s'arrête dans sa question, en proie à ses émotions.

- Que veux-tu comprendre exactement ? lui demande-t-i l avec douceur.

- Pourquoi Gautier est-il mort ? Pourquoi s'en est-on pris à lui ? Qu'a-t-il fait pour mériter un sort pareil ? Lui qui est… Pardon… Lui qui était un si gentil garçon…

Qu'elle parle encore de lui au présent montre combien le palefrenier et elle étaient proches. Dante a un pincement au cœur.

- Je ne sais pas encore, Catanya.

- Je veux simplement savoir pourquoi…

Les larmes se mettent à couler sur ses joues et il s'en mordrait presque les lèvres.

- Je n'ai pas encore de réponse à te donner. Mais sois assurée que dès que je les aurais, tu sauras pourquoi ton ami est mort.

- Tout ce que j'espère est qu'il ne soit pas mort pour rien, pleure-t-elle.

Il la guide doucement vers la cuisine. Une tasse de tisane lui fera du bien. Il ne peut pas la laisser se coucher avec toutes ces idées noires à l'esprit.

Il saisit donc sa vieille théière en fonte et la glisse sur le feu. Puis, du petit placard au-dessus de sa tête, il sort une petite boîte d'aluminium. Sur le couvercle, des roses aux couleurs lilas et de petites violettes sont peintes. Il sait qu'Anya l'observe, scrutant le moindre de ses gestes, n'osant pas s'asseoir.

- Mets-toi à l'aise, l'invite-t-il.

Mais elle reste debout, entre la porte et la petite table de la cuisine, à regarder ce qu'il fait. À songer, aussi, il le sent sans même tourner les yeux vers elle. À quoi pense-t-elle ainsi ?

La curiosité est l'un de ses défauts qu'il ne veut pas lui dévoiler. Et il refrène alors ses questions. Pour le moment. Il se doute qu'il aura tout le loisir de les lui poser plus tard. En cet instant, c'est elle qui a des interrogations, lui qui répond. Il lui doit bien cela.


© Lynn RÉNIER
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